Les relations entre le Royaume de Belgique et la RD Congo, son ancienne colonie, sont au plus mal depuis quelques mois. En raison entre autres, de ce que Kinshasa présente comme des immixtions inacceptables dans les affaires intérieures de l’Etat indépendant qu’il est devenu depuis le 30 juin 1960. Ces relations ont carrément viré au rouge depuis notamment que la Belgique, suivie en cela par l’Union Européenne, a pris l’initiative d’imposer des sanctions unilatérales contre des hauts responsables politiques et militaires de la RD Congo, manifestement pour la simple raison qu’ils sont proches du président Joseph Kabila Kabange. Ce faisant, les autorités belges ont, en fait, pris délibérément partie pour l’opposition rd congolaise dont elle soutiennent la lutte contre la majorité au pouvoir. C’en était trop pour Kinshasa qui a, aussitôt, pris des mesures de rétorsion, dont la réduction des vols de la compagnie aérienne nationale belge, SN Brussels Airlines, sur Kinshasa. Mais aussi la fermeture de la Maison Schengen, cette espèce de super ambassade qui gérait a volo l’octroi des visas de séjours des Congolais dans l’ensemble de l’Union Européenne.
Avant d’en arriver à ces extrémités, Bruxelles avait abrité, en juin 2016, une importante réunion d’opposants politiques à Joseph Kabila, qui a accouché du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement (RASSOP). La plateforme s’était assignée comme objectif de faire partir, démocratiquement ou non, le Chef de l’Etat en place du pouvoir semblait avoir plus que bénéficié du soutien gouvernemental belge. Puisque le vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères belge, Didier Reynders, avait le plus officiellement du monde reçu les conclusions des conclavistes de Genval dans ses bureaux bruxellois devant la presse. L’immixtion dans la politique intérieure de l’ancienne colonie était ainsi plus que patente. Mais ce faisant, Bruxelles n’effectuait pas ses premiers pas en la matière.
Une opposition montée et entretenue
Le rapport du parlement belge sur la responsabilité des autorités politiques du royaume dans l’assassinat de Patrice-Emery Lumumba le 17 janvier 1961(Daniel Bacquelaine, Ferdy Willems, Marie-Thérèse Coenen, Geert Versnick, rapporteurs), rendu public en octobre 2001 est révélateur à cet égard : des Tshisekedi, Katumbi, Endundo, Sessanga et autres figures d’une opposition qui n’a d’opposant au régime que le fait de ne pas en être, il en a toujours existé depuis les années des indépendances en 1960. Et lorsqu’elle n’a pas existé, la métropole belge se chargeait de la créer.
Ainsi, c’est début juillet 1960 que la Belgique décide de ne pas tenir compte du gouvernement légalement établi dans son ancienne colonie, constatent les parlementaires belges chargés de l’enquête sur l’assassinat du leader indépendantiste rd congolais. « On ne peut donc pas croire aux arguments avancés aujourd’hui par Bruxelles contre Kinshasa qui prennent prétexte de la fin du second et dernier mandat constitutionnel de Joseph Kabila. En juillet ’60, Patrice Lumumba n’avait accompli que 10 jours à la tête du gouvernement légalement établi lorsque les Belges l’avaient condamné », explique au Maximum un leader politique de la majorité au pouvoir. Le gouvernement belge a multiplié les tentatives pour influencer la formation d’un nouveau gouvernement aussitôt Lumumba élu 1er ministre : en envoyant le diplomate André Wendelen au Congo pour sonder Bomboko en vue d’un coup d’Etat, ainsi qu’un agent de la sûreté de l’Etat dénommé Athos pour un travail de déstabilisation en coulisses, écrivent les parlementaires.
Des fonds secrets belges
En 1960 comme en 2018, 58 ans après l’indépendance, la Belgique a financé sa politique de déstabilisation de son ancienne colonie en recourant à des factotums locaux. « Pour financer la politique menée contre le gouvernement Lumumba, le gouvernement belge recourt aux ” fonds secrets “, dont certains ont été approuvés par le Parlement, et d’autres, pas. La commission a retrouvé la trace d’au moins 50 millions de francs belges (ce qui correspond à 270 millions de francs belges actuels, selon l’évolution de l’indice des prix à la consommation communiquée par la Banque nationale de Belgique) », lit-on sur ce rapport. Qui précisent que «ces fonds ont servi à subventionner la presse d’opposition, à fournir un soutien à des hommes politiques, à financer des campagnes radiophoniques (radio Makala) à mettre sur pied des actions undercover. Ces fonds secrets étaient gérés au cabinet des ministres successifs des Affaires africaines. Il est impossible de déterminer l’origine de quelque cinquante millions de francs ».
« Le soutien étranger à certains quotidiens ayant pignon sur rue à Kinshasa, où il est interdit à certains confrères d’afficher de titre pro-gouvernemental à la Une, n’est vraiment plus à démontrer », assure au Maximum un acteur politique de la majorité au pouvoir. Qui croit dur comme fer que nombre de ses collègues de l’opposition, farouchement opposés à toute perpective électorale sur injonction de puissances étrangères, n’a d’existence que grâce aux prébendes reçues de milieux occidentaux ou de Moïse Katumbi. Ce qui, selon lui, revient au même, de toutes façons.
Soutien à la sécession
Les actions du gouvernement belge pour priver le gouvernement établi des moyens financiers ne sont pas non plus nouvelles. En 1960, Bruxelles avait ouvertement soutenu les gouvernements sécessionnistes de Moïse Tshombe au Katanga et d’Albert Kalonji au Kasai. « Le soutien apporté par la Belgique au Katanga et au gouvernement de Tshombe constituera un élément important dans le cadre de la lutte contre le gouvernement Lumumba. Ce n’est pas tant la sécession en soi qui constitue un objectif à cet égard que la restructuration confédérale du Congo, par laquelle le gouvernement belge espère enlever à Lumumba et à son mouvement unitaire, le MNC, le fondement de leur pouvoir et la base économique de celui-ci. Le soutien apporté par la Belgique à la sécession du Sud-Kasaï et les projets visant à créer un Congo fédéral ou confédéral s’inscrivent également dans ce cadre », écrivent à ce sujet les députés belges. En 1960 déjà, une « mission technique » belge avait été mise à la disposition du gouvernement sécessionniste. Dirigée par Harold d’Aspremont Lynden, elle avait joué un rôle déterminant dans la mise en place de structures étatiques dans les domaines légal et militaire ainsi que dans le domaine de l’information et du renseignement. Avant d’être transformée en un bureau-conseil restreint qui faisait rapport directement au … ministre des Affaires africaines à Bruxelles, tandis que le consul belge à Lubumbashi faisait, se son côté, rapport au ministre des Affaires étrangères. « La sécession katangaise aurait été impossible sans le soutien de l’Union Minière, qui a fourni les moyens financiers nécessaires à la sécession katangaise en payant des impôts au seul gouvernement de Tshombe. Nous constatons que la Forminière a agi au Sud-Kasaï de manière similaire à l’Union Minière au Katanga. Par suite de la perte des recettes fiscales du Katanga et du Sud-Kasaï, le gouvernement Lumumba ne dispose quasiment plus de moyens financiers », concluent en substance les rapporteurs belges.
Société civile inféodée
La Belgique s’était également servie de ce qu’on appelle aujourd’hui « la société civile » pour parvenir à ses fins politiques dans son ancienne colonie. Le ministère des affaires étrangères belge a, en effet, reconnu à travers une note citée dans le rapport le soutien et la coordination de réseaux dans les milieux syndicaux et le monde académique. « La présence de personnes d’inspiration diversifiée montre le caractère multiple et les motivations hétéroclites de ceux qui étaient opposés à Lumumba », écrivent les rapporteurs. Aujourd’hui aussi, les motivations de nombreuses ONG nationales et internationales, toutes opposées au gouvernement en place, ne sont pas sans rappeler et confirmer cette vielle tradition d’interventionnisme belge en particulier et étranger dans les affaires intérieures de la RD Congo. « Il est toutefois évident qu’une action belge ou même américaine n’avait guère de chance d’aboutir, sinon aucune, sans l’existence d’une opposition interne au Congo lui-même, soutenue par la Belgique, comme démontré plus haut », concluent-ils. Et voici qu’aujourd’hui encore comme hier, nombre d’acteurs politiques de l’opposition ayant comme on dit pignon sur rue sont devenus des véritables chevaux de Troie de l’ancienne métropole coloniale et d’autres puissances occidentales avides des richesses naturelles de la RD Congo.
J.N.