«Les parties prenantes s’accordent sur le nombre de 28 membres pour constituer le Conseil National de Suivi de l’Accord et du Processus Electoral, y compris la CENCO», stipule le point VI.2.2. du texte signé la nuit de la Saint Sylvestre.
Les évêques de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) dénoncent, dans leur déclaration du 17 février 2018 l’«application sélective et balisée des dispositions de l’Accord de la Saint Sylvestre». De la première et la dernière ligne de ce texte rendu public au terme de leur dernière assemblée plénière, les prélats ne pipent mot du Comité National de Suivi de l’Accord (CNSA), la « structure chargée du suivi et de la mise en œuvre de l’Accord », dont ils sont membres d’office. Et consacrent ainsi une auto-exclusion de fait, lourde de conséquences en ce qu’elle met ou remet en cause toutes leurs prises de position relative à l’application et à la mise en œuvre du texte signé par les acteurs politiques et de la société civile fin décembre dernier à Kinshasa. En ce compris leur dernière déclaration en date : elle s’avère nulle et non avenue, logiquement.
La déclaration de la CENCO du 17 février dernier est subdivisée en 4 chapitres comprenant l’Introduction (points 1 à 4), les Constats douloureux (point 5, sous-points 1à 5), les Recommandations (points 6 à 10) et la Conclusion (points 11 à 13).
Au chapitre 1, les membres de la CENCO disent partager avec le peuple « ses joies et ses angoisses », relèvent qu’ils se retrouvent, après l’assemblée extraordinaire du 22 au 24 novembre 2017, « encore une fois à cause de la persistance et de l’aggravation de la crise sociopolitique du pays », justifient leurs préoccupations par la nécessité de « contribuer au bien-être du Peuple congolais tout entier, à la sauvegarde et à la promotion de la dignité de la personne humaine, au respect de la vie, des libertés fondamentales et des droits fondamentaux» et font observer, «aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, un éveil de conscience du Peuple congolais et sa détermination à prendre son destin en main ».
Au chapitre 2, les princes de l’église catholique romaine se disent « profondément inquiétés par des faits très graves et des attitudes hostiles » alors qu’on est censé se « préparer à la tenue des élections en vue d’une alternance pacifique au pouvoir ». Ces attitudes sont, primo, «la répression sanglante des marches pacifiques » (ils se focalisent sur celles du 31 décembre 2017 et du 21 janvier 2018), secundo, « la campagne de dénigrement et de diffamation de l’Eglise catholique et sa hiérarchie », tertio, « L’extension inquiétante des zones d’insécurité », quarto, « L’application sélective des dispositions de l’Accord de la Saint Sylvestre », quinto, « La polémique autour de la machine à voter ».
Au chapitre 3 en rapport avec les recommandations, la Cenco « réaffirme l’urgence d’aller aux élections en 2018 et demande avec insistance l’application intégrale et effective des dispositions en souffrance de l’Accord de la Saint Sylvestre, notamment (…) le parachèvement des mesures de décrispation du climat politique, la redynamisation de la CENI, les dispositions relatives au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC) ».
Demande est entre-temps faite « aux autorités compétentes », entre autres, d’«annuler les édits interdisant les manifestations pacifiques », d’« engager des poursuites judiciaires à l’encontre de ceux qui ont commis des actes délictueux à l’occasion de marches organisées par le Comité Laïc de Coordination (CLC) et prendre des dispositions pour encadrer les marches pacifiques, comme cela se fait sous d’autres cieux», d’«arrêter les poursuites et les menaces à l’endroit des organisateurs des marches pacifiques qui n’ont fait qu’exercer leurs droits reconnus par la Constitution» et de «rendre crédible et effective l’autorité de l’Etat pour sauvegarder l’intégrité du territoire national, protéger les frontières et assurer la sécurité de la population ainsi que de ses biens ».
Au point 8, la Cenco « invite la CENI à lever l’équivoque et les suspicions autour de la ‘machine à voter’ en acceptant sa certification par des experts nationaux et internationaux » tandis qu’aux points 9 et 10, elle invite le peuple à « demeurer debout et vigilant » et la communauté internationale à « continuer à accompagner la République Démocratique du Congo dans le processus électoral et à placer le bien du Peuple congolais au-dessus de ses intérêts ».
Dans la conclusion, hommage est rendu aux morts et aux blessés pendant que la compassion est exprimée aux familles éprouvées par les marches du 31 décembre 2017 et du 21 janvier 2018. « A dix mois des scrutins, nous en appelons, une fois de plus, à la responsabilité des personnes et des institutions chargées de la préparation et de l’organisation des élections pour l’intérêt supérieur de la Nation », écrivent les Evêques membres de la CENCO.
Huit attributions du CNSA
D’emblée, ce dernier appel est une interpellation. A la lecture de l’Accord de la Saint Sylvestre, est nommément cité le CNSA parmi les institutions chargée justement de la préparation et de l’organisation dans l’intérêt supérieur de la Nation.
Au chapitre VI consacré au «Mécanisme de suivi de l’Accorde politique et processus électoral », il est clairement spécifié au point VI.1.1. relatif au Principe sur la nature de la Structure que « Les parties prenantes conviennent, conformément à l’article 222 alinéa 3 de la Constitution, de mettre en place une Institution d’appui à la démocratie chargée du suivi de la mise en œuvre de l’Accord conclu entre elles» et qu’«En attendant l’adoption en procédure d’urgence de la loi organique, cette Structure est mise sur pied et fonctionne sur la base du présent Accord ».
Au point VI.2. intitulé «De la structure chargée du suivi et de la mise en œuvre de l’Accord », le sous-point VI.2.1. sur la «Dénomination » relève que « Les parties prenantes s’accordent pour appeler cette Structure d’appui à la démocratie ‘Conseil National de Suivi de l’Accord et du Processus Electoral CNSA’» et le sous-point VI.2.2. sur la «Composition» que « Les parties prenantes s’accordent sur le nombre de 28 membres pour constituer le Conseil National de Suivi de l’Accord et du Processus Electoral, y compris la CENCO ».
Au point VI.2.3. sont déclinées les huit attributions du CNSA. La première consiste à « Assurer le suivi du chronogramme de la mise en œuvre de l’Accord », la deuxième à « Réaliser des évaluations régulières du processus électoral, au moins une fois tous les deux mois, avec la CENI et le Gouvernement», la troisième à «communiquer régulièrement sur l’état d’avancement de la mise en œuvre de l’Accord», la quatrième à «Formuler des recommandations respectivement au Parlement, au Gouvernement et la CENI pour la bonne exécution de l’Accord » etc.
La CENCO viole l’Accord
Au regard de ce qui précède, la Cenco doit bien au peuple congolais et à la communauté internationale une explication quant à sa décision de pratiquer la politique de la chaise vide en ne siégeant pas au sein du CNSA. Car, à l’analyse de l’Accord, c’est à cette institution d’appui à la démocratie que revient la responsabilité première et unique de procéder à l’évaluation des dispositions convenues par les parties prenantes, domaine par domaine, secteur par secteur.
Les questions des marches pacifiques, de sécurité publique et de machine à voter, par exemple, sont abordées dans l’Accord de la Saint Sylvestre.
Ainsi, au chapitre II relatif au «Respect de la constitution », le point II.3. dispose que « les parties prenantes s’engagent solennellement à respecter les Institutions et les lois de la République, l’Etat de droits, les Droits de l’Homme, les libertés fondamentales collectives et individuelles, la séparation des pouvoirs garantis par la Constitution et l’existence des partis de l’opposition et d’exercice de leurs activités politiques ».
Or, les manifestations publiques sont, jusqu’à ce jour, régies par le Décret-loi 196 du 29 janvier 1999 prévoyant à son article 4 l’autorisation préalable des autorités politico-administratives et à son article 7 la possibilité de pouvoir, « de commun accord avec les organisateurs ou leurs mandataires, différer la date ou modifier l’itinéraire ou le lieu des manifestations ou réunions publiques envisagées ».
Comme sous d’autres cieux (sic), les organisateurs des manifestations se soumettent à l’obligation d’indiquer l’itinéraire. Lors de sa marche du 11 février 2018 à Rome, l’aumônerie catholique s’y est soumise. La question est de savoir pourquoi l’exception congolaise lorsqu’il s’agit du Clc.
S’agissant des questions sécuritaires, l’Accord de la Saint Sylvestre leur consacre au Chapitre IV portant sur le «Processus électoral » le point IV.7 relatif à la «Sécurisation du processus électoral » et le point IV.8. «Concernant la sécurisation des personnes et de leurs biens ». La lecture du point IV.8.2. sur les «Recommandations »est vivement conseillé. Elle est édifiante.
Par rapport à la machine à voter, l’Accord se prononce au point IV.4. sur le financement. Il souligne, en effet, qu’« Au sujet du financement des élections et sans porter préjudice aux articles 6 et 52 de la Loi organique de la Céni, les parties prenantes recommandent au Gouvernement (…) d’explorer les voies et moyens de rationalisation du système électoral pour réduire les coûts excessifs des élections ».
Pour peu qu’elle en ait la volonté et qu’elle soit de bonne foi, la CENCO doit admettre que ses préoccupations exprimées dans sa déclaration du 17 février 2018 trouvent réponse dans l’Accord.
C’est déjà curieux pour l’assemblée des évêques catholiques – co-organisatrice en 2017 avec la Monusco d’une campagne de sensibilisation sur cet accord – se trahisse elle-même par une « application sélective et biaisée des dispositions de l’Accord de la Saint Sylvestre ».
Il va sans dire qu’en ne prenant pas sa place au sein du CNSA et en ne s’assumant pas, la CENCo viole elle-même l’Accord.
Aussi, est-elle mal placée pour porter un jugement sur des responsabilités qu’elle fuit délibérément, montrant les autres du doigt ; attitude qui dénote naturellement le parti pris…
Omer Nsongo die Lema avec Le Maximum