Elle était attendue, la réaction de l’Union Européenne (UE) qui, il y a quelques mois encore, caracolait en tête des demandeurs d’un calendrier électoral qui assure une alternance pacifique à la tête de la RD Congo. Lundi 11 décembre 2017, le conseil de l’union a rendu publique une déclaration sur la RD Congo. Qui ne diffère guère des communiqués va-t-en guerre contre le pouvoir en place dans ce pays convoité de l’Afrique Centrale. En deux mots comme en mille, l’Union Européenne ne propose rien de positif qui sorte le pays de ce qu’elle considère, pourtant, comme une grave crise. Seulement des ultimatums qui traduisent comme une sorte de droit de préemption sur le pays de Patrice Emery Lumumba et Mzee Laurent-Désiré Kabila, leur chasse-gardée.
Le dernier communiqué de l’UE fait, certes, allusion à l’attaque, le 7 décembre dernier à Semuliki en territoire de Beni, d’un campement des casques bleus tanzaniens de la brigade d’intervention de la Monusco (mission onusienne en RD Congo), qui a provoqué la mort de 15 de ces soldats de la paix tué dans les affrontements avec les rebelles islamistes ADF. Mais tout ce que les Européens trouve à redire sur ce « crime de guerre » (l’expression est du Secrétaire général des Nations-Unies), est qu’il faut soutenir « … l’amélioration du dispositif de protection des civils et (…) renforcer sa capacité de sécurisation et d’appui logistique à un processus électoral crédible et inclusif ». Contre les tueurs des populations civiles de cette partie de la RD Congo, qui s’en prennent ainsi désormais à ceux qui sont chargés de leur protection, aucune condamnation.
Cette parenthèse sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité en cours en RD Congo depuis plus de deux décennies fermée, la déclaration de l’UE du 11 décembre 2017 s’attaque à ce qui est essentiel pour elle : torpiller le processus électoral s’il n’épouse pas les intérêts des capitales européennes. Ainsi, les européens qui appellent à la tenue d’élections en RD Congo depuis plusieurs années annoncent-ils qu’ils n’y contribueront pas si « leurs » conditions ne sont pas réunies, pas en surveilleront le processus. « L’UE estime qu’il est déterminant, notamment pour la légitimité des institutions chargées de la transition, de garantir que la date des élections désormais fixée du 23 décembre 2018 soit respectée », stipule ce communiqué qui explique que « dans la mise en œuvre de son appui technique et financier, l’UE évaluera la mise en œuvre des mesures mentionnées aux paragraphes ci-dessus concernant l’application de l’Accord de la Saint Sylvestre sur lequel se fonde la légitimité de la transition, mais aussi le respect des droits de l’Homme et la réouverture de l’espace politique, ainsi que les mesures nécessaires pour garantir un processus électoral transparent et inclusif, l’application scrupuleuse du nouveau calendrier électoral, la publication d’un budget crédible et un plan de décaissement réaliste, l’adoption de la législation électorale requise et la fiabilisation du fichier électoral ».
Les conditions que pose les Européens pour soutenir le processus électoral sont consistent en « … la nécessité de respecter la Constitution et l’urgence de la mise en œuvre intégrale par le gouvernement de l’ensemble des mesures de décrispation politique prévues par l’accord de la Saint Sylvestre, nécessaires pour réunir les conditions d’élections crédibles et inclusives, rétablir la confiance entre les acteurs concernés et apaiser les tensions politiques, notamment la libération de tous les prisonniers politiques, la fin des poursuites judiciaires injustifiées, la fin de la duplication des partis politiques, la liberté de la presse et la réouverture des médias fermés. L’UE appelle aussi au respect de la liberté de réunion et de manifestation pacifique ». Il s’agit, en fait, de conditions requises pour s’assurer que l’instabilité et la crise politique prévaudront en RD Congo pour permettre aux capitales européennes d’avoir le fin mot sur le devenir politique et économique du pays. Comme toujours.
Ci-après les conclusions l’Union Européenne sur la RD Congo.
J.N.
CONSEIL DE L’UNION EUROPEENNE, BRUXELLES, LE 11 DECEMBRE 2017
Conclusions du Conseil sur la République démocratique du Congo
1. La tenue d’élections crédibles, transparentes, inclusives et pacifiques doit permettre de sortir de la crise politique en permettant une alternance démocratique en République Démocratique du Congo (RDC), conformément à sa Constitution qui limite le nombre des mandats présidentiels, à l’accord politique de la Saint Sylvestre, aux dispositions de la résolution 2348 (2017) du Conseil de Sécurité des Nations Unies, ainsi qu’à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.
2. À la suite de l’annonce, le 5 novembre, du calendrier électoral, l’UE souligne la responsabilité première du gouvernement et des institutions en charge de l’organisation des élections, en particulier la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), dans la mise en œuvre effective et sans délai des mesures et actions à même de garantir le respect de ce calendrier, à travers un processus crédibilisé, légitime, consensuel et inclusif, dans le respect de l’accord politique de la Saint Sylvestre. Rappelant que le Conseil de sécurité des Nations Unies a, de concert avec l’Union africaine, demandé à plusieurs reprises la publication rapide d’un calendrier électoral crédible et consensuel, l’UE estime qu’il est déterminant, notamment pour la légitimité des institutions chargées de la transition, de garantir que la date des élections désormais fixée du 23 décembre 2018 soit respectée.
3. L’UE condamne vivement les violations des droits de l’Homme ainsi que les actes de harcèlement à l’encontre d’acteurs politiques de l’opposition, de représentants des médias et de la société civile, ainsi qu’à l’encontre de défenseurs des droits de l’Homme. Ils sont incompatibles avec les principes démocratiques et le respect des libertés fondamentales consacrées par le droit international public. L’UE souligne la nécessité de respecter la Constitution et l’urgence de la mise en œuvre intégrale par le gouvernement de l’ensemble des mesures de décrispation politique prévues par l’accord de la Saint Sylvestre, nécessaires pour réunir les conditions d’élections crédibles et inclusives, rétablir la confiance entre les acteurs concernés et apaiser les tensions politiques, notamment la libération de tous les prisonniers politiques, la fin des poursuites judiciaires injustifiées, la fin de la duplication des partis politiques, la liberté de la presse et la réouverture des médias fermés. L’UE appelle aussi au respect de la liberté de réunion et de manifestation pacifique.
4. Dans ce contexte, l’UE réaffirme sa volonté d’appuyer des élections crédibles et inclusives, en collaboration avec l’ensemble des acteurs congolais et leurs partenaires, en particulier les Nations Unies, l’Union africaine, la SADC, la CIRGL et l’OIF. Dans la mise en œuvre de son appui technique et financier, l’UE évaluera la mise en œuvre des mesures mentionnées aux paragraphes ci-dessus concernant l’application de l’Accord de la Saint Sylvestre sur lequel se fonde la légitimité de la transition, mais aussi le respect des droits de l’Homme et la réouverture de l’espace politique, ainsi que les mesures nécessaires pour garantir un processus électoral transparent et inclusif, l’application scrupuleuse du nouveau calendrier électoral, la publication d’un budget crédible et un plan de décaissement réaliste, l’adoption de la législation électorale requise et la fiabilisation du fichier électoral. L’UE travaillera aux côtés de ses partenaires internationaux, en particulier dans le cadre de l’équipe conjointe d’experts électoraux, qui devra avoir accès aux informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission de suivi de la mise en œuvre du processus électoral, couvrant aussi la pleine participation des femmes.
5. L’UE s’associe aux autres acteurs de la communauté internationale, en particulier les Nations Unies, pour condamner les abus et violations graves des droits de l’Homme et des libertés fondamentales en RDC, ainsi que les violations du droit international humanitaire notamment au Kasaï. L’UE reste gravement préoccupée par la situation sécuritaire détériorée au Kasaï, au Tanganyika et à l’est de la RDC, qui touche particulièrement les femmes et les enfants. Elle rappelle la responsabilité première des autorités congolaises, en particulier des Forces Armées de la RDC, dans la protection des populations. Dans le cadre de la résolution sur le Kasaï adoptée par la 35e session du Conseil des droits de l’Homme avec le soutien des autorités congolaises, l’UE suivra avec la plus grande attention la mission de l’équipe d’experts internationaux établie par le Bureau du Haut-Commissaire aux Droits de l’Homme. Cette résolution engage la RDC, membre du Conseil des Droits de l’Homme, à leur donner un accès libre et sans entrave aux documents, aux territoires et aux personnes concernés, et à lui permettre de fonctionner selon les standards internationaux d’indépendance et d’impartialité. L’UE soutient également l’appui des Nations Unies aux enquêtes sur l’assassinat des deux experts du Conseil de Sécurité qui ont tragiquement trouvé la mort en mars 2017, et à la traduction en justice des responsables.
6. L’UE salue le rôle essentiel joué par la Mission de l’ONU pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) qui vient de payer un lourd tribut avec l’attaque du 7 décembre au Nord Kivu, faisant de nombreux morts et blessés parmi le contingent tanzanien, les militaires congolais et les civils. L’UE soutient la mise en œuvre de la résolution 2348, appuyée par la revue stratégique en cours de la MONUSCO, visant notamment à l’amélioration du dispositif de protection des civils et à renforcer sa capacité de sécurisation et d’appui logistique à un processus électoral crédible et inclusif.
7. L’UE s’alarme de la situation humanitaire dramatique, aggravée par la crise politique. Environ 4,1 millions de déplacés se trouvent actuellement en RDC, amenant en octobre 2017 les Nations Unies à activer le plus haut niveau de réponse d’urgence en RDC. Les pays de la région sont confrontés à un afflux de réfugiés. De plus, 7,7 millions de congolais se trouvent dans l’insécurité alimentaire et 1,9 millions d’enfants sont atteints de malnutrition aiguë grave. L’UE soutient une mobilisation internationale accrue pour répondre à cette situation humanitaire. Elle rappelle la primauté du respect des principes humanitaires et la nécessité d’assurer l’accès aux populations touchées dans un contexte sécuritaire de plus en plus difficile.
8. Conformément aux précédentes conclusions du Conseil et en ligne avec la déclaration du Conseil de Sécurité des Nations Unies, l’UE rappelle aux responsables politiques et aux membres des forces de sécurité, ainsi qu’aux personnes morales que leur responsabilité individuelle est engagée en cas de graves violations des droits de l’Homme, d’incitation à la violence, d’action ou de déclaration qui constituent des entraves à la mise en œuvre de l’Accord politique et l’organisation des élections dans le calendrier prévu, d’obstruction à une sortie de crise consensuelle, pacifique et respectueuse de l’aspiration du peuple congolais à élire ses représentants.
9. L’UE continuera à déployer son soutien à la population congolaise confrontée quotidiennement à de graves difficultés socio-économiques. En vue d’une solution durable à la crise économique et budgétaire actuelle ainsi que d’un développement juste et inclusif, l’UE appelle à la reprise du dialogue, de façon structurée, avec les institutions financières internationales, et à l’amélioration de la gouvernance, à travers notamment la lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent et le détournement des fonds publics, également facteurs de tensions sociales, économiques et politiques.
10. L’UE appelle l’ensemble des acteurs congolais, et en premier lieu les autorités et les institutions congolaises, à jouer un rôle constructif dans le processus électoral, et salue le soutien des partenaires extérieurs à cet égard. Elle rappelle aussi l’importance du rôle de la société civile et des femmes en particulier. Une sortie de crise pacifique et respectueuse de l’esprit de consensus de l’accord politique de la Saint Sylvestre et de l’aspiration du peuple congolais à élire ses représentants sera déterminante pour la définition des relations entre la RDC et l’UE.