Deux heures d’entretien en tête à tête. C’est le temps que la Représentante permanente des Etats-Unis aux Nations Unies aura passé avec le Chef de l’Etat rd congolais, Joseph Kabila Kabange, le 27 octobre dernier au Palais de la Nation. Plus de quatre fois le temps que l’émissaire américaine a accordé à ses interlocuteurs de la Monusco, de la Conférence Episcopale Nationale du Congo et de l’opposition. Assurément plus de temps qu’il n’en fallait, trop même selon les observateurs les plus réservés, pour transmettre de supposées « injonctions menaçantes » et autres « condamnations » américaines, que beaucoup dans les travées de l’opposition rd congolaise avaient fébrilement annoncé. « Dépassé 30’, un entretien de ce niveau vire à une conversation et échanges des plus cordiales », explique ce spécialiste des relations internationales de l’Université Pédagogique National de Kinshasa. Vendredi dernier chez Joseph Kabila, Nikki Haley semble avoir voulu entendre de ses propres oreilles et sûrement voir « de ses propres yeux ce qui peut être fait au sujet des violences, des réfugiés et de la famine au Soudan du Sud et en RDC », ainsi que Donald Trump avait lui-même défini l’objectif du séjour africain de son émissaire.
Tous protocoles observés
Arrivée à Kinshasa en provenance d’Addis Abeba (Ethiopie), via Juba (Soudan du Sud) mercredi 25 octobre 2017, Nikki Haley a été accueillie au bas de la passerelle à l’aéroport international de Ndjili par François Balumwene (ambassadeur de la RD Congo aux Etats-Unis), Ignace Gata Mavinga son collègue rd congolais aux Nations-Unies, Kikaya bin Karubi et Robert E. Whitehead, l’ambassadeur US à Kinshasa.
Le lendemain matin, jeudi 26 octobre 2017, Nikki Haley s’est effectivement mise à l’ouvrage en se rendant à Goma au Nord-Kivu. Un hélicoptère de la Monusco l’y attendait pour une visite du camp de réfugiés de Kichanga, qui héberge quelques 15.000 âmes à 80 kilomètres du chef-lieu du Nord-Kivu. Nikki Haley s’est entretenu avec une délégation des femmes déplacées qui lui ont exposé l’essentiel de leurs problèmes, particulièrement leur désir de rejoindre coûte que coûte leurs villages d’origine. De retour de Kichanga, Mme Haley a conféré avec le commandant de la force onusienne, le général sud-africain Derick Nguebi, et David Gressly, l’adjoint du Représentant spécial du secrétaire de l’ONU et patron de la mission onusienne en RD Congo. C’est du Nord Kivu qu’ont été entendues les premières déclarations de l’émissaire américaine sur le pays hôte, Nikki Haley ayant « exhorté », selon l’expression consacrée, la communauté internationale et le gouvernement à davantage d’efforts pour secourir les déplacés qui « ne demandent qu’à rentrer chez eux dans la paix ». Selon certaines sources, c’est également à l’étape de Kichanga dans le Masisi que Nikki Haley a établi une relation assez peu compréhensible entre la fin des souffrances des déplacés et les élections à tenir en RD Congo.
Vendredi politique Kinois
Revenue à Kinshasa, l’émissaire de Donald Trump a rencontré vendredi 27 octobre 2017, Corneille Nangaa accompagné de tout le bureau de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), Aubin Minaku le président de l’Assemblée Nationale, Mgr Marcel Utembi de la CENCO flanqués de Mgr Fridolin Ambongo et de l’Abbé Nshole, une délégation de l’opposition politique, avant de terminer sa visite par un entretien avec le Président de la République, Joseph Kabila Kabange.
Selon une dépêche de la CENI parvenue au Maximum, Nikki Haley a découvert le caractère hétérogène de la composition de la plénière et du bureau de la centrale électorale rd congolaise. Elle a reçu des explications claires sur le contexte politique du pays qui impacte négativement le travail de l’administration électorale, le processus et le calendrier électoraux ainsi que les attentes et les perspectives de ses animateurs. L’occasion a été mise à profit par Corneille Nangaa, le président du bureau de la CENI pour révéler qu’en dépit de multiples écueils, le processus électoral avait bel et bien démarré avec la reconstitution exigée par toutes les parties congolaises du fichier électoral ; que le nombre de personnes enrôlées dans ce cadre avait déjà atteint le chiffre record de 43 millions sur les 45 millions attendus et que les opérations se poursuivaient avec succès dans les zones naguère insécurisées des provinces du Kasai, du Kasai Central et les deux territoires de la province de la Lomami. Le président de la CENI a pu ainsi annoncer à son hôte la publication imminente d’un calendrier électoral crédible, « sauf accident de dernière minute », pour autant que le gouvernement poursuivait sans coup férir ses efforts d’amélioration des conditions sécuritaires pour l’avancement et le succès de l’ensemble du processus. Tout en demandant aux Etats-Unis et à la communauté internationale dans toutes ses composantes de « clarifier les modalités de leur soutien au processus électoral du point de vue financier et logistique ».
En réponse, Nikki Haley a exhorté le président de la CENI d’œuvrer en toute conscience pour la tenue rapide d’élections crédibles, transparentes et apaisées. « Parce que, a-t-elle expliqué à ses interlocuteurs, chaque jour qui passe sans élection une femme est violée, un enfant est enrôlé dans l’armée, la jeune fille tombe enceinte, la situation sociale devient de plus en plus intenable pour plusieurs familles congolaises », selon la dépêche. Un lien entre le report des élections et les violences criminelles qui ont endeuillés plusieurs contrées de la RDC qui a eu le don de surprendre nombre d’observateurs et qui démontre que nombre de préposés de l’administration Trump ont encore beaucoup à apprendre pour appréhender correctement l’histoire récente du pays de Lumumba.
S’adressant à la presse au terme de l’entrevue avec le bureau de la CENI, Nikki Haley a appelé à l’organisation des élections en 2018, faute de quoi « les Etats-Unis et la communauté internationale n’y apporteront pas leur soutien ». Sans préciser de quel ordre elle estimait ledit soutien, ni sa hauteur…
L’incontournable assemblée nationale
Avec Aubin Minaku Ndjalandjoko, la Représentante permanente américaine aux Nations-Unies s’est essentiellement entretenue des lois liées à l’avancement du processus électoral qui sont en souffrance à la représentation nationale : la loi organique sur le Comité National de Suivi de l’Accord et du Processus Electoral (CNSA), la loi électorale (à réviser), et la loi sur la répartition des sièges. Au sortir de l’audience, Nikki Haley a déclaré que « Nous avons rencontré le Président de l’Assemblée nationale. Et nous lui avons passé le message des Etats-Unis d’Amérique, du Conseil de sécurité des Nations Unies ainsi que de la Communauté internationale, que le parlement congolais doit faire son devoir. C’est-à-dire, voter, le plus rapidement possible, les lois qui ont trait aux élections. Pour que ces élections se tiennent dans le délai le plus bref possible ». Au speaker de la chambre basse du parlement qui est en même temps secrétaire général de la Majorité présidentielle, elle a réitéré aussi, que « … l’appui des Etats-Unis d’Amérique dépendra des efforts qui seront fournis pour que les lois soient votées le plus rapidement possible, et que la tenue des élections soit aussi programmée le plus rapidement possible ».
Au terme des entretiens qui ont suivi, Nikki Haley a évité de faire la moindre déclaration à la presse. De sorte que si l’on croit savoir ce que les acteurs de l’opposition politique que sont Mgr Marcel Utembi, la délégation de l’opposition conduite par Félix Tshilombo, Eve Bazaïba, Pierre Lumbi et Vital Kamehre, rapporté à l’émissaire américaine, on ignore qu’elle a été sa réaction. Même si des sources assurent que l’ambassadrice américaine a renvoyé les radicaux à leurs études au sujet de la prétendue exigence d’une « transition sans Kabila », qu’elle aurait disqualifié sans ambages, la jugeant totalement irréaliste. Ce que semble confirmer le fait que personne parmi ces opposants, « cléricaux et politiques » n’ait rapporté le moindre propos de l’émissaire de Donald Trump susceptible d’être considéré comme un encouragement même indirect à leurs positions extrémistes. Et se soient abstenus de révéler la réaction de leur interlocutrice à ce sujet. Difficile pourtant d’imaginer que la volubile ancienne gouverneure de la Caroline du Sud se soit limitée à les écouter sans émettre le moindre avis…
Aucune promesse à l’opposition
Le quarteron des prélats catholiques anti-kabilistes déclarés se seraient montrés plus anarchistes et partisans que jamais en sollicitant notamment le soutien américain à la violation de la constitution rd congolaise à travers une interprétation de l’accord de la St Sylvestre qui dépouillerait le Chef de l’Etat d’une partie de ses prérogatives constitutionnelles ainsi que l’obtention de « l’engagement solennel du Chef de l’Etat à ne pas concourir à un troisième mandat consécutif ». Selon un analyste proche des milieux cléricaux qui s’est confié à nos rédactions, c’est après que leurs exigences extrémistes aient été douchées par l’émissaire du président Trump que Utembi, Ambongo et Nshole se seraient contentés, selon le communiqué unilatéral rendu public par la CENCO vendredi dernier, de demander à l’Ambassadrice Haley de « aider le peuple congolais à faire aboutir le processus électoral dans un délai convenable et acceptable par toutes les parties prenantes ; obtenir des acteurs politiques le respect effectif de la constitution et l’application intégrale de l’Accord de la Saint Sylvestre ; recommander à la CENI la publication rapide d’un calendrier électoral, réaliste et précis, qui permettra d’organiser des élections crédibles, transparentes et apaisées ». Ils n’ont pas oublié, à en croire ledit communiqué de suggérer à leur interlocutrice d’obtenir de Joseph Kabila « la cessation des répressions contre les manifestations pacifiques, et des violations graves des droits humains ainsi que le respect des principes démocratiques ; d’encourager le pouvoir à poursuivre de manière substantielle l’application des mesures de décrispation prévues à l’Accord de la Saint Sylvestre qui constituent un préalable incontournable pour le démarrage d’un processus électoral apaisé ; de s’impliquer afin que le groupe d’experts désignés à la 72ème assemblée générale des Nations-Unies ait un pouvoir opérationnel au sein de la CENI ». Un véritable manifeste politique dont aucun écho n’a été perçu de la part de l’Américaine.
Ni condamnations du régime, ni transition sans Kabila
La délégation de l’opposition politique radicale, également reçue par Nikki Haley aurait, elle aussi, insisté sur l’échéance irréaliste du 31 décembre 2017 et sur l’application « de bonne foi » de l’accord du 31 décembre 2016, allusion sans nul doute à la partie de cette entente qui prévoit le partage du pouvoir au sommet de l’Etat, dont s’estiment présentement exclus les katumbistes Félix Tshilombo et Pierre Lumbi, ainsi que, dans une moindre mesure, les ambitieux du MLC comme Mme Eve Bazaiba et Vital Kamerhe après avoir échoué dans leurs tentatives de se voir désignés l’un et l’autre à la tête du Conseil national de suivi de l’accord du 31 décembre 2016 (CNSA).
On est donc loin, bien loin, des perspectives apocalyptiques et putschistes accolées par les radicaux de l’opposition au périple africain de la Représentante permanente des Etats-Unis à l’ONU. Ni transition sans Kabila, ni condamnation à l’emporte-pièce de présumées atteintes aux droits de l’homme n’ont été prononcées par Nikki Haley sur la RD Congo. Les observateurs notent plutôt un net infléchissement dans la perception de l’épineux dossier rd congolais par l’émissaire de Trump qui, en appelant la communauté internationale et le gouvernement de la RD Congo à se pencher sur le sort des déplacés ; le parlement à accélérer le vote qui libèrera définitivement le processus électoral ; et en projetant la tenue des scrutins électoraux en 2018, s’est littéralement affranchie des rapports partiaux et accusateurs qui avaient nourri jusque-là sa perception des réalités de ce pays-continent aux problèmes et si complexes.
Perception nuancée
Sur la question des déplacés, particulièrement, Nikki Haley ne fait plus porter la responsabilité des statistiques alarmistes qu’elle brandissait à tout bout de champ peu avant sa venue au Congo en en faisant porter la responsabilité au seul gouvernement congolais, puisqu’à Kichanga, elle a clairement fait appel à « l’ensemble de la communauté internationale » pour contribuer à la régler. Idem sur le prétendu manque de volonté des autorités politiques rd congolaises à faire évoluer la situation du pays. Même si la projection des prochains scrutins à 2018 a dérangé aussi bien dans l’opposition politique que dans certains cercles de la majorité au pouvoir où des voix se sont aussitôt élevées pour dénier à l’Américaine des pouvoirs calendaires sur le processus électoral rd congolais, elles n’enlèvent en rien le fait que l’émissaire de Donald Trump semble désormais d’avis qu’il n’y a pas absence totale de volonté de conduire les rd congolais aux urnes. Raison pour laquelle elle s’est contentée d’exercer une petite pression américaine portant sur un financement du processus que bien peu attendent pour régler l’affaire, au lieu d’embrayer avec les radicaux sur l’instauration d’une nouvelle période de transition nihiliste.
En tout état de cause, il faudra attendre la réaction de l’administration Trump au rapport de mission de son ambassadrice aux Nations-Unies et la définition de la nouvelle politique africaine de la Maison Blanche après l’ère Barack Obama.
Une chose semble certaine : l’administration américaine ne se fondera plus sur les rapports et incantations de prétendues Ong internationales ainsi que des lobbies hostiles au pouvoir en place à Kinshasa pour diverses raisons qui n’ont rien à voir avec l’intérêt du peuple congolais. Nikky Haley l’avait déclaré quelques jours avant son périple africain en assurant sur le site de CNN que : « Les États-Unis ont de nombreux intérêts dans ces pays africains déchirés par la guerre. Nos intérêts sont certes humanitaires, mais ils sont aussi économiques et stratégiques ». Donald Trump ne katumbisera pas la RD Congo, selon toute vraisemblance.
J.N.