Le moins qu’on puisse dire, au vu de l’évolution de la situation au sein de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) de Vital Kamerhe lwa Kaningini, c’est que le radeau se vide de ses passagers. Rien que pour l’année 2017, le parti politique de l’ancien speaker PPRD de l’Assemblée nationale a vu filer les meilleurs de ces cadres. L’avant-dernier en date à quitter le navire rouge et blanc en perdition était Alain Mbaya Kakasu. Le président du conseil national et secrétaire général de l’UNC qui se lançait récemment encore dans une croisade de remobilisation des troupes dans certaines provinces du pays a carrément jeté l’éponge, mi-septembre, et rejoint l’Alliance des Démocrates Congolais (ADECO) de Jonas Mukamba Kadiata Nzemba. Où il a aussitôt été propulsé au sommet du parti pour siéger au comité des sages de l’aile katumbiste du Rassemblement des Forces politiques et sociales acquises au changement. Avant Alain Mbaya, les Odette Babandowa (ancienne ministre des Transports et Voies des Communications sous Mzee Laurent-Désiré Kabila) et Sam Bokolombe (ancien DG de la DGI pour le compte du MLC) avaient, eux aussi craché leur dépit en quittant l’UNC. A la suite des départs tout aussi fracassants des Jean-Bertrand Ewanga Is’Ewanga – un ancien gouverneur de l’Equateur pour le compte du PPRD qui avait auparavant usé ses chaussures dans les rangs de l’UDPS Kibassa Maliba -, et Claudel Lubaya, ancien gouverneur du Kasai Occidental pour le compte du même PPRD, qui a préféré exhumer le parti politique animé par son père André Guillaume Lubaya, l’UDA dans les années ’60 avant d’être victime d’un assassinat politique attribué, à tort ou à raison, au duo Mobutu-Tshisekedi. A l’évidence, aucun parti politique en vue en RD Congo n’a enregistré autant de défection que l’Union pour la Nation Congolaise, créé au lendemain de la séparation de Kamerhe d’avec son mentor Joseph Kabila Kabange et le PPRD, dont le candidat à la présidentielle de 2011 avait été l’un des fondateurs en mars 2002.
Ambitions dévorantes
Candidat président de la République sur une liste de concurrents comprenant notamment Joseph Kabila et Etienne Tshisekedi wa Mulumba, Kamerhe a affiché les plus grandes ambitions qui soient pour un acteur politique. Avec tellement de précipitation qu’on lui colla le surnom de « l’homme pressé ». Cinq ans auparavant, en 2006, celui qui deviendra le tout-puissant président du bureau de l’Assemblée Nationale pour le compte de son parti, le PPRD, et de son mentor qui venait de faire mordre la poussière à Jean-Pierre Bemba Gombo, le député le mieux élu de la ville de Bukavu tenta très vite – trop vite – de se démarquer, en se jetant tête baissée dans la course au ‘top job’ avec fébrilité d’un éléphant égaré dans un magasin de porcelaine contre l’ambitieux programme de reconstruction du pays lancé par Joseph Kabila : les contrats chinois « des mines contres des infrastructures » qui déplaisaient tant à certains milieux mercantilistes en Europe qui l’utilisèrent pour faire pression sur le jeune quatrième chef d’Etat rd congolais.
Loin de s’arrêter à cette opposition politique qui révélait que l’ancien directeur de campagne de Joseph Kabila était loin de partager les mêmes ressources idéologiques que le fils du Mzee, Kamerhe se laissa aller à critiquer vertement et publiquement une opération militaire menée par les FARDC conjointement avec les Rwanda Defence Forces (RDF) contre les milices FDLR début 2009, à l’initiation de laquelle il avait pourtant été associé en sa qualité de président de l’Assemblée Nationale. Ce fut la consommation d’un divorce irréversible. Vital Kamerhe sera promptement « démissionné » sur injonction de Kabila des hautes charges qu’il exerçait à la tête de la chambre basse du parlement le 26 mars 2009. Escomptant sur l’appui de l’électorat swahiliphone de l’Est réputé anti-rwandais, il fonde alors son propre parti politique, l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) dès juin 2010.
Trahison
A Kinshasa la capitale et à travers toute la RD Congo, ce n’est qu’un secret de polichinelle : en réalité c’est le poste de 1er ministre chef du gouvernement que Vital Kamerhe lorgnait. Selon un de ses fidèles lieutenants, l’ambition pour ce poste a rongé l’élu de Bukavu depuis l’époque où il trônait au perchoir de l’Assemblée nationale. Si le divorce d’avec ses anciens amis du PPRD et de l’Alliance de la Majorité Présidentille, vainqueurs aussi bien des législatives que de la première présidentielle démocratique de l’après-indépendance, l’éloigne du strapontin de la primature, VK (Vital Kamerhe) n’en désespère pas pour le moins du monde. L’homme vise alors haut, le plus haut possible, en se présentant à la présidentielle suivante, en 2011, dans le secret espoir de marchander son électorat kivutien, estiment les observateurs pour arracher la direction du gouvernement. Mais le calcul politicien s’avère inexact, totalement occulté par le duel au sommet Kabila-Tshisekedi, VK ne s’en tire qu’avec 7,74 % des suffrages, et appelle au … dialogue dès le lendemain de la proclamation des résultats par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI).
De dialogue, il n’y en aura pas, du moins pas entre les protagonistes à la présidentielle 2011, jusqu’à ces assises pilotées à la demande de l’Union Africaine par le togolais Edem Kodjo au deuxième semestre 2016. Dans l’intervalle, Vital Kamerhe a bien du jouer à l’opposant voire, se doter du poids requis pour imposer des négociations avec le camp de ses anciens amis de l’Alliance de la Majorité Présidentielle, devenue Majorité Présidentielle tout court. L’élu de Bukavu y parvient presque en surfant sur l’intention prêtée à Joseph Kabila de briguer un troisième mandat consécutif interdit par la constitution de 2006 : les 19, 20 et 21 janvier 2015, VK lève des bandes de casseurs dans les rues de Kinshasa et dans certaines villes de la RD Congo, contre une prétendue modification de la loi électorale en gestation pour offrir un mandat présidentiel supplémentaire à Joseph Kabila. Crédules, des bandes de jeunes désœuvrés subornés tentent d’affronter les forces l’ordre, il y a mort d’hommes à Kinshasa, Bukavu et Goma. Pas assez cependant pour faire chanceler le pouvoir du flegmatique Joseph Kabila qui plie mais ne rompt pas, à l’instar du Burkinabè Blaise Compaoré.
Casquette d’opposant
Kamerhe s’en tire néanmoins auréolé d’un titre, quoique vacillant, de « leader de l’opposition politique » en RD Congo. Pas pour longtemps, parce que dans l’entretemps, son ancien alter ego au PPRD et chez les Joséphites, Moïse Katumbi Chapwe, a rejoint les rangs des opposants, lui aussi circonvenu par les mêmes milieux mercantilistes occidentaux. L’intrusion est d’autant plus gênante que l’homme dissimule maladroitement son intention de faire une OPA sur les contestataires politiques que l’on appelle pompeusement opposants au pays de Patrice-Emery Lumumba. Faisant précéder chacune de ses tentatives et initiatives de « réunification de l’opposition » de flopées de billets de dollars US amassés au cours de ses deux mandats à la tête de la riche province du Katanga. En direct des plateaux de télévision de la chaîne publique française TV5, le 5 avril 2016, Vital Kamerhe dit son fait à Moïse Katumbi qui a lancé l’idée de l’organisation de primaires pour désigner le candidat de l’opposition à la prochaine présidentielle : « c’est une initiative qui va diviser l’opposition », martèle le kivutien, qui a des sueurs froides à l’idée de faire face au portefeuille manifestement inépuisable du « Monsieur Tiroir-Caisse » katangais qui a littéralement mis dans sa poche la quasi totalité des membres de l’opposition radicale à Kabila
En ligne de mire de Katumbi
Si l’initiative de l’ancien livreur de poissons salés à la Gécamines du temps la splendeur de la plus grande entreprise minière du Zaïre, qui s’est entretemps proclamé candidat à la prochaine présidentielle ne fragilise pas immédiatement les travées de l’opposition dite radicale, elle n’en creuse pas moins de profondes entailles dans les rangs de l’UNC de Kamerhe. Jean-Bertrand Ewanga, jusque-là secrétaire général, et Claudel André Lubaya, 1er secrétaire général adjoint du parti, seront les premiers à répondre à l’appel des billets verts du katangais en abandonnant l’UNC pour se rapprocher du G7 de Moïse Katumbi. Le 3 septembre 2016, Kamerhe ne peut que constater et déplorer les faits : ils sont virés d’un parti dont, de toutes façons, ils étaient déjà partis. L’un et l’autre monteront à la hâte chacun son propre parti politique … membre du G7 et de l’opposition … katumbiste. Kamehre n’essuyait là que les premières salves tirées des mines désaffectées et réaffectées de la riche province du Katanga par son rival à une présidentielle dont nul ne connaît du reste pas encore la date exacte, plus d’une année après.
Retour à la case départ
Secoué et affaibli, Vital Kamerhe accourt ventre à terre et toute honte bue vers le dialogue de la Cité de l’OUA dont les travaux s’ouvrent jeudi 1er septembre 2016. L’homme est précédé de sa réputation d’« opposant leveur de foules », et remet ses ambitions de primaturable à la Une. A ces travaux modérés par Edem Kodjo pour le compte de l’Union Africaine, Kamerhe est l’incontestable patron de la délégation des opposants. Même si à la formation du gouvernement au terme des assises, début octobre 2017, l’UDPS Sammy Badibanga a les préférences du très perspicace Joseph Kabila, réputé pour être doté d’une « véritable mémoire d’éléphant », selon le commentaire de ce diplomate africain qui lui-même n’a pas oublié les émeutes de janvier 2015. L’UNC devra se contenter de quelques strapontins ministériels, dont un portefeuille de ministre d’Etat au budget, qu’il confie au financier du parti, son ami de trente ans Jean-Pierre Kangudia Mbayi.
Retournement de veste
Au dialogue modéré par les prélats de l’église catholique romaine de la RD Congo, début décembre 2016, Vital Kamerhe décide de rester dans les rangs de signataires de l’accord précédant – ils prônent la tenue d’élections présidentielle législatives nationales et provinciales dans un délai raisonnable à convenir comme voie d’alternance au sommet de l’Etat – tant que ses intérêts politiques et financiers seront servis. Ils le seront, malheureusement à minima : l’UNC ne conserve qu’un portefeuille ministériel au terme la formation du gouvernement d’union nationale issu de l’accord de la Saint Sylvestre ; et Kamerhe n’est pas désigné à la prestigieuse présidence du Conseil National de Suivi de l’Accord et du Processus Electoral (CNSA), comme il l’avait souhaité ‘expressis verbis’. L’homme se lance alors dans une nouvelle croisade, à la fois contre Joseph Kabila et sa majorité ainsi que l’opposition radicale au pouvoir depuis mai dernier, et donc contre le processus électoral qui devrait conduire aux élections apaisées pour sortir le pays de la crise, comme convenu.
Le coup-bas de trop
Lundi 23 octobre 2017, Vital Kamerhe prend prétexte d’une réunion d’évaluation de l’accord politique du 31 décembre 2016 pour demander à l’unique représentant de l’UNC au gouvernement d’union nationale, le ministre d’Etat du budget Pierre Kangudia, quitter l’exécutif pour exprimer sa frustration. L’information est accueillie et répercutée à grand renfort de publicité par des médias globaux qui guettent à la loupe nids de poules, escarpements et autres dégradations du chemin critique devant mener à des scrutins honnis par l’Occident qui n’est plus sûr de voir ses protégés y triompher. « Le ministre du Budget qui représente un grand parti de la coalition au pouvoir quitte … », répète-t-on un peu partout dans les ondes et les colonnes des médias périphériques. Et un peu trop tôt.
Parce que dans la réalité, il en va tout autrement. Jean-Pierre Kangudia Mbayi, l’ami de trente ans, scandalisé par tant d’incohérence, refuse net d’obtempérer en faisant valoir le défaut d’équité et se sent personnellement visé par la hiérarchie du parti UNC. En effet, Les autres représentants du parti dans les institutions du pays ne sont pas concernés par la mesure, dénonce-t-il au cours d’un point de presse, mardi 24 octobre à Kinshasa. « Je refuse, pour satisfaire les intérêts égoïstes et personnels de certaines personnes, de créer inutilement une crise au sein du gouvernement qui va à coup sûr fragiliser les membres du gouvernement issus de l’opposition », déclare-t-il en substance. Intérêts égoïstes ? Cette fois-là, Vital Kamerhe semble avoir jonglé une fois de trop. Et perd celui que l’on présente comme le caissier de l’UNC. A force de retournements de veste…
J.N.