Dans le territoire rural de Beni au Nord Kivu, massacres et enlèvements des civils ont repris de plus belle depuis le week-end dernier. Une vingtaine de civils qui se rendaient à Beni-ville ont été massacrés ou sont portés disparus su l’axe Mbau-Kamango, à une quarantaine de km de le chef-lieu de ce territoire prospère du Grand Nord. Des positions Fardc ont été attaquées par les rebelles ougandais de l’ADF, selon des sources concordantes, ainsi qu’au moins un campement onusien. Deux casques bleus ont trouvé la mort dans des affrontements avec ces rebelles islamistes qui tentent de récupérer d’anciens bastions occupés par les troupes loyalistes, selon des sources dans la société civile locale. Selon un rapport du CEPADHO, une ONG locale, les rebelles ougandais se sont vraisemblablement réorganisés, en hommes et armes et viseraient Madina HQ, Canada Camp, Kabila Camp, KBG Camp, Sangote Camp, Topoke 1 et 2 jusqu’aux PK 36 et 40 sur l’axe Mbau-Kamango, qu’ils ont coupé depuis samedi dernier. Les ADF ont également attaqué les positions FARDC à Nadui, leur ancien bastion, d’où ils ont tenté de déloger sans succès les forces loyalistes.
32 otages civils
Le CEPADHO a livré force détails sur le massacre survenu le 7 octobre dernier de l’axe Mbau-Kamango, lorsque les ADF ont intercepté 9 motos en provenance de Kamango et Nobili, qui se rendaient à Beni et Oicha. Et fait état de 32 personnes prises en otage, dont 7 femmes relâchées et 3 hommes qui ont réussi à s’enfuir. Le reste, soit 22 personnes, sont portées disparues et seraient probablement tuées. Selon le témoignage d’une rescapée, 3 d’entre ces hommes avaient été exécutées devant elle, tandis que 15 autres attendaient le même sort, ligotés.
La situation sécuritaire dans la région de Beni est prise on ne peut plus au sérieux. Mercredi 11 octobre à Kinshasa, le porte-parole militaire de la MONUSCO, le Lieutenant-Colonel Serge Haag, a annoncé un dispositif sécuritaire capable de répondre aux attaques et de maintenir une forte pression sur les groupes armés opérant dans la région et d’intervenir en appui aux troupes loyalistes. Une force de réaction rapide a été déployée, soutenue par des hélicoptères d’attaque, a-t-il renseigné.
Des renforts de Kitona
Un jour plus tôt, mardi 10 octobre dernier, le ministre de la Défense Nationale, Crispin Atama Tabe, a annoncé l’envoi imminent de renforts en provenance de Kitona, Mura et Kamina pour faire face aux opérations, selon une information de nos confrères de la Radio Kivu 1 de Goma.
Néanmoins, la reprise des massacres des populations civiles suscite des commentaires en sens divers, dans la région de Beni particulièrement. Selon des sources indépendantes qui citent des rescapés de Mbau, les assaillants avaient réussi à intercepter les taxis motos parce qu’ils étaient vêtus de treillis Fardc, une information également confirmée par la radio Kivu 1 qui assure avoir interrogé un rescapé du massacre. Elle aurait pu mettre sérieusement des doutes sur l’identité des assaillants si la Monusco n’avait pas, elle aussi, fait les frais de cette nouvelle offensive.
L’identité des assaillants
Vendredi 6 octobre, un jour avant la déflagration de l’axe-Mbau – Kamango, Melchisédech Sikuli, l’évêque catholique de Beni-Butembo, accusait formellement les FARDC d’entretenir l’insécurité dans la région parce qu’elles « considèrent tous les wanande comme des maï-maï ». Dans le sillage de cette dénonciation aux relents égo-tribalistes évidents germent des hypothèses qui brouillent les pistes de recherche et désorientent. A dessein, manifestement. Notamment parce qu’elles ont toutes tendances à privilégier la thèse peu tenable d’un complot contre le peuple Nande commandité à partir de Kinshasa, chère à certains leaders politiques locaux. Et s’empressent de déculpabiliser d’anciennes composantes de l’ex. Armée du Peuple Congolais (APC) de Mbusa Nyamuisi, déjà citées dans les exactions commises contre des populations civiles dans la région par le passé, alors que jusque-là personne n’y avait fait allusion.
Incontournables implications locales
Vogue dans les mêmes eaux qui ont tendance à blanchir les terroristes, cette analyse de Jean-Louis Kyaviro, un ancien du RCD-K-ML de Mbusa Nyamwisi, récemment sorti de la prison de Makala à Kinshasa. Qui estime que si Kampala, qui ne peut rien ignorer de la situation sécuritaire à ses frontières, se garde de lever le plus petit doigt, il faut en conclure d’une part que le Président Museveni ne se sent guère menacé ; et d’autre part que c’est le N°1 Ougandais ce qui fait la loi dans la région de Beni. Ce à quoi il convient de lui rétorquer qu’ancienne rébellion locale créée de toutes pièces par l’Ouganda, le RCD-K-ML et ses dirigeants en savent sans aucun doute autant, selon cette observation d’un autre ancien de l’APC reconverti en fonctionnaire de l’Etat à la faveur de la création du gouvernement de transition en 2003. Dans un des sites en ligne qui pullulent dans les réseaux sociaux de la région, un certain Me Jean-Paul Paluku Ngahangondi, se présentant comme « président national de la CRDH » affirme pour sa part que les nouvelles attaques de Beni sont l’œuvre des éléments du désormais célèbre Colonel Tshibangu, qui aurait reçu le soutien d’un acteur politique que lui et sa source « très crédible » refuse de divulguer… Une information qui n’éloigne pas les investigations de la piste de l’ancienne rébellion de la région de Beni dans les années ‘2000, puisque le Colonel Tshibangu y avait fourbi ses armes après une formation à l’Ecole de Formation d’Officiers de Kananga (EFO).
Collusion entre maï-maï et ADF ?
Quoiqu’il en soit, au sujet de l’identité des nouveaux va-t-en guerre du Nord-Kivu, il est noté que la recrudescence des attaques coïncide avec les défaites récentes infligées par les FARDC aux maï-maï dans les territoires de Beni et de Lubero. Pour le CEPADHO, l’attaque des positions FARDC dans la région de Beni viserait, entre autres, à détourner les forces loyalistes de certains de leurs objectifs dans la région. « Le CEPADHO qui a toujours été persuadé des alliances entre ADF et MAï-MAï dans cette contrée attire l’attention sur le fait que ces groupes ne se combattent jamais entre eux mais peaufinent des stratégies communes pour fragiliser l’action des FARDC et insécuriser la zone », écrit l’avocat Omar Kavota, son président, dans un communiqué posté le week-end dernier à partir de Beni. L’ONG de défense des Droits de l’Homme invite en plus « … la hiérarchie militaire à considérer comme prolongement des ADF les maï-maï actifs à Beni-Lubero … ».
J.N.