On s’y est presque habitué, en RD Congo. Les ONGs n’en sont pas si elles ne s’en prennent pas avec virulence aux pouvoirs publics au-dessus desquelles elles ont systématiquement tendance à se placer. La situation dure depuis la décennie ’80 à peu près, sous l’ère de la dictature mobutiste, donc, lorsque les « Zaïrois », exténués par des décennies d’une dictature atroce, étaient prêts à se fier au premier venu, pourvu qu’il leur promettre des cieux plus cléments, « démocratiques », donc paradisiaques.
Une constitution promulguée après referendum populaire en 2006 au sortir de la tristement célèbre première guerre mondiale africaine qui a fait plus 5 millions de morts directes ou indirectes, selon des estimations onusiennes, et deux élections présidentielles et législatives n’y ont rien changé. ONG et organisations internationales champignonnent plus que jamais à Kinshasa et dans son immense arrière-pays, et disputent à l’Etat et aux nationaux les « solutions » prêtes-à-porter aux maux dont le pays est affligée : atteintes aux droits de l’homme, exactions diverses, pandémies, épidémies, problèmes sécuritaires, éducation, environnement, loisirs, sports … tout y passe.
Porte-voix de puissances occidentales
Lorsqu’une cinquantaine de prétendues « ONG locales » s’élèvent à l’unisson, le 6 octobre 2017 contre la candidature de la RD Congo au Conseil des droits de l’homme à Genève, contre leur propre pays en fait, cela paraît on ne peut plus normal pour beaucoup dans l’opinion publique. Même si une telle « élévation », si c’en est une, fait suite en réalité à une exigence exprimée dans ce sens quelques jours plus tôt par Nikki Haley, la volubile ambassadrice des Etats-Unis d’Amérique à l’ONU. La demande de report de la candidature de la RD Congo au Conseil des droits de l’homme, soumise par la représentante américaine, avait été mise en minorité par une coalition d’Etats africains révoltés contre les prétentions impérialistes de la diplomate à l’égard d’un Etat du continent par un pays qui est lui-même loin d’être exempt de délits liés aux mêmes droits, aussi bien sur son propre territoire qu’à l’étranger.
Mais il y a plus que cette soumission devenue presque rituelle des “petits nègres” aux diktats des puissants. En RD Congo même paraissent mensuellement depuis près de deux décennies des « rapports sur l’état des Droits de l’Homme », œuvres du Bureau Conjoint des Nations Unies pour les Droits de l’Homme (BCNUDH). Qui condamnent invariablement l’Etat et ses technostructures, placés crânement sur le même pied d’égalité que des groupes terroristes et autres bandits de grands chemins, de violations massives des droits de l’homme. Un véritable rituel qui, le 13 septembre dernier encore, dénonçait « 441 violations » (sic !) et en attribuait la majorité à la police nationale (PNC), aux Forces armées de la RD Congo (FARDC) et à l’Agence Nationale des Renseignements (ANR).
Criminalisation systématique de l’appareil d’Etat
A Kinshasa, le rythme des dénonciations par de prétendues organisations de défense des droits humains et autres organisations internationales avait atteint son point culminant en 2013, lorsque Human Rights Watch (HRW) s’était fendu d’un rapport reprochant aux forces de police d’avoir mis « trop brutalement » un terme au banditisme urbain des « Kuluna », des gangs armés d’armes blanches qui terrorisaient les populations de jours et de nuits, et avaient particulièrement ému l’opinion de la capitale rd congolaise en assassinant de sang-froid une femme enceinte au quartier Fikin dans la commune de Lemba. Comme s’ils vivaient sur une autre planète, les rapporteurs de l’ONG américaine ont estimé que « l’opération qui s’est étalée sur trois mois, entre novembre 2013 et février 2014, a été menée avec peu de respect pour l’État de droit. Les policiers qui y ont participé ont souvent agi de façon illégale et brutale, tuant au moins 51 jeunes hommes et adolescents et en soumettant 33 autres à des disparitions forcées ». Explication : « dans de nombreux cas, la police a abattu les jeunes non armés à l’extérieur de leurs domiciles, souvent devant des membres de la famille et des voisins. D’autres ont été arrêtés et exécutés dans les marchés ouverts où ils dormaient ou travaillaient, ou bien sur des terrains à proximité ou dans des espaces isolés. Cinq de ceux qui ont été assassinés au cours de l’Opération Likofi avaient entre quatorze et dix-sept ans. Beaucoup d’autres ont été emmenés dans des lieux inconnus et ont été victimes de disparitions forcées ». Sans aucune spécification permettant d’identifier les auteurs de ces crimes et leurs victimes…
Hrw : le nouveau désordre mondial
C’était loin d’être vrai, et HRW ainsi que les ONG locales qui l’ont suivi comme des moutons en versant elles aussi dans la publication de rapports analogues contre l’« opération Likofi » n’ont jamais apporté le moindre début de preuve de ces allégations jugées calomnieuses par une large partie de l’opinion kinoise qui avait approuvé les méthodes employées par les forces de police pour enrayer le fléau « Kuluna ». Surtout lorsque ces prétendues ONG de défense des droits de l’homme allèrent jusqu’à demander le limogeage du Chef de la police chargé de l’opération Likofi, le Général Célestin Kanyama.
Plus près de nous, dans les provinces kasaïennes où un tradi-praticien illuminé prétendant au trône de sa chefferie a monté une milice égorgeuse de tous les représentants de l’Etat et des Congolais ne parlant pas la langue tshiluba, les forces de police dépêchées pour rétablir l’ordre ont usé de la force légale, comme cela se fait un peu partout à travers le monde. Des morts ont été enregistrés de part et d’autre. Mais les objectifs poursuivis, le rétablissement de l’ordre et le retour de la sécurité, ont été quasiment atteints. Enfoncée dans ses certitudes arrogantes, HRW n’a pas raté l’occasion de réclamer à tue-tête une enquête internationale n’impliquant pas les autorités judiciaires congolaises, concourant ainsi quasiment aux objectifs poursuivis par les rapports cycliques du BCNUDH en plaçant sur le même pied d’égalité un pouvoir d’Etat et des milices terroristes.
Les 7 et 8 août 2017, à Kinshasa, Matadi et Boma, des éléments armés d’une secte politico-mystico-religieuse dénommée Bundu dia Mayala (BDM), ont attaqué les forces de police, tuant au moins deux officiers à Kinshasa. L’affrontement a également provoqué la mort de quelque 17 assaillants, ainsi que plusieurs blessés. Particulièrement à Kinshasa où les insurgés avaient investi les quartiers populaires de la Ndjili et de Selembao. Les assaillants capturés par les forces de police ont été présentés à la presse avant d’être mis à la disposition de la justice. Mais cela n’était manifestement pas suffisant pour les activistes déchaînés de HRW qui publièrent cette fois-ci leurs propres statistiques en annonçant 27 morts, sans se soucier d’apporter le moindre début de documentation de ses affirmations.
L’église catholique dans la danse
D’autres organisations dites de la société civile, comme l’église catholique romaine de la RD Congo, se complaisent elles aussi, de plus en plus, dans cette sorte de discréditation systématique des pouvoirs publics congolais. Cela s’était déjà observé dans les provinces kasaïennes mises sous coupe réglée par les terroristes se réclamant du trône Kamwina Nsapu, qui ont égorgé à tours de bras populations civiles, autorités coutumières, représentants étatiques ; incendié et pillé jusqu’aux lieux cultuels et communautaires catholiques. Ce qui n’a pas empêché les prélats de leur faire bénéficier d’une bien curieuse absolution paternelle accordée par le clergé local, plus prompt à condamner la « disproportion » de la réplique des forces de sécurité que le banditisme sans nom d’égorgeurs destructeurs d’églises et de couvents sans foi ni lois.
Le monopole de l’absolution des crimes autochtones n’est d’ailleurs pas une exclusivité du clergé catholique kasaïen. Dans un communiqué rendu public le 6 octobre 2017, Mgr Melchisédech Sikuli Paluku, l’évêque catholique de Beni-Butembo, a déploré l’insécurité dans la province du Nord-Kivu, dont fait partie son diocèse. «Les auteurs directs et indirects de ces comportements et exactions sont d’une part les milices composites et adverses (Mazembe, Nduma, MNR…) qui sont éparpillées dans la partie sud du territoire de Lubero (…) et les militaires FARDC qui sont déployés dans la même zone pour traquer les inciviques », a assuré ce prélat au caractère bien trempé. Ce que Mgr. Melchisédech Sikuli reproche aux Fardc, c’est de croire que « tous les Wanandes sont des Maï-Maï ». Il a donc appelé les autorités à « mettre fin à ce cycle infernal de violences et de tueries de personnes innocents ». On serait plus près de la vérité en affirmant que c’est plutôt à l’arrêt de l’intervention des forces de sécurité pour rétablir la paix dans cette région de plus en plus perturbée qu’appelle le prélat, et non pas nécessairement à l’activisme criminel mai-mai, qui participe peu ou prou d’une sorte d’« indépendantisme local », et que Mgr Sikuli n’a jamais osé condamné, en fait.
Thèses transnationalistes
Les assauts systématiques contre l’un des attributs fondamentaux du pouvoir d’Etat, les forces de sécurité et de l’ordre, plongent leurs racines dans une nouvelle rhétorique plus ou moins « scientifique » qui se développe … en Occident depuis la décennies ’70-’80 sur les relations transnationales. Elle s’articule autour des thèses sur l’effacement des frontières, le retrait de l’Etat, ou encore la fin du principe de souveraineté. Et sont l’apanage des … mouvements associatifs et autres ONG stipendiées dont l’influence est de plus en plus grandissante au sein du système des Nations-Unies elles-mêmes, qui les agréent le plus officiellement depuis la fin des années ‘40. Ce sont les apôtres zélés du nouvel ordre mondial, qui s’avère en réalité un nouveau désordre mondial conçu, comme tous les désordres mondiaux (esclavagisme, colonisation, course à l’industrialisation sauvage, capitalisme sauvage, la course aux armements) par les Occidentaux. Il consiste en assauts en règle contre tous les attributs traditionnels du pouvoir étatique : l’autonomie, la participation, la décentralisation, le consensus, l’Etat de droit, la démocratie, la transparence, la coordination et surtout la souveraineté.
En Afrique centrale, la RD Congo semble depuis un peu plus de deux décennies maintenant, le terrain privilégié d’expérimentation de ces thèses transnationalistes et du nouveau désordre mondial. Tout est parti des affrontements entre les armées d’au moins six pays du continent en plein territoire rd congolais entre 1996 et 1999. Quoique certains experts estiment que le conflit rwandais et le génocide qui l’a couronné en 1994 soit le vrai déclencheur d’un vaste mais subtil mouvement de neutralisation de l’Etat en RD Congo. Pour mettre un terme au conflit qui avait déjà causé la mort de millions de personnes, les Nations-Unies obtinrent un accord de cessez-le-feu entre les belligérants en 1999 (Accord de Lusaka). Une résolution du Conseil de sécurité prise le 30 novembre de la même année crée la MONUC (Mission de l’Organisation des Nations Unies en République Démocratique du Congo), chargée au départ de l’observation du cessez-le-feu et du désengagement des forces en présence avant de devenir une véritable force d’occupation.
Laboratoire d’expérimentation
Aujourd’hui en effet, 17 après, la mission onusienne devenue MONUSCO (Mission des Nations-Unies pour la Stabilisation de la République Démocratique du Congo) a progressivement muté à la faveur de Résolutions du Conseil de sécurité, se stabilisant elle-même davantage que le pays-continent dont elle avait la charge de la stabilisation des institutions. Si les forces armées étrangères qui opéraient en RD Congo ont formellement quitté le territoire national, le pays n’en fait pas moins les frais de rébellions et groupes armés nationaux et étrangers plus ou moins ouvertement soutenus par des pays voisins et des puissances étrangères, lorsqu’elles ne sont pas encouragées à prospérer par les rapports inhibiteurs de l’Etat congolais pondus à intervalles vertigineuses par les technostructures onusiennes comme le BCNUDH. C’est ce qui explique que malgré la présence de la plus grande mission de paix onusienne à travers le monde, forte de 19.815 soldats, 760 observateurs militaires, 391 fonctionnaires de police et 1.051 membres d’unités de police constituées, la paix et la stabilité du Congo et des Congolais restent une chimère. Se comportant en véritable Etat dans l’Etat en dépit de déclarations spécieuses contenues dans les multiples résolutions qui renouvellent son mandat année après année, coiffé par un Représentant spécial du secrétaire général des Nations-Unies en personne, qui dispute au chef de l’Etat et au gouvernement en place jusqu’à leurs prérogatives de souveraineté, en réalité, sous prétexte de protection des civils (dont l’Etat aurait été déchargé) et de préservation d’une paix aussi malmenée qu’il y a 18 ans, ou presque. Un véritable contre-pouvoir qui semble poursuivre ‘in fine’ l’objectif d’assujettir, restreindre, intimider, terroriser, criminaliser et discréditer tout pouvoir d’Etat réel et effectif, comme tout mouvement de contre-pouvoir à travers les quatre coins du pays de Lumumba.
Un pouvoir faible dans un Etat à neutraliser
Ce sont donc ces rapports du bureau de la MONUSCO chargé de l’observation du respect des droits de l’homme dans un pays post-conflit, qui permettent à une bureaucratie repue (son budget est de plus d’un milliard de dollars américains par an) de décrédibilser systématiquement les forces de sécurité étatiques, quasiment assimilées à des janissaires des groupes armés privés. Un puissant moyen de communication des masses est mis à contribution à cette fin avec la célèbre Radio Okapi qui, sous prétexte de véhiculer le message de la paix et de la démocratie, se charge plutôt de la propagation des thèses transnationalistes assassines de tout sentiment d’appartenance à un Etat. La prétendue « Radio de la paix », ainsi qu’elle s’est auto-surnommée, sape systématiquement depuis 17 ans la quasi-totalité des initiatives des pouvoirs publics qu’elle soumet à une critique des plus déloyales et qui ne s’embarrassent d’aucune déontologie professionnelle par des émissions-phares à téléphones ouverts, dont il est impossible de s’assurer que les intervenants n’ont pas été circonvenus à l’avance. « Enlevez les émissions ‘Dialogue entre Congolais’ et ‘Questions des auditeurs’, et 0kapi fermera », commentait à ce sujet un communicologue de l’Université Catholique de Kinshasa pour qui, plus qu’un média neutre, Okapi n’est en réalité qu’un média de neutralisation.
Les agences onusiennes
Dans la mise en œuvre du nouveau désordre mondial en RD Congo, toutes les agences onusiennes apportent leur grain de sel. A commencer par OCHA, l’organisme chargé de la coordination de l’aide humanitaire don de « bienfaiteurs » soucieux de «transnationaliser» les rd congolais. Au plus fort de l’offensive des FARDC visant à récupérer la localité de Mboko dans la région de Fizi des mains des milices Yakutumba, le 17 septembre dernier, OCHA a rendu public un communiqué révélateur de ses priorités en RD Congo en dénonçant le déroulement des combats ! Parce qu’ils avaient « un impact négatif sur la tenue des activités humanitaires en faveur des réfugiés … » a-t-on lu dans cette communication qui déplorait cyniquement « une conséquence directe de cette offensive (qui) pourrait être le retard de l’ouverture du nouveau camp de réfugiés de Mulongwe, au Sud de Baraka destiné à accueillir les quelque 2.500 réfugiés et demandeurs d’asile burundais qui se trouvent actuellement à proximité de la base de la MONUSCO à Kamanyola … ». Traduction : les priorités des onusiens dans la région sont à la sécurisation des Burundais, pas la consolidation de l’autorité de l’Etat rd congolais par la reprise du contrôle des localités occupées par des milices étrangères qui venaient d’assassiner et de mutiler un officier FARDC ! Une déclaration qu’on ne doit pas au hasard des événements. C’est véritablement un des attributs essentiels du pouvoir dans tout Etat de droit que sapait ainsi délibérément la déclaration d’OCHA : l’obligation d’assurer la défense du territoire national, contrebalancée par la présence de réfugiés burundais sur le même territoire, une priorité transnationale dans cette nouvelle compréhension des relations dans un Etat mise en œuvre en RD Congo. Parce que pour les théoriciens du nouvel ordre mondial désordonné, il n’y pas point de gouvernement, seulement de la gouvernance ; pas d’illégalités, mais des anomalies qui se règlent au moyen de « dialogues » à répétition. Est-ce un hasard si l’émission-phare de la radio onusienne en RD Congo s’intitule … « Dialogue entre Congolais » ? Le nouvel ordre mondial est un monde de marchandages entre groupes d’intérêts.
Le désordre mondial, seulement chez les autres
Seulement, le fameux nouvel ordre mondial semble destiné, non pas à l’Occident d’où en a germé l’idée, mais aux pays du tiers-monde. Tout se passe, en effet, comme si l’enfer c’était exclusivement les autres. En Europe, les mêmes ONG qui prônent le nouvel ordre mondial et ses avatars se cantonnent strictement dans une sphère d’activités située hors du champ d’actions étatiques qui restent un domaine solidement tenu en mains par le pouvoir politique. Ce n’est que sous les tropiques africaines qu’elles ont décidé à « domestiquer » par divers stratagèmes les compétences régaliennes des gouvernements, notent les experts. Dans l’hémisphère Nord, non gouvernemental signifie effectivement « en dehors du gouvernement ». Jamais « contre le gouvernement ». Financées, écoutées, accréditées par le pouvoir d’Etat, les ONG l’y servent. La chute du communisme, événement dans lequel la « société civile » d’Europe de l’Est a joué un rôle majeur sous le regard bienveillant des membres du G7 (le vrai G7, celui qui regroupe les principales puissances économiques mondiales), en est une parfaite illustration.
Ce n’est donc qu’en Afrique, particulièrement en RD Congo, qu’organisations internationales et autres ONG se permettent l’incroyable audace de se constituer en contre-pouvoir pour l’Etat. Sous le regard complaisant de l’ONU.
J.N.