En séjour en Europe depuis la semaine dernière, pour mener un plaidoyer en faveur de la mise en œuvre de l’Accord dit de la Saint Sylvestre, la délégation de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) conduite par Mgr Marcel Utembi n’en a pas moins réitéré son appel au Djihad de juin dernier. En sus du tableau apocalyptique que les évêques ont présenté à l’appui de leur sollicitation de l’implication des puissances occidentales dans la situation politique rd congolaise, la délégation a relancé son appel à se mettre debout contre le pouvoir. Invité à l’émission « Afrik’Hebdo » de la RTBF samedi 30 septembre dernier, le père Clément Kadiobo, un membre de la délégation, a notamment déclaré que « depuis des mois, nous répétons aux congolais le même message : la RDC va très mal, mais ils doivent se prendre en main, sans attendre de solutions extérieures. Ils doivent créer leur avenir, se mettre debout c’est-à-dire exiger leurs droits. Il y a de nombreuses méthodes non-violentes pour exiger des élections. Nos frères aux États-Unis ont réussi à se battre dans la non-violence pour obtenir des droits civiques. Les Congolais peuvent eux aussi faire ». Sans vraiment surprendre l’opinion dans leur pays, en ce compris de nombreux chrétiens catholiques pratiquants, qui se fait depuis plusieurs années maintenant à l’idée que les évêques mènent un combat politique sans grand rapport avec leurs missions évangéliste et pastorale. Et qui, comme tout combat politique, transpire le parti pris par toutes les pores.
Des périples européens en cascade
Le énième périple européen des calottes sacrées catholiques romaines de la RD Congo, c’est pour ouvrir la porte ouvrable du retour en force des Européens en RDC. Par n’importe quelle voie, pourvu qu’ils y retournent et mettent fin aux velléités indépendantistes et souverainistes en germe dans cet immense pays au centre du continent noir, réputé pour ses richesses naturelles et stratégiques. Sans être totalement faux, le tableau apocalyptique peint à l’intention de l’opinion publique occidentale n’a rien de nouveau pour les rd congolais. Ils le vivent depuis 20 ans et tentent laborieusement de se tirer des gouffres des violences récurrentes dans lesquelles la responsabilité de groupes d’intérêts… européens est plus qu’avérée. Paradoxalement, ce groupe d’évêques catholiques congolais développe un discours destiné à préparer l’opinion internationale à une intervention dans un pays étranger sous prétexte de crise politique ou humanitaire aigüe. Comme cela s’est déjà vu ailleurs à travers le continent et le monde. C’est la mise en œuvre du fameux « plan B », une menace brandie toute honte bue par Mgr. Fridolin Ambongo lors des discussions directes entre protagonistes de la classe politique congolaise au centre interdiocésain de Kinshasa en décembre 2016. Pour faire fléchir ceux au sein de la classe politique rd congolaise qui questionneraient la légitimité d’un tel schéma qualifié de « néocolonialiste » par d’aucuns et on le comprend mieux aujourd’hui, qui s’adressait particulièrement à la majorité au pouvoir à Kinshasa, jugée trop « souverainetiste ».
Semi alternance politique
Parce que c’est cela le plaidoyer pour l’application prétendument parfaite de l’Accord du 31 décembre 2016 : le partage « équitable », hors élections du pouvoir d’Etat entre l’opposition radicale pro-occidentale et la majorité issue des scrutins de 2011. En fait une forme de semi alternance au sommet de l’Etat avant les scrutins transparents et apaisés, tel est le combat clérical catholique en RD Congo. Qui remonte aux lendemains de l’élection pour seconde fois consécutive de Joseph Kabila à la présidence de la République. Les évêques de l’église catholique n’ont pas cessé de prêcher le « strict » respect de la constitution, particulièrement en ses dispositions verrouillées qui limitent les mandats du Chef de l’Etat à deux. Et appellent à l’alternance politique au sommet de l’Etat. Comme ce message du comité permanent extraordinaire de la CENCO de novembre 2015, il y aura bientôt 2 ans. Les évêques catholiques y affirment que « l’avenir heureux de la République Démocratique du Congo réside incontestablement dans la sauvegarde de l’intégrité du territoire national, le respect de la constitution, socle de notre jeune démocratie, et dans la tenue des élections libres et transparentes dans les délais constitutionnels ». Mais ils annoncent aussi leur contribution à la consolidation de la paix, au respect de la constitution et de la démocratie : une marche des chrétiens, hommes et femmes de bonne volonté, à tenir le 24 février 2016 ; et un appel du peuple à la vigilance dans le cadre du premier alinéa de l’article 64 de la constitution selon lequel, soulignent-ils «Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de cette constitution ». Sans aucune référence à l’alinéa 2 du même article 64 qui proscrit toute tentative de prise de pouvoir par des moyens non prévus par la constitution.
Acquis aux thèses de l’opposition politique
C’est plus que ne l’avaient encore osé les partis politiques rangés sous la bannière de l’opposition à l’époque. Au terme de leur 53ème assemblée plénière, en juin 2016, les évêques catholiques s’étaient fendus d’une nouvelle déclaration aussi soucieuse de l’alternance au pouvoir et proposaient (déjà) leurs bons offices à la classe politique. Alors qu’en réponse aux exigences d’une partie de l’opposition radicale qui tenait à une facilitation internationale, l’Union africaine avait désigné le Togolais Edem Kodjo depuis au moins 6 mois, en janvier 2016. Et que les travaux préparatoires de ces assises qui se sont tenus à la Cité de l’Union Africaine au Mont Ngaliema s’étaient clôturés avec quelque succès, la quasi-totalité des forces politiques rd congolaises y avait pris part. C’est donc contre mauvaise fortune bon cœur que l’église catholique romaine avait pris part au dialogue politique proprement dit qui s’était ouvert le 1er septembre 2016. Avant d’en claquer la porte au premier prétexte venu (le deuil des casseurs tués lors d’une manifestation de l’opposition) et de brandir à nouveau ses revendications politiciennes.
Patronner le dialogue, coûte que coûte
Les évêques catholiques proches de l’opposition radicale ont en effet profité des manifestations violentes de l’opposition radicale rangée sous la bannière de l’UDPS/Tshisekedi pour se retirer du dialogue de la Cité de l’Union Africaine, insuffisamment représentatif à leur avis parce que l’UDPS précisément, ainsi que le G7 de Moïse Katumbi n’y prenaient pas part. La CENCO ne « … ne signera pas un accord qui n’engagera pas l’ensemble des acteurs politiques », de même qu’elle ne « signerait pas ou n’approuverait pas un accord qui ne respecte pas le cadre constitutionnel, particulièrement les articles verrouillés, dont l’alternance politique », psalmodiait l’abbé Donatien Nshole, leur porte-parole. Les prélats catholiques exigeaient, à l’unisson avec l’opposition katumbiste, que l’accord politique à intervenir à la fin du dialogue devait stipuler clairement que le président de la République en place ne briguerait pas un troisième mandat consécutif. Faux prétexte en réalité parce que la modification de la constitution, condition sine qua non de toute prolongation du mandat présidentiel, ne figurait même pas sur la feuille de route des travaux du dialogue…
Ce n’était pas l’unique excentricité des calotins à ce dialogue qui, on le sait aujourd’hui, fut plus productif que celui qui lui a succédé trois mois plus tard au Centre catholique interdiocésain de Kinshasa. On rappelle à cet égard que lorsqu’ils participaient aux travaux du dialogue, les évêques de la CENCO s’étaient déjà illustrés par une prétention inattendue. En exigeant que la CENI leur soumette un calendrier électoral à faire examiner par leurs experts avant toute discussion sur la question. Une exigence qui avait sonné comme une énorme tentative d’usurpation de pouvoir, compte tenu de l’indépendance ‘erga omnes’ reconnue à la Commission électorale par la constitution et du fait qu’au dialogue politique facilité par l’UA, l’église catholique n’avait pas statut de partie prenante. Elle émargeait au quota d’une composante, la société civile, qui comprend de nombreuses autres organisations ainsi que des représentants d’autres confessions religieuses actives sur le territoire national.
Négocier des modifications constitutionnelles
Début décembre 2016, c’est donc à des évêques se sentant à l’étroit dans le rôle de simples membres de la composante « société civile » parmi beaucoup d’autres que, bon prince, le président Joseph Kabila confiait une mission de « bons offices ». Pour « tenter d’élargir l’assiette des participants à ce dialogue décisif pour la suite de la période pré-électorale à venir ». Parce que 3 mois auparavant, leurs excellences avaient déjà tenté d’évincer le médiateur désigné par l’UA en se re-proposant eux-mêmes médiateurs le 10 août 2016. Ils l’avaient clairement déclaré à Edem Kodjo avant d’initier des contacts avec la classe politique. Sans plus de succès que l’ancien premier ministre togolais, puisque les radicaux tshisekedistes-katumbistes ne s’étaient guère laissés convaincre. Se prononçant sur le cas du diplomate Togolais contesté par l’opposition tshisekediste-katumbiste, Donatien Nshole assura placidement que « Edem Kodjo n’est pas un problème capital mais étant donné qu’il est rejeté par plusieurs acteurs politiques, c’est à ce moment-là qu’il faut réfléchir sur un mécanisme qui arriverait à impliquer l’opposition ».
On le sait aussi aujourd’hui, depuis que de plus en plus de langues se délient : le dialogue facilité par les évêques de l’église catholique romaine de la RD Congo s’est essentiellement focalisé sur le partage du pouvoir durant la période pré-électorale, reléguant les questions électorales pourtant susceptibles d’assurer une alternance pacifique au sommet de l’Etat au second plan. Il s’agissait pour les prélats d’associer (ou d’imposer) l’opposition radicale à l’exercice d’un pouvoir à partager « fifty-fifty », sous le prétexte de forclusion de délais et d’échéances constitutionnelles aux mandats de Joseph Kabila, déjà élu à deux reprises. Ce que la constitution en vigueur ne prévoit nulle part, les radicaux de l’opposition et les calottes sacrées catholiques ne l’ignoraient guère. Comme chacun en RD Congo le sait, pour éviter tout vide au sommet de l’Etat et des institutions à mandats électifs, le texte fondamental adopté par referendum en 2005 dispose que les détenteurs de ces mandats ne peuvent être remplacés qu’au terme d’élections, par de nouveaux élus. A cet égard, à l’instar des députés nationaux et provinciaux ainsi que des sénateurs, le Président de la République dispose d’une cuirasse constitutionnelle à toute épreuve, quoique l’on prétende. La perception des fameux bons offices par les évêques catholiques consistaient donc, en réalité, à négocier des transgressions constitutionnelles derrière lesquelles s’abritaient Joseph Kabila et sa majorité au pouvoir ; à mettre en œuvre une semi alternance au sommet de l’Etat au terme des délais dits constitutionnels, mais en dehors des termes de la même constitution.
Secours occidental pour violer la constitution
Les croisades cléricales en Occident et outre Atlantique poursuivent les mêmes objectifs politiques, au prix de contorsions dignes d’acteurs d’un cirque. Pas plus tard que mercredi 28 septembre dernier, l’Abbé Donatien Nshole dégainait contre la mise en œuvre de l’accord dit de la St Sylvestre dans la presse : « Nous savons combien cet accord souffre d’une mauvaise mise en œuvre et c’est dans ce cadre que les évêques veulent obtenir des uns et des autres un concours pour qu’on arrive à bien le mettre en œuvre », assurait-il. C’est le même prêtre de l’église catholique romaine rd congolaise qui expliquait, à la veille de la remise des conclusions de la mission des bons offices au Président Kabila, que « … le gros du travail a été fait. Jusqu’à la dernière plénière, il restait encore deux points de divergence. Mais les évêques ont décidé de mettre fin à leur mission aujourd’hui si jamais leurs propositions ne sont pas prises en compte… ». Comment la mise en œuvre d’un accord sur lequel « le gros du travail avait été fait » peut-il contraindre des responsables d’une association privée confessionnelle à une nouvelle « mission » consistant en un plaidoyer sans mandat de qui que ce soit en terre étrangère ? Si l’essentiel avait été fait, pourquoi le détruire ?
J.N.