En rire ou en pleurer ? Les deux attitudes ne sont pas si éloignées qu’on l’aurait imaginé, pour ceux des rd congolais qui s’intéressent aux tribulations de l’arène politique dans leur pays. Le 26 septembre dernier devant les caméras de la chaîne publique française France 24, Moïse Katumbi Chapwe, l’ancien gouverneur de la riche province minière du Katanga passé à l’opposition il y a un peu plus d’un an, s’est proclamé « sauveur de la RD Congo ». Rien de moins que ça. L’homme d’affaires de 52 ans, également président de la formation sportive la plus capée du pays, avait annoncé sa candidature à la prochaine présidentielle alors qu’il était à deux doigts d’être « embastillé » par la justice pour diverses atteintes à la sûreté de l’Etat en avril 2016. Avant d’être condamné, quelques mois plus tard, dans une affaire de spoliation d’immeuble par contumace, parce que le chairman du TP Mazembe, n’osant pas se rendre à son rendez-vous avec les juges vit en exil là l’étranger.
Une constitution qui permet de “chasser”
Katumbi Chapwe a ainsi promis de « faire appel à la rue » pour faire partir le Chef de l’Etat en place en RD Congo élu en 2006 puis en 2011, Joseph Kabila Kabange. « Nous allons le chasser, nous allons faire appel à la rue car la constitution le permet », a-t-il annoncé le plus sérieusement du monde à nos confrères de France 24 qui, eux, riaient sans doute sous cape. Parce qu’on n’imagine pas une constitution au monde qui permette la « chasse » d’un Président de la République, sauf en « pays sauvages ». C’est l’image que ce candidat à magistrature donne de l’Etat qu’il entend diriger. Quelques jours auparavant, l’ancien gouverneur de l’ex. Katanga et Félix Tshilombo Tshisekedi, son factotum, avaient donné de la voix depuis un hôtel de New York où ils séjournaient, réitérant un projet de « transition politique sans Joseph Kabila » à la tête de la RD Congo.
Un candidat à la magistrature suprême qui a maille à partir avec la justice de son pays (pas seulement, puisque Katumbi a déjà été poursuivi par la justice zambienne il y a quelques années), cela se fait, en RD Congo. Ancien gouverneur du Katanga minier, Moïse Katumbi s’est tissé quelques solides amitiés dans les milieux des multinationales minières, en même temps qu’il se constituait un pactole consistant, en grugeant les recettes publiques. Cela suffit pour s’acheter du beau monde. Mais sûrement pas pour sauver un pays comme la RDC.
Repris de justice
Parce que rameuter des foules de fanatiques sportifs n’est pas la même chose que diriger un pays, en avoir une vision salvatrice. Pour beaucoup d’observateurs, en RD Congo comme à l’étranger, l’ascension vertigineuse de l’ancien vendeur de chinchards pour le compte de son richissime demi-frère, Raphaël Katebe Katoto, va de pair avec quelques affaires des plus scabreuses. Et sa condamnation dans une vulgaire affaire de spoliation d’un immeuble, propriété d’un sujet grec à Lubumbashi, n’est que la face pâle d’un immense iceberg. L’homme qui s’était procuré des millions de dollars en revendant sur le marché mondial des titres miniers acquis de manière douteuse sur le dos de la défunte Gécamines quelques semaines plus tôt est en effet tout sauf un saint. Même s’il n’a fait jusqu’à ce jour l’objet d’aucune poursuite dans ces transactions minières criminelles.
Il reste que sur l’affaire Stoupis, du nom du sujet grec dont Katumbi s’est frauduleusement accaparé de l’immeuble à Lubumbashi (comme beaucoup d’autres dans cette province désertée en catastrophe par nombre d’expatriés dans les périodes troubles qui ont suivies l’accession du pays à l’indépendance), Moïse Katumbi a bel et bien été condamné. Jugé par défaut, l’ancien gouverneur a été dûment condamné par le tribunal de paix de Kamalondo à 3 ans de prison le 22 juin 2016. L’affaire faisait encore débat dans les milieux politiques rd congolais, parce que le condamné avait interjeté appel, lorsqu’il est apparu, mi-août 2016, que le milliardaire avait réussi à acheter au moins deux membres de la composition qui avait rendu le jugement. Dont un greffier de ce tribunal qui avait pris la clé des champs avec tout le dossier physique. Cela ne s’était jamais vu auparavant dans l’histoire des juridictions congolaises. Dans le dossier du tribunal de Kamalondo, une juge fut exfiltrée à grand frais vers l’étranger (aux USA, puis en France où elle séjourne depuis) où elle dénoncera toute honte bue sa propre signature apposée au bas d’un document contresigné par deux autres collègues. Dans le même temps qu’un huissier de justice assermenté payé Katumbi commettait le parjure parfait en disparaissant, de son côté, avec le dossier physique de l’affaire Katumbi-Toupis.
Pâle face l’iceberg
Dans une autre affaire autrement plus sérieuse, dans laquelle il était poursuivi pour atteinte à la sûreté de l’Etat, Moïse Katumbi n’a pas fait preuve de plus d’égard à l’endroit de la justice du pays qu’il ambitionne de diriger. Poursuivi pour présomption de recrutement de mercenaires, l’ancien gouverneur de l’ex. province du Katanga s’est offert une parade dont il continue à user et à abuser encore amplement aujourd’hui : la politisation d’une instruction judiciaire qui, comme on le sait se fait « à charge comme à décharge », c’est selon. Il s’empressera lors d’annoncer qu’il était candidat à une présidentielle dont la date est loin d’être connue par qui que ce soit sur la planète. Parce que le 24 avril 2016, alors qu’il tentait de tenir un meeting non autorisé au Stade Kamalondo de la capitale cuprifère, les forces de l’ordre avaient mis la main parmi des éléments de sa garde rapprochée, de sujets américains armés de pied en cap alors qu’ils avaient été admis sur le territoire de la RDC en qualité de fermiers. Il s’est avéré qu’il s’agissait d’anciens Marines US. Le dossier judiciaire ouvert à sa charge sera popularisé à souhait. Pour se rendre à la Cour d’appel de Lubumbashi chargée de l’instruction de l’affaire, Katumbi s’offrira un tour de la ville, pour rameuter des supporters stipendiés de son équipe qui sont venus « suivre » des audiences à huis-clos ! L’ex. gouverneur a transformé son affaire avec le parquet en une sorte de match de football qui devait se dérouler sous les huées de centaines de loubards déchaînés contre les juges. Encore que Moïse Katumbi lui-même ne tint pas le coup dans les affrontements qui s’en sont suivis entre forces de police et sa bande de fanatiques. Pris dans une violente bousculade après la seconde séance d’audition à la Cour d’appel de Lubumbashi, l’homme se fit porter malade et demanda à être évacué en Afrique du Sud pour y suivre des soins médicaux.
Justice foulée aux pieds
Mais même le séjour médical accordé par la justice de son pays a été comme snobé, puisqu’il est devenu un quasi exil. Depuis le 20 juin 2017, le Procureur Général de la République, Flory Kabange Numbi, a retiré l’autorisation de sortie accordée à l’ancien gouverneur, selon une correspondance en bonne et due forme adressé à un de ses avocats rd congolais, Me Joseph Mukendi. « En vertu du paragraphe trois de la correspondance [ayant autorisé Moïse Katumbi à quitter le territoire congolais], je retire à votre client ladite autorisation lui accordée le 20 mai 2016. Il est tenu dès la réception de la présente à se présenter devant le magistrat instructeur », écrivait le 1er flic du pays. Mais on ne peut pas prétendre qu’il ait été entendu.
Le candidat futur président de la République en RD Congo est donc plus qu’un délinquant. Non seulement il se joue des institutions judiciaires de son pays, mais il en fait ce que bon lui semble grâce à ses immenses moyens financiers. De quoi faire hérisser les cheveux de la tête de tout bien-pensant : qu’est-ce qu’il adviendrait de ces instances judiciaires, si critiquables soient-elles, si un tel personnage accédait à la magistrature suprême ?
J.N.