En RD Congo, le front social est en effervescence, c’est le moins qu’on puisse dire. Aux grèves et menaces de grèves dans les milieux de l’enseignement primaire, secondaire et universitaire se sont ajoutées celles des médecins, que le gouvernement s’est investi à juguler au mieux. Mais il reste cette menace de pénurie de carburant qui pend comme un spectre depuis plusieurs jours. Des files de véhicules devant les stations de vente d’essence et de mazout s’observent depuis le milieu de la semaine dernière, qui attestent que les distributeurs rationnent strictement la vente. Pour forcer le gouvernement à renégocier le prix de vente à la pompe. En juin dernier, il y a donc un trimestre, la même opération avait conduit l’exécutif à concéder une augmentation de plus ou moins 1000 FC, le prix du litre passant de 1.650 à 1.730 FC. En entraînant derrière lui une flambée de prix des biens de première nécessité et sa cohorte de conséquences sur le portefeuille des gagnepetits, soit près de 10 millions d’âmes, rien que pour la ville-province de Kinshasa.
Rentrée dans l’effervescence
Pénurie de carburant et ébullition sociale riment donc dangereusement, autorités publiques et vendeurs-distributeurs de produits pétroliers, qui se savent capable de tenir l’exécutif par la gorge, ne l’ignorent pas. Les deux parties semblent jouer au plus malin en RD Congo où une réunion de concertation se tenait lundi 4 septembre 2017 pour tenter de juguler une crise qui naîtrait de la pénurie de carburant sur le marché. Jusqu’au moment où Le Maximum mettait sous presse, le même lundi tard dans la soirée, les conclusions issues de cette concertation n’étaient pas encore connues.
Néanmoins, tout engagé à la lutte pour le raffermissement du franc congolais sur le marché de change, une autre menace autrement sérieuse sur le front social, le gouvernement ne semblait pas décider à céder aux pressions des pétroliers qui exigent de passer à 1.700 FC/le dollar US pour leur permettre, soutiennent-il, de renouveler leurs commandes et ainsi d’éviter la rupture des stocks. Jeudi 31 août 2017, le ministre d’Etat à l’économie nationale dont dépend le réajustement de la structure des prix se déclarait fermement opposé à l’augmentation du prix de vente de carburant à la pompe. « Il n’y a pas pour le moment des raisons pour une nouvelle augmentation du prix des carburants à la pompe dans la mesure où le gouvernement a consenti d’énormes sacrifices en faveur des opérateurs économiques du secteur pétrolier en leur accordant des facilités en termes d’allègements fiscaux et en la mise à disposition par la Banque Centrale du Congo d’un fonds de l’ordre de 20 millions de dollars américains pour faciliter aux opérateurs économiques l’importation des marchandises et autres produits dont le pays a besoin », assurait l’UDPS Joseph Kapika.
Les pétroliers se mêlent de la danse
Ce n’est pas le point de vue des pétroliers, qui soutiennent que le taux de change pratiqué en RD Congo est irréel et ne permet pas le renouvellement des stocks qui arrivent à épuisement. « Le gouvernement est conscient que le taux de 1680 FC par exemple ne tient pas. Mais comme il y a toujours un mécanisme de paiement de perte ou de manque à gagner, si le paiement traine, ça crée déjà un problème. Parce que soixante jours après si vous ne payez pas, ces gens-là ne vont plus vous donner et les sociétés seront en difficulté pour s’approvisionner. Donc elles n’importent plus. Il faut arranger de ce côté-là, essayer de mettre à la disposition des sociétés provinciales des devises au taux préférentiel », explique à la presse Bope Mbatshi, ci-devant vice-président Groupement professionnel des distributeurs des produits pétroliers (GPDPP).
Les stocks ne sont pas menacés
Seulement, sur la question de l’épuisement des stocks, les pétroliers ne parlement pas le même langage. Dans ce secteur dominé, il est vrai, par les grands fournisseurs, le Service des Entreprises Pétrolières (SEP/CONGO) qui gère les installations de stockage du pays, a annoncé dans un communiqué daté du 29 août dernier, que « Le pays dispose d’un stock de carburant suffisant pour approvisionner régulièrement et de façon continue l’ensemble du territoire national ». Il y a donc de la manipulation en l’air, pétroliers tentant de faire plier l’Etat rd congolais et le soumettre à leur diktat, voire pire que cela. Parce que dans le fond, c’est contre le raffermissement du taux de change qu’oeuvrent les pétroliers en rationnant la distribution du carburant dans le but de le faire grimper d’où il est redescendu depuis quelque 2 mois en RD Congo, c’est-à-dire à 1.700 FC/le dollar.
Déstabilisation
Derrière la crise du carburant peut donc se dissimuler des enjeux politiques qui relèvent des tentatives, déjà nombreuses, de déstabiliser le pouvoir politique rd congolais. La stratégie, plutôt vieille, a déjà été mise en pratique dans nombre de pays dont la tête des dirigeants n’a pas plu aux puissances économico-financières du monde. Comme le Cubain Fidel Castro, Salvatore Allende du Chili, et plus près de notre époque parce que la crise dite économique dans ce pays perdure encore, le Venezuela, c’est d’une autre guerre qui est en train d’être imposée en RD Congo : la guerre économique susceptible de déboucher sur un coup d’Etat. L’embargo décrété par les Etats-Unis contre Cuba, qui a duré des décennies, est universellement connu. En 1970, c’est un ordre du Président américain Richard Nixon à la CIA, « Make the economy scream » (faites crier l’économie) qui a sonné le glas du régime de Salvatore Allende en réalité. Ce sont les nombreuses mesures de rétorsion mises en œuvre contre Santiago (blocage d’avoirs, manœuvres contrer la consolidation de l’économie, pressions sur le coût des matières premières dont dépendait l’économie du pays…) qui ont mis le socialisme naissant à genoux.
L’illustration vénézuélienne
Au Venezuela s’applique la même formule depuis Hugo Chavez : dans ce pays du continent américain aussi, les porte-parole officiels et officieux du patronat soutiennent que le gouvernement n’octroie pas aux entreprises les dollars nécessaires à l’importation et à la production du pétrole. Seulement, des analyses économiques rigoureuses révèlent que comme en RD Congo, le Venezuela pratique un contrôle du taux de change pour éviter la fuite des capitaux depuis 2003. Mais aussi, que les entreprises privées reçoivent de l’Etat des devises pour l’importation des biens et services. En 2004, quelque 15,75 milliards USD ont été mis à la disposition des opérateurs économiques au Venezuela. En 2013, cette somme a quasiment doublé, passant à 30,859 milliards. Mais cela n’a pas empêché les biens essentiels dont les populations ont besoin de disparaître. Les conclusions de Pascualina Curcio, une économiste de l’Université Simon Bolivar, sont éclairantes : il s’agit d’« une pénurie programmée et sélective des biens de première nécessité ; une inflation artificiellement provoquée ; un embargo commercial camouflé ; un blocus financier international. Auxquels on ajoutera, depuis avril 2017, la violence insurrectionnelle soutenue par les Etats-Unis, leurs alliés régionaux (Argentine, Brésil, Mexique) ainsi que l’Union européenne, sanctifiée par les commissaires politiques des médias. Ce que d’aucuns appellent « une guerre de quatrième génération ».
Les firmes internationales en RD Congo
La situation vénézuélienne n’est guère différente de celle de la RD Congo dirigée par la descendance idéologique de Patrice-Emery Lumumba et Mzee Laurent-Désiré Kabila. Dans le système économique hérité de la colonisation qui étrangle l’un des pays les riches de la planète en matière de ressources naturelles, le secteur pétrolier, comme les autres secteurs de l’économie, est régenté par de puissantes firmes internationales. En 2009, un poignée d’entre ces firmes assuraient 90 % des approvisionnement du pays : Glencore, le leader, Addax Petroleum, Arcadia, Trafigura et … Total Outre-Mer. Les 10 % restant étant disputés entre Orion Oil et Sapro Oil, selon une enquête de nos confrères de Jeune Afrique.
La distribution des produits pétroliers en RD Congo est mêmement régentée par ces firmes internationales qu’on appelle majors, dont au moins 3 accaparaient environ 60 % du marché à la même période : Fina Congo (26 %), Engen RDC (20 %), et Elf Oil RDC (13 %). Cobil, la rd congolaise occupait 10 petits % de ce marché stratégique, contre 1,9 % à l’angolaise Sonangol, et 0,6 à Congo Oil (Cohydro et Sapro Oil). Pas besoin d’être sorcier pour voir d’où proviennent les coups de butoir contre la stabilisation de l’économie rd congolaise.
Guerre de quatrième génération
Comme partout où les puissances occidentales ont tenté d’imposer leur loi, en RD Congo, la vague de sanctions économiques dites ciblées contre les personnalités proches du pouvoir politique s’ajoute, de toute évidence, une guerre de sape de l’économie nationale. Elle vise le mécontentement et le ras-le-bol de la population, première victime de ces mesures anti-sociales, sur lesquels il suffira, le moment venu, de greffer des revendications politiques qui n’en sont pas, en réalité.
Est symptomatique à cet égard, le curieux concours de circonstances de nature à bouter le feu à la maison en ce mois de rentrée scolaire. Ce n’est sûrement pas par hasard que les pétroliers ont choisi de rationner la distribution du carburant à Kinshasa à quelques jours de la rentrée scolaire, au milieu de menaces de grèves de toutes parts, et à quelques jours de manifestations publiques d’acteurs politiques de l’opposition qui prônent la substitution d’une transition dite citoyenne à l’ordre constitutionnel en place.
La pénurie du carburant, avant les autres pénuries artificielles à venir, c’est une véritable guerre contre le pouvoir en place, qui ne dit pas son nom.
J.N.