Les faits se sont déroulés à quelques dizaines de mètres du cœur de la ville de Kinshasa, la capitale de la RD Congo, au Marché Central (« Zandoya Munene ») bien connu. Vendredi 14 juillet 2017 en milieu de journée, des individus armés non autrement identifiés officiellement, mais que l’opinion tient pour des adeptes BDK (Bundu Dia Kongo), ont pris d’assaut le bureau de coordination de ce centre commercial. Des postes de la Police Nationale Congolaise (PNC) avoisinants ainsi que les bureaux de l’Administrateur gestionnaire du marché, Madame Chantal Mboyo, étaient visés. Les assaillants se sont faufilés entre marchands, vendeurs à la criée, acheteurs, débrouillards et négociants qui, chaque jour, affluent de tous les coins de la mégapole rd congolaise, créditée aux derniers chiffres de près de 12 millions d’âmes. C’était donc facile de semer la mort et la panique qui permet de s’en aller sans crainte de représailles. C’est ce qui a été fait vendredi dernier. Au moins 2 victimes, dont Mme Chantal Mboyo, que les assaillants semblent avoir particulièrement visé et son garde du corps, ont été tuées. D’autres agents de police, grièvement blessés par balles ou à l’arme blanche, ont payé les frais de ce nouveau terrorisme urbain à Kinshasa. Un des assaillants a été capturé par les forces de l’ordre et aussitôt déféré devant les instances judiciaires, et une arme de guerre saisie.
Agressions à répétition
Depuis vendredi dernier donc, les proches et connaissances de Chantal Mboyo, une mère de famille à peine âgée de 50 ans, détentrice d’un diplôme de licence en droit obtenu à l’Université de Kinshasa en 1995, sont inconsolables et font le deuil. Un deuil injuste et révoltant à plus d’un égard, parce que rien ne destinait cette mère d’un petit garçon qui effectuait une carrière exemplaire au sein de l’administration d’un des plus grands lieux de ventes et de petits négoces de la capitale, à une mort aussi brutale et violente. Au Marché Central de Kinshasa, on vend et on achète, simplement. Des biens de première nécessité et de subsistance pour les gagne-petit. Ni les politiciens en vue, ni les hommes d’affaires aux limousines rutilantes ne fréquentent ce lieu de prédilection pour ce qu’on appelle le petit peuple. La criminalité ici est donc le fait de petits voleurs à la tire, des escrocs à la sauvette, etc. Pas des bandits à main armée à la recherche du jackpot du siècle. Il n’y avait donc pas de raison de craindre pour la vie Chantal Mboyo. Pourtant, cette originaire de Boende, dans la province de la Tshuapa, a bien été lâchement assassinée par des bandits armés qui lui ont logé au moins trois balles en plein jour.
Deux semaines auparavant, le 29 juin 2017, le commissariat de police de Kalamu à Matonge, la cité d’ambiance de la capitale rd congolaise, était mis sens dessus sens dessous par une attaque similaire. Des hommes arborant des bandeaux rouges ont pris d’assaut le lieu de détention provisoire situé non loin des installations communales et du parquet de grande instance. Des blessés y avaient été déplorés, mais là, un des assaillants avait trouvé la mort.
Neuf jours plus tôt, le 10 juin dernier, un assaut en règle contre le cachot du commissariat de police de Matete par une vingtaine d’assaillants armés de fusils AK 47 et de machettes avait causé la mort d’au moins deux personnes dont un agent de police.
A Matete, à Kalamu comme au Marché Central, les attaques se sont accompagnées de l’évasion de quelques détenus qui se sont faits la belle en profitant de la confusion délibérément créée. Un déversement de malfrats sur Kinshasa commencé avec l’attaque, le 17 mai dernier de l’ex. prison de Makala, suivie de l’évasion d’un nombre encore indéterminé de détenus.
Insécurité croissante
L’assaut sur le Marché Central a beaucoup ému dans l’opinion. Des sentiments de révolte se font jour, comme ceux de ces internautes qui crient à la lâcheté des criminels : « Qu’ils s’en prennent donc directement aux casernes des militaires armés au lieu de s’attaquer à de pauvres innocents », a posté un de ces férus d’internet, aussitôt suivi par des dizaines d’autres.
Chez les politiques aussi, chacun y va de sa petite rengaine. On notera celle d’opposants radicaux au régime en place, comme Olivier Kamitatu, l’ancien speaker de la chambre basse du parlement devenu porte-parole de Moïse Katumbi, qui dénonce ce qu’il présente comme « l’inexistence de l’Etat en RD Congo ». Ce à quoi il lui a été rétorqué par Papy Tamba, son contradicteur sur la toile, qu’en France des terroristes avaient tué près d’une centaine de personnes à la Promenade des Anglais à Nice, sans que nul dans la classe politique de l’Hexagone ne songe à pointer du doigt une prétendue inexistence de l’Etat…
S’agissant des responsabilités étatiques dans la sécurisation des hommes et de leurs biens, à Kinshasa comme ailleurs à travers le territoire national, de plus en plus de voix s’élèvent, pour ou contre l’instauration de l’état d’urgence. Comme un peu partout où la sécurité des paisibles citoyens s’est avérée menacée par des terroristes. Le week-end dernier, la jeunesse du parti présidentiel, le PPRD, a déclaré tout haut ce qui se susurre tout bas. Dans un communiqué signé par Patrick Nkanga, son président, la Ligue des jeunes du PPRD «encourage les institutions de la République à prendre davantage des mesures de sécurité qui s’imposent, même s’il faille appliquer les dispositions de l’article 144 de la constitution, relatives à l’état d’urgence … », propose-t-elle.
C’est le contre-pied parfait des réactions entendues de la plupart des acteurs politiques de l’opposition, qui se contentent, eux, d’accuser leurs adversaires au pouvoir de tous les maux d’Israël, y compris de ces crimes contre… leurs propres agents à l’instar de l’infortunée Madame Mboyo. Ainsi, Olivier Kamitatu s’est-il encore illustré sur la question en accusant le pouvoir de « favoriser l’insécurité pour imposer un état d’urgence ». Tout comme cet activiste des droits de l’homme connu pour sa proximité avec l’opposition radicale, Jean-Claude Katende, qui estime pour sa part que Kinshasa se discréditerait davantage (aux yeux de qui ?) en décrétant une mesure d’état d’urgence.
Stratégie du pourrissement
Laisser une situation sécuritaire en l’état, c’est du déjà entendu des rangs de l’opposition politique en RD Congo, mais aussi dans une certaine communauté internationale qui dissimule de plus en plus mal ses projets d’anéantissement de l’Etat congolais et de tout ce qui y ressemble. C’est le sens que nombre d’observateurs attribuent au fait que les terroristes se réclamant du chef traditionnel Kamwina Nsapu dans les provinces du Kasai et du Kasaï central aient, contre toute attente, bénéficié d’une sorte de compréhension bienveillante tant qu’ils ne fragilisaient que l’Etat en détruisant ses symboles. Parmi les opposants et dans la communauté internationale, personne n’a levé le plus petit doigt pour dénoncer les exactions commises sur des préposés de l’Etat (police, armée, fonction publique), ceux de la CENI et des civils innocents avant que le meurtre odieux de deux enquêteurs onusiens et l’hécatombe humanitaire révélé par le déplacement des personnes fuyant ces exactions ne viennent réveiller les bonnes consciences. Aujourd’hui encore, il s’en trouve parmi les opposants et les représentants de la bien-pensante communauté internationale qui en appellent à la démilitarisation de ces régions kasaiennes où, pourtant, la violence terroriste continue à sévir en dépit d’un retour progressif à la normale grâce au… déploiement des Forces armées loyalistes qui font reculer les limites de l’horreur.
A Kinshasa, ce sont les mêmes chants de sirènes de prétendues organisations de défense des droits humains, qui avaient dénoncé à coups de rapports financés par des officines étrangères la traque des bandits à mains armés communément appelés « kuluna » qu’on entend à nouveau. Les Jean-Claude Katende, Georges Kapiamba et autres Olivier Kamitatu ne disent pas autre chose lorsqu’ils condamnent par anticipation l’instauration d’un état d’urgence. C’est un appel à laisser pourrir la situation qu’ils lancent. C’est la préservation ou l’instauration d’un Etat failli qu’ils prônent pour permettre à leurs maîtres de faire main basse sur leur propre pays.
J.N.