Ides de mars de l’an 33 de notre ère, un certain Jésus de Nazareth dont les prédications étaient assorties de miracles attestant de sa divinité, est conduit par une foule en furie de juifs devant Ponce Pilate, le proconsul romain de la Judée. Réputé intègre et juste contrairement aux autres impérialistes romains qui brillaient par leur témérité, Pilate sait que Jésus, fils de David, n’est pas coupable des griefs qui lui sont reprochés. Mais par pure faiblesse et veulerie, il recourt à un stratagème pour essayer de le soutirer du courroux de la foule par des chefs religieux revendiquant la mise à mort immédiate, sans autre forme de procès, de l’innocent prédicateur, en suggérant que, conformément à la tradition juive, la foule soit amenée à choisir entre le prophète Jésus et un repris de justice emprisonné pour plusieurs meurtres, vols et autres pires délits. Quelle ne sera pas la stupéfaction du proconsul romain d’entendre les juifs, pourtant réputés très religieux, scander le nom criminel Barabbas en exigeant que l’innocent Jésus subisse le supplice de la croix. Selon les Saintes écritures, les Juifs avaient ainsi commis l’irréparable en sacrifiant leur propre Messie. La suite est connue.
La République Démocratique du Congo a connu un cheminement historique émaillé d’événements analogues où des auteurs des souffrances du peuple et leurs complices ont été préférés à de valeureux fils du pays dont la préoccupation majeure était de sortir leur peuple de la domination étrangère pour le placer irréversiblement sur l’orbite du progrès et de l’émergence.
Il a fallu à la RDC près de quatre décennies pour se remettre du meurtre de son premier Premier ministre, le Héros National Patrice Emery Lumumba, à qui les ennemis du Congo coalisés ont infligé une mort atroce parce qu’il défendait avec intransigeante l’indépendance nouvellement acquise au prix de nombreux sacrifices. Pendant ce temps, des louanges à la gloire des bourreaux de cette figure emblématique étaient organisées au plan national avec des cantiques les plus dithyrambiques. C’est finalement un inoxydable disciple de Patrice Emery Lumumba, Mzee Laurent-Désiré Kabila, entré lui aussi au panthéon des héros nationaux (ils ne sont que deux à ce jour), qui réussira à libérer les Congolais du joug d’une dictature néocoloniale.
Ignorance de l’histoire du pays
Ils ne sont pas nombreux à avoir tiré profit de ce calvaire de notre peuple. La distraction politique et l’ignorance de l’histoire aidant, l’on a vu des franges importantes de nos populations perpétuer le syndrome de Barabbas qui consiste à porter en triomphe des bourreaux et à clouer au pilori ceux des membres de la communauté nationale qui se sacrifient pour leur peuple. Cette constance dans l’inversion des valeurs semble élire domicile dans la très braillarde capitale congolaise où l’état de grâce parait garanti pour tous ceux qui sont compromis dans toutes sortes de crimes ou de délits qui ont plongé le pays dans la misère, la guerre, l’insécurité chronique ou le néocolonialisme. Inutile de revenir sur les principaux complices congolais de l’assassinat du Héros National Patrice Emery Lumumba. Certains ont vécu dans la ville de Kinshasa comme des véritables stars jusqu’à leur mort récente. D’autres y plastronnent encore.
La starification des Barabbas congolais risque d’avoir encore de beaux jours devant elle aussi longtemps que durera l’inconséquence politique qui la nourrit. Il y a quelques années, un bâtonnier célèbre au Katanga avait décidé d’en découdre avec le Tout Puissant Gouverneur da sa province qui avait transformé celle-ci en satrapie, y pillant et y arnaquant au grand jour sans que personne ne mette des limites à ses forfaitures. Car au Katanga de l’époque, les voix discordantes étaient systématiquement mises au pas, soit par la méthode forte, soit par la corruption dans laquelle le Gouverneur de l’époque, Moïse Katumbi, excellait avec un génie rare. Toutes les tentatives pour obtenir justice contre lui et les multiples réseaux maffieux qu’il avait tissés étaient impitoyablement étouffées dans l’œuf. Alors qu’avec cette mine d’or que constituaient les treize lettres ouvertes du reste très documentées, du bâtonnier Jean Claude Muyambo, Moise Katumbi aurait dû voir un nouveau procès s’ouvrir contre lui chaque semaine… Au lieu de cela, il a même à l’heure actuelle la désinvolture de se signaler par des esclandres au sujet d’un prétendu acharnement judiciaire dont il serait devenu la victime …
Fortune de criminel
Ironie du sort, à l’instar des « électeurs » juifs de Barabbas, beaucoup parmi les Congolais, y compris des originaires de la Province du Katanga que Katumbi a pressée comme une orange, ne jurent que par celui dont la fortune a été amassée au vu et au su de tout le monde, sur le dos d’une province qui continue à souffrir des pénuries alimentaires et des affres de la pauvreté.
Dans un autre registre, le 17 mai dernier, un chef politico-religieux illuminé en délicatesse avec la justice, en prison dans l’attente d’un jugement, a défrayé la chronique. Ce jour-là à l’aurore, des dizaines de partisans armés avaient presque vidé la prison de Makala en déversant dans les rues de la capitale tout ce que les installations carcérales comptaient de dangereux criminels… Au lieu de collaborer avec la police pour mettre hors d’état de nuire ces malfrats en cavale, certains ont organisé en l’honneur des fugitifs un véritable de louanges, comme l’attestaient ces sarcasmes de mauvais goût sur les réseaux sociaux qui viraient à une véritable apologie du crime. Après cette brève euphorie, les kinois se sont mis à se plaindre de la montée de la criminalité dans la ville et à demander aux mêmes forces de l’ordre d’arrêter les criminels et de les ramener dans le seul endroit d’où ils n’auraient jamais dû sortir, c’est-à-dire la prison. Quelle inconséquence !
Il en est de même des bandes évoluant dans l’espace kasaïen sous le label de Kamwina Nsapu. Certains les avaient pris en affection, allant même jusqu’à faire le reproche aux forces de l’ordre d’avoir été trop fermes dans la répression de ces terroristes. Félix Tshisekedi, un leader de l’opposition, s’est même fendu d’un tweet complaisant dans lequel il les appelait « mon peuple » pour la simple et bonne raison qu’il a des mêmes origines tribales qu’eux… Par la suite, rattrapés par l’ampleur des dégâts causés par ces bandes criminelles sur les populations civiles riveraines, tous les laudateurs des terroristes se sont repliés dans un mutisme assourdissant, laissant seul leur complice Clément Kanku, dénoncé par le New York Times, subir les conséquences de la complicité avérée des uns et des autres avec les terroristes. L’on se demande où sont passés ceux des politiciens qui demandaient, notamment par réseaux sociaux interposés, aux Kamwina Nsapu de poursuivre leur lutte jusqu’à la « victoire finale » !
Kimpa Vita, Kimbangu, Lumumba, Mzee Kabila
Last but not least, les dernières sanctions annoncées par l’Union Européenne contre 9 personnalités en vue en République Démocratique du Congo et un chef de guerre en instance de jugement ont suscité une vague d’indignation dans toutes les capitales africaines à cause de leur caractère inique, illégal et néocolonial… Etonnant que dans la capitale congolaise, certains y trouvent matière à ricanement comme si la recolonisation voulue par ces manœuvres de quelques nostalgiques en Belgique ne leur rappelait pas de mauvais souvenirs… Si les Congolais du pays de Kimpa Vita, de Kimbangu, de Lumumba et de Laurent-Désiré Kabila étaient conséquents au regard de leur histoire, ils auraient d’ailleurs toujours vu d’un mauvais œil toute accointance contre-nature entre leurs dirigeants et l’ex. métropole coloniale. Le régime de Joseph Kabila au pouvoir à Kinshasa a appris à ses dépens qu’il ne faut jamais faire confiance à d’anciens oppresseurs. En effet, après l’amande honorable en l’an 2000 de la Belgique, à travers Louis Michel alors chef de la diplomatie, au sujet de sa responsabilité dans le sous-développement chronique de la RDC, conséquence de l’assassinat avec son implication du dirigeant congolais démocratiquement élu, le Premier Ministre Patrice Emery Lumumba, beaucoup avaient espéré une nouvelle ère dans les relations belgo-congolaises. En se rendant compte dans la pratique que rien n’avait changé et en entendant le même Louis Michel soutenir les crimes du Roi Léopold II contre les Congolais, la Présidence de la République avait mis fin à un contrat de lobbying qui la liait, après l’exercice de son mandat ministériel, à Louis Michel. La RDC venait alors d’engager le pays sur la voie de la diversification des partenariats économiques, financiers et techniques en vue d’une meilleure implémentation des programmes des « cinq chantiers » et de « révolution de la modernité ».
La Belgique néocolonialiste
Pour le quarteron des néolibéraux au pouvoir en Belgique, Kabila venait ainsi de commettre un crime de lèse-majesté en « donnant leur Congo aux Chinetoques ». Tout sera tenté en désespoir de cause par ces nostalgiques fils de colonisateurs pour diaboliser le pouvoir de Kinshasa auprès d’une certaine communauté internationale qui n’a pas renoncé aux vieilles habitudes consistant à prétendre avoir un avis prédominant sur l’évolution de la situation en République Démocratique du Congo.
L’hospitalité de la Belgique vis-à-vis d’une certaine opposition qu’elle a créée de toutes pièces il y a une année à Genval n’était pas sans arrières pensées. Les Belges ne cherchaient par ces manœuvres qu’à faire de ces dirigeants de l’opposition leurs obligés qui leur devraient tout s’ils arrivaient à capturer le top job même par des moyens antidémocratiques.
Hélas, combien sont-ils à questionner ces relations amoureuses suspectes entre la Belgique néocolonialiste et l’opposition dite « radicale » congolaise ? Qu’est-ce que nos opposants devenus au vu et au su de tous des laquais de la Belgique ont promis à leurs mentors en contrepartie du soutien qu’ils reçoivent dans leur velléité de conquête du pouvoir suprême en République Démocratique du Congo ? Que pourrait faire d’autre une Belgique sur le déclin s’il lui était donné, une fois de plus, de placer ses hommes de paille à la tête du scandale géologique congolais ?
En tout état de cause, s’il était donné aux juifs d’avoir à refaire le choix entre le Messie et le mécréant Barabbas, il n’y en a pas un seul qui se risquerait de porter de nouveau son choix sur ce dernier. Quoi qu’il en soit, ils auront connu 2000 ans de gâchis pour s’être un jour amusé à pactiser avec le diable. Cette leçon vaut également pour les Congolais qui se trouvent à la croisée des chemins entre le développement autocentré de leur pays et le retour à la servitude. Cela passe bien entendu par la nécessité de s’exorciser du syndrome de Barabbas en mettant un point d’honneur à ne plus jamais répéter les erreurs du passé.
Jean Bodin Shimuna Luvumbu