Paix à l’âme du président de l’Union pour la Démocratie et le Progrès
Social (UDPS) mort le 1er février 2017 à Bruxelles. La presse internationale a consacré plusieurs éditions etémissions spéciales à l’illustre disparu présenté à l’unisson comme « l’opposant historique » du Congo.
Comme si ce douloureux décès les avait tous plongés dans une amnésie collective, les grands chroniqueurs, journalistes et experts de circonstance ont oublié de nous parler de la période où le disparu, premier docteur en droit du Congo-Kinshasa, était devenu l’un des maîtres à penser et exécutant zélé du dictateur sanguinaire Joseph-Désiré Mobutu qui en fera son ministre de la Justice, de l’Intérieur, puis son Premier ministre. Ils ont occulté le fait que le ‘lider maximo’ de l’UDPS a dit non à tout et à tous, sauf aux impérialistes qui ont pillé et pillent son pays.
Du bon côté de l’Histoire écrite par le système prédominant en Occident
Après son décès, la presse mainstream n’y est pas allée de mains mortes pour rendre hommage à cet « homme exceptionnel » que le quotidien belge Le Soir a présenté comme une « figure incontournable de l’histoire moderne de la République Démocratique du Congo ». Il a reçu tous les honneurs de l’establishment européo-occidental et son sulfureux parcours fait de collaboration et de ruptures cycliques avec la dictature de Mobutu, de justification éhontée de la pendaison de trois ministres et d’un sénateur en 1966, du refus obstiné d’appliquer l’alternance revendiquée à d’autres à la tête de « son » parti l’UDPS en s’y cramponnant contre vents et marées jusqu’à sa mort est devenu dans cette logique de la bienpensance un … «long combat pour la démocratie » !
Dans leur taxinomie classique, les preux « africanistes » européocentristes et leurs relais nous présentaient le paysage politique comme constitué de deux pôles : d’une part des dirigeants exerçant (mal) le pouvoir et, d’autre part, des opposants engagés dans une conquête vertueuse du pouvoir. Il est vrai que ces dernières années, les groupes de pression représentant la « société civile » sont venus brouiller les choses. Leurs faits d’armes font les choux gras des médias au point que d’aucuns ont vu leur irruption dans
l’arène politique, par la société civile interposée, comme un signe d’espoir face à la désaffection des citoyens vis-à-vis de la politique partisane.
Depuis le décès du président de l’UDPS, il faut ajouter une troisième variable au binôme dirigeant-opposant. Celle d’« opposant historique ». Comme s’ils s’étaient passé le mot, les grands journaux qui arrosent le monde n’ont cessé de présenter Etienne Tshisekedi sous cette épithète.
Morceaux choisis
« Etienne Tshisekedi, l’opposant historique congolais est mort à l’âge de 84 ans à Bruxelles », annonçait en grande pompe le quotidien belge Le Soir du 2 février 2017. Sur son site internet, la RTBF (chaîne publique belge) écrivait : « Etienne Tshisekedi, figure incontournable de l’histoire moderne de la République démocratique du Congo, est né à Luluabourg (Kananga) en 1932 durant la période coloniale Belge est décédé ». La chaîne TV France 24, surenchérissait en qualifiant Étienne Tshisekedi « un personnage extrêmement populaire en RD Congo, symbole de la résistance et opposant historique aux dirigeants en place à Kinshasa ». En rajoutant une couche, notre consœur Colette Braeckman du Soir a présenté sur les ondes de la RTBF un portrait très flatteur du disparu. « Il a été le premier à oser dire ‘non’ au président Mobutu, à vaincre la peur de la dictature ». Tout en décrivant elle–même le tracé sinueux du défunt de façon assez réaliste sur son blog publié le 4 février. Autant dire que Braeckman n’ignore rien de la vérité derrière le mythe. Or dans son interview à la RTBF, elle avait apporté de l’eau au moulin du mythe. Et d’ajouter que c’est le président Kabila qui sort « gagnant » de la disparition d’Etienne Tshisekedi. A se demander quel danger le vieux président de l’UDPS représentait exactement pour un Joseph Kabila dans la fleur de l’âge (45 ans à peine) et qui, conformément aux dispositions de la constitution congolaise rappelée solennellement par l’Accord du 31 décembre, ne peut plus se présenter à la présidentielle prévue cette année !
Dis-moi qui te pleure, je te dirai qui tu as été
A travers un communiqué largement repris par la presse, Didier Reynders, le volubile ministre belge des Affaires étrangères, a présenté « ses plus sincères condoléances à la famille (Tshisekedi) et au peuple congolais ». La Belgique (pays ayant colonisé le Congo) voit en Tshisekedi, « une figure politique marquante de la République Démocratique du Congo durant plusieurs décennies ». Louis Michel, député néolibéral européen et champion toutes catégories du maintien sous coupe réglée du Congo-K., estimait pour sa part qu’Etienne Tshisekedi était pour lui « une personnalité hors norme, un homme de convictions ». Il ne tarit pas d’éloges sur « sa popularité, sa sémantique percutante (et son) intelligence supérieure »
« Avant de tourner une page [de l’Histoire], il faut la lire », prescrivait Joseph Ki-zerbo. Il s’agit d’éviter les ornières d’une entreprise de réécriture de l’histoire en mondovision.
Né le 14 décembre 1932 à Kananga (Kasaï), Etienne Tshisekedi wa Mulumba n’est pas un « opposant historique » puisque très tôt, il fit le choix de collaborer avec le régime tortionnaire de Joseph-Désiré Mobutu, propulsé au-devant de la scène par deux coups d’Etat sponsorisés par l’impérialisme occidental.
En 1960, lorsque le pays accède à l’indépendance, une crise sur fond de bicéphalisme éclate au sommet de l’Etat. Le président Kasavubu et son premier ministre Patrice Lumumba sont en guerre ouverte. Dans leurs discours respectifs du jour de l’indépendance, le 30 juin 1960, la démarcation s’était déjà opérée enre les deux personnalités. Alors que Kasavubu louait la « magnanimité » des colonisateurs, Lumumba, scandalisé par ce déni de l’histoire, grillera le protocole, pour rétablir la
vérité historique. « L’indépendance est une victoire du peuple qui a été maltraité, torturé… », rappelle-t-il, à juste titre.
En septembre, la divergence entre les deux portera sur les sécessions du Katanga et du Sud Kasaï, inspirées par l’ancien colonisateur.
C’est sur ces entrefaites, que Mobutu a perpétré son premier coup d’Etat le 14 septembre 1960 et mit sur pied un gouvernement transitoire, baptisé « « Collège des Commissaires généraux ». Le jeune Etienne Tshisekedi (il a 28 ans) entre dans cette équipe gouvernementale supervisée par la Belgique. Il y occupe le poste de commissaire général adjoint (vice- ministre) à la Justice. C’est cette équipe qui procède à l’arrestation et au transfert vers Elisabethville (Lubumbashi) de Lumumba et de ses compagnons, Maurice Mpolo et Joseph Okito. Ils y seront sauvagement assassinés.
Alors que Mobutu s’empare des rênes du pouvoir suprême après avoir évincé Kasavubu en 1965, Etienne Tshisekedi se met entièrement à son service et enchaîne les postes ministériels dans les gouvernements mis en place par le dictateur. Ainsi dès son entrée en politique, celui que les Occidentaux veulent imposer au panthéon des démocrates congolais avait clairement choisi son camp : celui du pouvoir néocolonial incarné par Joseph Mobutu.
Premier docteur en droit de l’Université Lovanium de Kinshasa, il s’active au ministère de la justice et à celui de l’intérieur pour réprimer les nationalistes lumumbistes. Le journal La Nation en Chantier dans sa livraison du 18 janvier 1993 a publié en fac-similé une lettre de sa main (datée du 23décembre 1960) à « Sa Majesté Albert Kalonji, Empereur du Sud Kasaï » dans laquelle il traite le leader anti impérialiste Patrice Lumumba de « crapaud » qui « mérite un châtiment exemplaire » pour « son œuvre de destruction ».
Les martyrs de la Pentecôte
La responsabilité du « père de la démocratie congolaise » est aussi indéniable dans l’affaire dite des martyrs de la Pentecôte. En effet, courant 1966, Evariste Kimba, ancien Premier ministre et deux de ses anciens ministres, Jérôme Anany (Défense nationale) et Alexandre Mahamba (Affaires foncières et Coutumières), ainsi que le sénateur Emmanuel Bamba, sont fallacieusement accusés par Mobutu d’atteinte à la sécurité de l’Etat et à l’intégrité physique du président de la République et seront froidement pendus au lieu où se trouve érigé actuellement le Stade des Martyrs en juin 1966. Nombre de sportifs qui fréquentent ce stadium, le plus important de la RDC, ignorent sans doute la boucherie barbare qui y a eu lieu. Etienne Tshisekedi est alors le tout-puissant ministre de l’Intérieur et Affaires coutumières de Mobutu. S’exprimant sur les antennes d’une télévision belge, il justifie sans mettre des gants la pendaison des quatre « conjurés » qui ont « manqué de respect envers le chef, en violation de nos traditions (…) d’autres sentences du même type suivront pour donner l’exemple et ainsi de suite (car) l’action pénale ne doit pas toujours être répressive. Elle doit être préventive » (verbatim).
La liste des victimes du duo Mobutu-Tshisekedi est longue ! Deux ans après la quadruple pendaison de la Pentecôte 1966 que les historiens considèrent comme le crime fondateur de la Deuxième République mobutiste, Pierre Mulele, l’ancien ministre de l’Education nationale de Patrice Lumumba, est assassiné dans des conditions effroyables. Revenu au pays à l’invitation de Mobutu qui prétendait lui faire bénéficier d’une loi d’amnistie, Mulele est appréhendé par les sbires du régime qui lui crèvent les yeux, lui coupent les oreilles, les parties génitales et les membres supérieurs et inférieurs avant de jeter le reste de son corps pantelant dans les eaux du fleuve Congo. Ce crime horrible n’empêche pas le Ministre Tshisekedi de continuer à filer le parfait amour avec Mobutu. Un an plus tôt, le fondateur de l’UDPS avait rédigé de sa main le Manifeste créant le parti unique de Mobutu, le Mouvement Populaire de la Révolution (MPR) qui, contrairement à ce que laisse croire son patronyme, est une formation résolument réactionnaire, dans laquelle aucune remise en question n’est tolérée.
Le 4 juin 1969, les étudiants de l’Université Lovanium (actuellement Université de Kinshasa) descendent dans les rues de Kinshasa pour réclamer pacifiquement les droits sociaux et des institutions démocratiques. La réaction brutale du régime se solde par quelques 125 morts et une centaine de disparus.
Pourquoi voudrait-on cacher aujourd’hui ces faits abjects pour ne présenter que la dernière page de l’histoire tumultueuse de M. Etienne Tshisekedi, celle de l’ « opposant… historique à Mobutu » ? Où commence finalement l’Histoire ?
La brouille entre Mobutu et Tshisekedi
Le désamour entre les deux compères intervient en 1980, c’est-à-dire après vingt ans d’une collaboration mutuellement avantageuse. Au début des années ’80, les parrains occidentaux de Mobutu commencent à douter de l’homme « providentiel » auquel ils avaient confié la gestion de leurs intérêts illégitimes (néocoloniales) sous les tropiques africaines. En 1977 et 1978, au Shaba (Katanga), l’armée mobutiste avait démontré ses limites face à une rébellion étiquetée prosoviétique venue d’Angola. Seules les interventions directes de troupes marocaines et françaises purent le sauver in extremis. Par ailleurs, un rapport sur l’état des finances publiques congolaises commandé au banquier allemand E. Blumenthall par le Fonds Monétaire Internationale déstabilisa sérieusement le dictateur. Ce rapport étalait au grand l’état de déliquescence avancée de l’économie de ce véritable géant aux pieds d’argile. De plus en plus de voix commençaient à se lever en Occident sur la nécessité de prévoir la période après-Mobutu.
Après un détour par la case prison, Tshisekedi occupera dans la période de la « démocratisation » imposée par les parrains après la chute du mur de Berlin, le poste de premier ministre à maintes reprises avant claquer la porte en disant ne plus reconnaître Mobutu en tant que Président de la République. Or au moment où les troupes de l’AFDL sous la direction de Laurent Désiré Kabila se rapprochaient de Kinshasa en 1996, Tshisekedi va visiter le dictateur vermoulu et presque agonisant à Nice (France) et déclarer qu’il voulait unifier les deux familles politiques (c’est-à-dire les mobutistes et les tshisekedistes) contre « l’agression extérieure ».
Seul Dieu peut absoudre
Un adage repris chaque samedi sur les antennes de Radio France Internationale (RFI) par Alain Foka, présentateur de l’émission Archives d’Afrique nous enseigne que « nul n’a le droit d’effacer une page de l’Histoire d’un peuple car un peuple sans histoire est un monde sans âme ». S’obstiner à présenter Tshisekedi exclusivement comme un « opposant historique » c’est vouloir lui accorder une absolution de la responsabilité historique qui fut la sienne dans les crimes du régime dictatorial et néocolonial de Mobutu et son opposition à la guerre de libération qui a chassé ce dernier du pouvoir. C’est comme vouloir écarter la responsabilité de Joseph Goebbels ou d’Herman Göring dans les crimes commis par le régime nazi d’Adolf Hitler.
L’homme a beau avoir été très prompt à traiter ses adversaires politiques de tous les noms d’oiseaux, on ne lui connaît aucune déclaration contre l’impérialisme néocolonialiste qui reste jusqu’à ce jour le vrai problème auquel les Congolaises et les Congolais ont à faire face. Et pourtant, la République Démocratique du Congo est l’incarnation même du pillage international qui a succédé à l’esclavage et au colonialisme de triste mémoire !
La RDC pays vaste et riche en matières premières suscite comme on le sait la convoitise de tous les vautours de la haute finance mondiale dont les agents d’influence et les intermédiaires organisent et financent des milices surarmées pour fragiliser l’Etat central, de manière à le priver de la souveraineté nécessaire pour choisir librement ses partenaires économiques. Pour cette sale besogne, quelques pays voisins de la RDC sont parfois mis à contribution par les pilleurs. Le comble c’est qu’en 2002, M. Tshisekedi auquel on tresse tant de lauriers a étalé son amitié pour certains d’entre eux, allant jusqu’à aller le leur exprimer de vive voix au cours d’une visite d’amitié… à Kigali.
Un « opposant historique » qui ne s’est jamais opposé au pillage historique de son peuple mérite-t-il ce titre ronflant ?
(Source : Le Journal de l’Afrique no.30, Investig’Action)