Ceux qui se demandaient encore, après la crise financière mondiale qui a lourdement frappé l’Occident, comment ses Etats s’y prendraient pour relancer leurs économies exsangues ont un début de réponse : ils vont réinvestir, sous une forme ou une autre, le continent africain, ce bon vieux et intarissable grenier pour esclavagistes et autres colons de tous acabits. Les signaux émis depuis quelques années à l’occasion de changements de pouvoir à la tête d’Etats du continent noir comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Burkina Faso, le Gabon, le Congo Brazzaville, etc., sont sans équivoque : c’est le retour en force et sans fards d’anciens colons.
En RD Congo, où un laborieux processus de démocratisation est en cours depuis l’adoption par referendum d’une nouvelle constitution en 2005, les puissances européennes, la Belgique en tête, auraient résolu de participer à l’exercice du pouvoir, à défaut de le confisquer, carrément. En commençant par mettre sous le boisseau la constitution, Loi des lois, dont se sont dotés les rd congolais en 2006 et donner ainsi un coup d’arrêt à un processus démocratique qui, s’il était intégralement appliqué (les élections locales et urbaines qui doivent consacrer la réorientation des priorités de l’action publique vers le peuple souverain n’ont pu se tenir, faute de moyens financiers), assurerait l’émancipation populaire compromise à l’accession du pays à l’indépendance en 1960.
Influencer l’évolution politique
Comme aux lendemains des indépendances africaines dans les années ’60, la Belgique joue des pieds et des mains pour influer sur la vie politique dans l’ancien Congo-Belge. En suscitant la création en sous-mains de groupes de pressions et de partis politiques acquis à sa cause : c’est le retour à la naissance de partis politiques genre PNP (Parti National Progressiste) entièrement acquis à la cause de la colonie. Seul la dénomination a changé, lorsque le 10 juin dernier voyait le jour à Genval dans la périphérie bruxelloise, un regroupement d’opposants dénommé Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement (Rasop). Du déjà vécu qui n’a pas abusé grand monde en RD Congo, particulièrement : derrière la plate-forme créée autour du plus vieil opposant politique rd congolais, Etienne Tshisekedi, gravitaient les libéraux au pouvoir en Belgique qui avaient décidé de reprendre la main dans l’ancienne colonie. Essentiellement par des voies insurrectionnelles prenant prétexte du retard intervenu dans l’organisation des scrutins électoraux prévus en novembre 2011.
Alors que des rencontres secrètes à Ibiza en Espagne et à Venise en Italie, notamment, entre les hommes d’Etienne Tshisekedi et ceux de Joseph Kabila avaient abouti à un accord formel sur la tenue d’un dialogue politique national pour baliser la voie vers la gestion consensuelle et l’organisation des élections en RD Congo, Etienne Tshisekedi, circonvenu par des agents d’influence belges défiera les limites que l’âge et la maladie lui imposaient en regagnant Kinshasa contre l’avis de ses médecins. Pour organiser des mouvements insurrectionnels programmés en septembre, octobre, novembre et décembre 2016. L’objectif déclaré était de faire tomber le pouvoir détenu par la majorité présidentielle, un peu à l’image du mouvement qui avait emporté l’ancien président Blaise Compaoré au Burkina Faso quelques années plus tôt. Mais la recette était trop connue pour réussir. Kinshasa faillit certes sombrer dans le chaos les 19, 20 et 21 septembre dernier, mais tel un roseau qui plie sans se casser, Kabila tint suffisamment le coup pour que le mouvement perde progressivement de l’ampleur. Suffisamment pour qu’un autre dialogue s’impose aux protagonistes de l’arène politique rd congolaise, qui sera facilité par les évêques de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), grâce à l’entregent de Joseph Kabila.
Schéma insurrectionnel infructueux
Si les évêques de l’église catholique romaine rd congolaise ont bien réussi à arracher aux acteurs politiques un accord le 31 décembre 2016, l’arrangement particulier qui devait en définir les modalités d’application, en fait le partage du pouvoir, n’a pu être signé plus de trois mois après la signature de l’Accord de la Saint Sylvestre. Malgré l’adoption de principes généraux comme la nomination d’un 1er ministre issu du Rasop et la nomination d’Etienne Tshisekedi à la présidence d’un Comité de suivi de l’accord et du processus électoral (CNSA). La mort de ce dernier le 1er février et les luttes internes pour arracher le strapontin de la primature ont sonné le glas du Rasop, la plateforme laborieusement créée par les libéraux belges qui s’est scindée en trois morceaux, dont le celui dirigé par les Katumbistes Pierre Lumbi et Félix Tshilombo Tshisekedi et celui emmené par le Fonus Joseph Olenghankoy et l’UDPS Bruno Tshibala.
C’est sur cette dernière branche du Rasop que, déjouant les calculs machiavéliques de ceux qui avaient parié sur Moïse Katumbi pour semer le chaos en RDC, Joseph Kabila a jeté son dévolu en nommant, le 7 avril 2016, l’UDPS Bruno Tshibala en qualité de 1er ministre du gouvernement d’union nationale. Certes, le secrétaire général adjoint de l’UDPS, fidèle des fidèles d’Etienne Tshisekedi, avait été exclu par une présumée « direction » de son parti en février dernier dès qu’il eut contesté la nomination de Pierre Lumbi en remplacement du lider maximo de l’UDPS à la tête du conseil des sages du RaSop. Mais la légitimité et la légalité de cette « auto exclusion » selon ses détracteurs posent problème d’autant plus qu’elle était intervenue ‘in tempore suspecto’, alors que la question de la succession du vieil opposant n’avait même pas encore été effleurée à l’UDPS. Personne, dans ces conditions n’était en mesure de prendre valablement des décisions d’une aussi grande portée pour la survie politique du parti. A son tour, le secrétaire général adjoint Tshibala avait du reste exclu du parti et donc du Rasop les auteurs de la décision l’excluant. On en était là au sein de l’UDPS lorsque Joseph Kabila a décidé de nommer le seul survivant du directoire officiellement connu du Rasop, qui comprenait Etienne Tshisekedi, Charles Mwando et … Bruno Tshibala son porte-parole. Provoquant l’ire à peine voilé de la Belgique et de l’Union Européenne qui se sont fendues de communiqués condamnant la nomination de Bruno Tshibala Nzenze en qualité de 1er ministre.
Parti pris pour la Rasop Lumbi-Tshilombo
L’astuce qui préside aux condamnations désormais récurrentes des autorités de la RD Congo (et jamais des animateurs de l’opposition politique qui se sont moult fois illustrés par des incitations aux crimes, voire des crimes de sang à la faveur de manifestations) est elle aussi connue. Depuis que la haute représentante pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union Européenne, Federica Mogherini, nommait, le 25 décembre dernier le belge Koen Vervaeke directeur général pour l’Afrique, la boucle pour ainsi dire bouclée sur Kinshasa. Le diplomate belge qui avait déjà failli devenir ambassadeur de son pays en 2003 fait le boulot qui consiste à faire passer les décisions prises par les libéraux au pouvoir en Belgique à l’UE réduit ainsi en une caisse de résonnance de ces nostalgiques du Congo de Papa.
Samedi 8 avril 2016, le libéral Didier Reynders, vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères belge, réagissait promptement à la nomination de l’UDPS Bruno Tshibala en qualité de 1er ministre par Joseph Kabila, parce qu’elle s’écarte de la lettre et de l’esprit de l’Accord de la Saint-Sylvestre, selon lui. « L’Accord de la Saint-Sylvestre prévoyait la nomination d’un Premier ministre proposé par le Rassemblement », note le plénipotentiaire belge qui reprend ainsi presque mot pour mot le communiqué rendu public par la délégation de l’UE à Kinshasa, le même jour, et menace les autorités de Kinshasa de pires gémonies si elles faisaient un usage « disproportionné » contre les manifestations (non encore organisées) de l’opposition en RD Congo. A contrario, le Département d’Etat américain, plus nuancé, appelait les autorités congolaises et les acteurs de l’opposition à s’abstenir de tout propos ou comportement empreints de violence…
Cela saute aux yeux, même pour un aveugle : la Belgique qui instrumentalise l’UE veut un 1er ministre acquis à la défense de ses intérêts en RD Congo, et semble avoir porté leur choix sur l’inexpérimenté Félix Tshilombo Tshisekedi, le candidat du Rasop aile Moïse Katumbi Chapwe, l’ancien gouverneur de la riche province minière du Katanga. Derrière le choix de l’ancien colonisateur se détache une proéminence grosse comme le nez au milieu du visage : réduire les pouvoirs constitutionnels dévolus au Président de la République, faute d’avoir réussi à s’en débarrasser par des méthodes insurrectionnels en lui imposant leur homme.
Tentative de substitution d’un accord à la constitution
C’est ainsi que les observateurs intéressés à l’évolution de la situation politique rd congolaise expliquent l’insistance arrogante de l’UE sur l’Accord de la Saint Sylvestre plutôt que sur la constitution. Le document signé par les représentants de la majorité présidentielle et les acteurs politiques non signataires de l’Accord du 18 octobre personnalise, peut-être trop au point d’en compromettre toute mesure d’application réelle, le principe du partage du pouvoir. Mais seulement après avoir pris soin de proclamer l’inviolabilité du texte constitutionnel en vigueur.
A l’évidence, c’est un conflit au sommet du pouvoir rd congolais que visent à créer de toutes pièces les libéraux belges, comme leurs grands-pères dans les années ’60, qui avaient réussi à opposer un certain Joseph Kasavubu, président de la République, à son 1er ministre, Patrice Emery Lumumba. Entre le Royaume de Belgique et la RD Congo, les hommes changent, mais les schémas putschistes restent les mêmes. A peu de choses près.
J.N.