Lambert Mende, ministre congolaisde la Communication et des Médias s’est longuement confié à POLITICO MAGAZINE, dans son édition n°00, du mois de février 2017. Incontournable élément de l’équipe Kabila depuis bientôt dix ans, il est le visage du pouvoir. Depuis octobre 2008, Lambert Mende Omalanga joue l’attaquant providentiel du gouvernement congolais à travers son poste de ministre des médias et de la communication, doublé de l’étiquette du Porte-parole du gouvernement. Agaçant les opposants, chantre de la souveraineté de la République Démocratique du Congo, cet homme, dont le franc-parler est devenu légendaire, ne laisse cependant personne indifférent. Ses répliques sont cultes, et même ses démentis. Pour autant, ce natif d’Okolo, dans le territoire de Lodja au cœur même de la République Démocratique du Congo jouit d’un parcours aussi surprenant qu’exceptionnel. De sa jeunesse Lumumbiste, pourchassé par Mobutu, à sa traque par un certain Mzee Laurent-Désiré Kabila, Lambert Mende Omalanga a longtemps fait de l’opposition. Comme la quasi-totalité de la classe politique congolaise, il a eu à faire ses classes sous les manguiers de la 10ème rue à Limete comme Ministre de la Communication (déjà) représentant les lumumbistes dans le Gouvernement issu de la Conférence nationale, auprès de celui que le Congo entier pleure en ce jour, Etienne Tshisekedi Wa Mulumba. Témoin de cette lutte, mais aussi et surtout, héritier du Lumumbiste, ayant quitté le navire Tshisekediste pour finir par s’opposer à lui, Lambert Mende explique dans cette longue interview sa relation et son opposition au Tshisekedisme.
Bonjour Monsieur le Ministre, Etienne Tshisekedi n’est plus ! Qu’est-ce que cela, selon vous, veut dire à l’heure actuelle ?
Cela veut dire qu’une icône de la vie politique congolaise a tiré sa révérence. Etienne TSHISEKEDI était une véritable bibliothèque vivante en sa qualité de témoin privilégié de l’histoire politique de notre pays depuis l’indépendance. Nous aurions tous souhaité qu’il reste encore à nos côtés et qu’il continue à faire profiter aux nouvelles générations de sa longue expérience. Même s’il est mort rassasié des jours, à 84 ans d’âge pour quelqu’un qui a subi les affres d’une lutte politique impitoyable, j’ai la sensation qu’Etienne Tshisekedi est mort tôt, surtout lorsque je considère les nombreux mystères qu’il emporte outre-tombe. Néanmoins, l’on peut dire qu’il est mort fidèle à l’énigme de sa vie : l’histoire retiendra que l’homme était effectivement un sphinx.
Vous avez toujours clamé votre Lumumbisme depuis le début de votre carrière politique. Mais on remarque qu’à votre retour au pays, dans les années ’90, vous vous êtes tout de suite rapproché de Tshisekedi, pourquoi ?
Il s’agit d’une mauvaise interprétation de mon Curriculum Vitae que vous me donnez l’occasion de clarifier. La Conférence Nationale Souveraine à laquelle je prenais une part très active pour le compte de mon parti MNC/Lumumba Originel, devenu depuis un peu plus de six ans la Convention des Congolais Unis (CCU), avait décrété la mise en place d’un Gouvernement d’union nationale avec comme Premier ministre Monsieur Etienne Tshisekedi. Dans ce Gouvernement, j’avais été nommé ministre pour le compte du MNC/Lumumba Originel. Ma nomination au sein du Gouvernement Tshisekedi fut donc consécutive à la volonté des souverains conférenciers. Je n’avais pas à être membre de l’UDPS, tshisekediste ou à chercher à le devenir. Au demeurant, je crois que l’opinion comprendra mieux le contexte du gouvernement d’union nationale de l’époque qui est en plusieurs points semblable au gouvernement actuel. Des membres du gouvernement de M. Samy Badibanga que sont les José Makila, Jean-Lucien Busa ou autre Léonard Shé Okitundu par exemple ne sont pas pour autant membres de l’UDPS comme le Chef du Gouvernement. En définitive, je n’ai pour ma part jamais eu dans ma vie d’autre affiliation idéologique que le lumumbisme. J’espère que c’est désormais clair pour tout le monde et qu’on cessera de me considérer comme un transfuge de l’UDPS.
Etienne Tshisekedi, que pensez-vous de sa lutte alors, vous qui l’avez côtoyé de si près ?
Pour l’avoir fréquenté en tant que souverain conférencier, membre de son gouvernement ou membre de l’opposition au Maréchal Mobutu, je retiens de lui l’image d’une opiniâtreté et d’un radicalisme qui viraient souvent à l’entêtement et à l’extrémisme, toutes choses qui sont parfois de nature à ne pas rassurer des partenaires politiques. Je suis convaincu que s’il s’était appliqué à mettre de temps en temps de l’eau dans son vin et à prendre en compte le bien-fondé des points de vue des autres, il aurait eu à exercer la magistrature suprême qu’il a de toute évidence beaucoup convoité, surtout grâce au soutien de ses réseaux à l’étranger, qui l’ont toujours porté à bout de bras depuis ses débuts en politique … Par ailleurs, de façon générique, la vie politique du patriarche Etienne TSHISEKEDI peut se résumer en deux moments : la partie visible de l’iceberg qui va de la création de l’UDPS à sa mort et la partie fondatrice de sa vie de 1960 à 1980 lorsqu’il faisait encore carrière dans le mobutisme. Une véritable chape de plomb recouvre souvent son parcours entre 1960 et 1980. Lui-même ne nous aura malheureusement pas beaucoup aidés à y voir un peu plus clair … A présent, il n’y a qu’à espérer que des historiens, biographes et autres hagiographes qui auront à se pencher sur son personnage édifieront la postérité de façon holistique sur le parcours impressionnant de l’illustre disparu.
Pourquoi avoir quitté le navire Tshisekediste ?
Je ne peux pas avoir quitté le ‘’navire Tshisekediste’’ comme vous dites pour la simple raison que je n’y suis jamais entré.
Vous l’affrontez politiquement depuis votre arrivée dans la grande coalition de la Majorité Présidentielle, et maintenant dans les discussions de la CENCO, qu’en reste-t-il de cette lutte ?
Dire que je n’ai affronté Etienne Tshisekedi que depuis la création de la Majorité Présidentielle jusqu’aux discussions de la CENCO n’est pas conforme à la vérité. Vous avez vanté mon franc-parler dans votre présentation, je préfère dire les choses sans langue de bois comme à mes habitudes tout en espérant ne pas être iconoclaste. J’appartiens à la famille politique des nationalistes-lumumbistes-kabilistes. Aussi vous inviterai-je à lire très attentivement l’histoire de la République Démocratique du Congo, de l’indépendance à ce jour. Vous comprendrez que la première fois que ma famille politique a eu l’occasion d’avoir maille à partir avec M. Etienne Tshisekedi ne coïncide pas nécessairement avec la création de l’AMP ou de la MP. Souvenez-vous du gouvernement des commissaires généraux mis en place après le premier coup d’Etat de Mobutu le 13 septembre 1960, dont la mission principale fut de neutraliser Lumumba et d’enclencher le pogrom des lumumbistes. Monsieur Tshisekedi, en sa qualité de diplômé en droit et de Vice-ministre à la justice était déjà un des membres de ce gouvernement dont les faits d’armes ont durablement traumatisé ma famille idéologique. Je ne vous parlerai pas de la rébellion muleliste de 1963 ou du deuxième coup d’Etat le 24 novembre 1965, de l’assassinat de Pierre Mulele en 1966, de la pendaison de 4 anciens parlementaires dont un ancien premier ministre, Evariste Kimba, proche des lumumbistes, de la création du MPR mué en parti-unique puis en parti-Etat … C’est presque depuis la nuit des temps que nous les lumumbistes reprochions à Monsieur Tshisekedi de prêter main forte à l’édification de la dictature et de la pensée unique par Mobutu. Vous voyez bien que la MP et l’AMP sont trop récentes pour porter les racines de nos controverses avec Etienne Tshisekedi à qui nous avons en outre souvent reproché de se montrer plus favorable aux intérêts étrangers qu’à la souveraineté de notre peuple…
Si vous voulez que je vous dise ce qui reste de cette lutte, ma réponse est que la bipolarité de la classe politique congolaise, très perceptible après l’indépendance, semble être toujours d’actualité. Actuellement, cette bipolarité est même devenue beaucoup plus prégnante depuis que les néolibéraux belges, français et américains ont réuni à Genval, sous l’autorité de cette forte personnalité qui vient de disparaître, des acteurs politiques congolais évoluant désormais sous la bannière d’un regroupement politique dénommé ‘’Rassemblement’’. En face d’eux, les authentiques nationalistes-lumumbistes-kabilistes continuent à défendre les Intérêts nationaux et le souverainisme congolais par la voix de Joseph Kabila Kabange en qui tous se reconnaissent. Mon opinion est que cette lutte n’est pas près de se terminer et que nous risquons de léguer la résolution de cette récurrente ambivalence aux générations futures.
Monsieur le Ministre, vous êtes allié au Président Kabila, vous lui témoignez actuellement la reconnaissance du combat Lumumbiste dans sa quête pour la souveraineté de notre pays … mais, quels sont les points de convergence et de divergence entre Tshisekedi et le Chef de l’Etat ?
Les points de divergences sont et resterons malheureusement ceux liés à l’opposition légendaire entre nationalistes-lumumbistes-kabilistes d’un côté et forces néocolonialistes de l’autre, les mobutistes tendant pratiquement à disparaître, avalés par les uns et les autres. Tous considèrent leur lutte comme la clé pour conduire notre pays vers son apogée. Pour le reste, je demeure convaincu qu’Etienne Tshisekedi et Joseph Kabila ont le même amour de leur mère-patrie et le même attachement au rayonnement de la terre de leurs ancêtres communs. Même si pour Joseph Kabila, le Congo est bien plus qu’une mère-patrie ou un don béni des aïeux. En plus de tout ce que la RDC représente pour tous ses fils et filles, Joseph Kabila a de ce pays une idée beaucoup plus valorisante. Il a toujours considéré le Congo comme une terre promise, c’est-à-dire comme le seul endroit sur terre où son bonheur et celui de ses compatriotes devraient véritablement se concevoir et se matérialiser. Cette approche nostalgique du patriotisme et du nationalisme du Président de la République découle, à mon sens, non seulement de son héritage lumumbiste, mais aussi du traumatisme qui a caractérisé son exil dès sa prime enfance ; exil auquel la dictature néocolonialiste mobutiste avait soumis sa famille du fait de l’inébranlable fidélité de son père Mzee Laurent-Désiré Kabila aux idéaux émancipateurs de Lumumba.
Regrettez-vous que les deux n’aient pas travaillé ensemble pour le pays ?
Je le regrette très sincèrement d’autant plus que, comme je viens de le dire, malgré leurs différences d’approches, ils avaient la même passion du Congo et de son essor. Cependant vous êtes sans ignorer que le Président de la République aura tout tenté pour faire bénéficier au pays de la sagesse et de l’expérience politique du patriarche Tshisekedi après l’accord de Sun City et avant le dialogue de la Cité de l’OUA. Sans succès… Il faut être à deux pour danser le tango…
Pour terminer M. Mende, un appel à lancer aujourd’hui ?
Je ne peux que lancer un appel à l’unité et au sursaut patriotique en temps d’épreuve. Car malgré nos oppositions idéologiques, nous sommes tous les enfants d’une même patrie. C’est en étant unis comme peuple que nous relèverons les défis multiples auxquels la RDC fait face, dans la paix, la concorde et la cohésion nationale au-delà de nos divergences conjoncturelles.
Propos recueillis par Litsani Choukran (POLITICO.CD)