1. Que contient l’accord du 31 décembre?
● Comme dans l’accord du 18 octobre et l’accord de “95%” du 24 décembre, il n’y aura pas de tentative de changer la constitution pour rendre possible un troisième mandat pour le Président Kabila.
● Les élections auront lieu fin décembre 2017 et le Président Kabila restera en fonction jusqu’au transfert du pouvoir au nouveau Président élu.
● Le gouvernement sera recompose.
Le premier ministre et 21 ministres seront issus du Rassemblement de Genval (groupe de Etienne Tshisekedi.). 19 ministres seront issus du reste de l’opposition qui avait signé l’accord du 18 octobre et du MLC (parti de Jean-Pierre Bemba). Le reste des ministres, environ 25, iront au camp de la Majorité Présidentielle, réunie actuellement autour du Président Kabila.
● Il y aura une commission de suivi de l’accord et du processus électoral composée de 28 personnes, dirigé par Etienne Tshisekedi.
● Des 7 personnes emblématiques pour lesquelles le Rassemblement demandait la libération ou la levée de la mise en accusation, 4 sont libérées ou mises hors accusation. Les trois cas restants seront traités par les évêques de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) : Katumbi, Muyambo et Diomi Ndongala.
Il reste encore deux sujets à éclaircir :
Au niveau des signataires : Une partie de l’opposition, qui avait signé l’accord du 18 octobre, refuse de signer le nouvel accord. Il s’agit de Badibanga, actuel premier ministre et dirigeant des parlementaires de l’UDPS (exclus du Parti par leur président Etienne Tshisekedi). Et encore quelques autres signataires n’ont pas signé le nouvel accord.
L’arrangement particulier : L’accord doit être suivi d’un « arrangement particulier » qui devra spécifier l’interprétation des « prérogatives du premier ministre prévus par la constitution », ainsi que la composition définitive du gouvernement.
Ces deux sujets seront résolus avant le 12 janvier 2017
2. Quelle est la signification politique de cet accord ?
● D’abord et avant tout : cet accord a été un accord conclu entre Congolais, sans implication de diplomates ou experts occidentaux. Aussi bien Felix Tshisekedi que Lambert Mende, ont mis cela en avant après la signature de l’accord.
● Cela signifie l’échec de la stratégie visant à renverser le Président Kabila après le 19 décembre, stratégie appuyée par Washington et Bruxelles.
● Cela implique aussi que l’alliance autour de Kabila aura des chances égales à celles de l’opposition de participer aux élections, de les gagner ou de jouer un rôle d’opposition en cas de défaite électorale.
● Le fait que Kabila lui-même ne sera pas candidat, obligera cette alliance à s’unir autour d’un autre candidat qui voudrait continuer la ligne Lumumbiste de défense de l’unité, l’intégrité territoriale et de la souveraineté du pays, ainsi que la poursuite du progrès et du bien être de la population. On peut ici espérer que cette fois-ci cette alliance aura un projet de société et une base politique en commun, plutôt que l’unité autour d’une personne, comme c’était le cas avec la Majorité Présidentielle depuis 2006.
● L’argument selon lequel Kabila allait tout faire pour s’accrocher au pouvoir, est maintenant dépassé. Ce qui signifie qu’un débat politique normal autour de programmes et de visions différentes pour le futur de la RDC devient possible.
● Le fait que l’accord inclut la majorité et quasiment toute l’opposition politique, permettra sans doute que les élections aient lieu dans une atmosphère sereine.
3. Que peut menacer l’application de cet accord ?
Il est clair que les ingérences et la guerre psychologique menée à partir de l’extérieur continueront à essayer à diviser les Congolais et à mettre le focus sur les soi-disantes intentions de Kabila.
● Par exemple, vendredi soir le 30 décembre vers 23h, La Libre Belgique publie un article choc avec le titre « Kabila refuse tout dialogue ». Selon cet article, le Président Kabila aurait répondu aux évêques qu’il refusait le dialogue et qu’il aurait dit vouloir organiser un référendum pour pouvoir briguer un troisième mandat. Or le jour suivant les discussions entre congolais continuent et le soir l’accord est signé. Il est important de noter que tous les sites de l’opposition congolaise avaient repris la nouvelle dans quelques heures de temps.
● On peut donc s’attendre qu’à chaque problème qui suivra, la faute sera immédiatement mise chez la personne de Kabila et sa majorité par des experts du type Jason Stearns, Herman Cohen et cie et par le milieu des diplomates occidentaux ainsi que par les médias qui reprennent leur interprétation des faits. (Voir notre article Accord politique sous tension, des ingérences qui font obstacles (II) )
Le problème principal à résoudre pour l’organisation des élections sera le coût de celles-ci. Se posera d’abord la question de trouver des façons de diminuer le budget des élections actuellement estimé à 1,8 milliards de dollars. Il y a peut-être des économies à faire sur l’achat de matériel, le cout salariales etc… Il existe aussi la proposition qui circule au sein de la Majorité Présidentielle d’organiser les élections présidentielles d’une façon indirecte, comme cela se fait aux Etats-Unis ou lors des élections en 1960 au Congo. Mais sur ce dernier point il faudrait d’abord un consensus au sein de la classe politique et dans la population.
Enfin il y aura la question de chercher de l’aide financière pour le budget des élections chez les partenaires extérieures. Là le danger d’ingérence est grand, car les occidentaux vont conditionner leur aide financière ce qui implique le danger des élections sous tutelle extérieure. Il est clair que des élections sous tutelle occidentale devraient impliquer la défaite du courant « souverainiste ».
Enfin, il y a le danger de guerre à l’Est. Une guerre qui pourrait partir du Burundi et qui pourrait traverser la frontière avec la RDC. Ou encore une guerre lancée par Kigali et Kampala avec l’aide de milices ou de mercenaires congolais.
Un défi plutôt qu’une menace, se pose sous forme du scepticisme d’une partie importante de la jeunesse envers la classe politique. (Voir notre article sur la colère des jeunes congolais ). Ce sera aux signataires de l’accord, parmi lesquels aussi des représentants de la société civile, de montrer dans les faits qu’ils méritent la confiance de la jeunesse et qu’ils savent les intégrer dans le processus électoral. A travers un travail de sensibilisation autour de l’enrôlement des électeurs, mais aussi plus loin dans la mobilisation pour les élections et un vrai débat politique autour des programmes et actes des différents acteurs.
4. Qu’est-ce qui a rendu possible la signature de cet accord ?
D’abord au niveau de la RDC, il y a eu le refus de capituler devant les menaces et ingérences des occidentaux. Le déroulement des négociations entre le 1 septembre jusqu’au 18 octobre et du 11 au 31 décembre, prévoyant encore des négociations jusqu’au 12 janvier, est révélateur. Le rythme des ces négociation montre que ni les ultimatums, les deadlines, les menaces et les sanctions de Washington ou de Bruxelles, n’ont pu empêcher les Congolais de discuter entre eux jusqu’à ce qu’ils tombent sur un accord en pleine indépendance.
Ensuite il y a aussi une évolution importante au niveau international. Les guerres contre la Libye (2011) et contre la Syrie menées directement ou indirectement par les Etats-Unis appuyés par l’Union Européenne, ont crée beaucoup de méfiance chez les dirigeants en Afrique. Il y a du scepticisme envers les « vrais » intentions des ingérences occidentales dans des conflits qui se déroulent dans des pays avec une grande importance stratégiques.
L’idée de « solutions africaines pour des problèmes africains » a grandi. C’est ce qui a rendu possible l’appui de l’Union Africaine à l’accord du 18 octobre. Et ce qui a fait que le facilitateur désigné par cette organisation a, avec succès, mis en échec les manœuvres de Tom Perriello, l’envoyé spécial des Etats-Unis pour la RDC.
Aussi au Vatican, le Pape ne cache pas ses doutes sur les ingérences occidentales. Il a ainsi, par exemple, publiquement contesté les intentions d’intervention militaire par les Etats-Unis et l’Union Européenne en Syrie en 2013.
La Commission épiscopale congolaise, la CENCO, avait lancé en novembre 2015 l’idée d’une marche des chrétiens. En fait, à l’exemple de Mgr Monsengwo, farouche opposant à Kabila, elle se mettait en avant comme le moteur de la stratégie du renversement de Kabila. Or le 5 janvier, Mgr Nicolas Djomo, le président de la conférence épiscopale du Congo, a du écrire une lettre à ses évêques pour annuler cette marche : « Le Saint-Siège nous a fermement recommandé de suspendre les initiatives qui peuvent être manipulées pour des fins politiques. »
Lundi 26 septembre, une semaine après les violences ayant eu lieu à Kinshasa et à Lubumbashi, le Pape a reçu le Président Kabila. Il a insisté sur la nécessité d’un «dialogue respectueux et inclusif pour la stabilité et la paix dans le pays». Le 19 décembre, il parle longuement avec les évêques de la CENCO qui dirigent les négociations. Et l’on ne peut que remarquer le ton neutre que prennent les évêques quand ils font monter la pression sur les négociateurs. Ainsi le nonce apostolique dira le le 31 décembre encore à la correspondante de RFI: “si il n’y a pas d’accord, L’Eglise catholique établira responsabilités de l’échec. Elles sont des 2 côtés”.
TONY BUSSELEN, 1er janvier 2017