C’est ce mardi 13 décembre 2016, en principe, que les délégués de la majorité présidentielle, de l’opposition partie prenante au dialogue de la Cité de l’OUA, et de l’opposition tshisekediste-katumbiste abordent le fonds des problèmes à débattre aux pourparlers du Centre Interdiocésain de Kinshasa. En fait de problèmes, il s’agit des divergences dégagées par les facilitateurs de la Conférence Episcopale Nationale Indépendante (CENI) entre les options prises par le dialogue national et la déclaration politique de la Cité de l’OUA (la déclaration du 18 octobre 2016). Elles portent sur le concept de respect de la constitution ; les séquences des élections ; la gestion de la transition ; la restructuration de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), de la Cour Constitutionnelle, et du Conseil Supérieur de l’Audio-visuel et de la communication ; de la libération des prisonniers politiques et l’abandon des poursuites judiciaires à l’encontre des acteurs politiques de l’opposition ; de l’engagement par Joseph Kabila à ne pas briguer un troisième mandat (par écrit).
Après une première validation des mandats, vendredi 10 décembre dernier, trois commissions ont été mises en place qui se partagent les six matières : la commission relative à la gouvernance après le 19 décembre 2016 ; la commission chargée du calendrier électoral et de la séquence des élections : et la commission chargée des mesures de décrispation du climat politique. Une quatrième commission, peu évoquée jusque-là, devrait se charger de définir la nature de l’accord qui sera issu des pourparlers du Centre interdiocésain, en rapport à l’Accord politique du 18 octobre 2016, notamment.
Nouvelles revendications
Cependant, au-delà de ces points de divergences officiellement reconnus, il en est d’autres, qui semblent plus urgents, parce que présentés comme des conditions sine qua non de la signature de quelque accord par … les radicaux. Dont cette exigence de retransmission en direct à la télévision des travaux du Centre interdiocésain, brandie depuis le week-end dernier. Une surenchère populiste qui ne figurait pas parmi les termes des discussions transmises aux évêques catholiques, et pourrait inutilement énerver l’atmosphère déjà électrisée alors même qu’on prétend décrisper la situation, observe un acteur de la société civile de Beni, joint au téléphone par Le Maximum. Parce que la plupart des points de divergence avaient déjà trouvé un début de solution au terme du dialogue de la Cité de l’OUA, qu’il aurait suffi d’améliorer en ajoutant un élément, un aspect dont compte n’aurait pas suffisamment été tenu.
Il en est ainsi de la notion du respect de la constitution qui, selon les observateurs les plus neutres possibles, n’a en rien été énervé par l’Accord politique de la Cité de l’OUA. Si par respect de la constitution il faut entendre précisément le respect des échéances électorales et le problème de l’alternance politique au sommet de l’Etat. Les parties prenantes au dialogue politique se mises d’accord sur le fait qu’au 19 décembre prochain, le second et dernier mandat de Joseph Kabila arrivait à son terme. Mais aussi que, en attendant l’élection du prochain président de la République, le Chef de l’Etat en place demeurait, conformément à la même constitution qui ne prévoit point de vide juridique au sommet de l’Etat. Compte tenu des impératifs de la tenue d’élections provinciales, législatives et de la présidentielle, la période charnière qui court après le 19 décembre prochain sera co-gérée avec un premier ministre issu de l’opposition.
Incontournable, Joseph Kabila
Sur ce point, la divergence avec les radicaux tient au fait que si les tshikedistes-katumbistes se sont rendus à l’évidence quant à l’incontournable présence de Joseph Kabila aux affaires jusqu’à l’élection de son remplaçant élu, il reste qu’ils exigent de co-gérer d’égal à égal avec lui, ou encore de le dépouiller de tous les attributs du pouvoir d’ici la tenue des élections. A cet égard, le tout est de se convenir de ce que stipule la constitution quant à ce : en attendant l’élection de son remplaçant, le Président de la République en place doit-il être réduit à inaugurer les chrysanthèmes ? Tel semble être le point de vue de certains dans les rangs des opposants qui ne jurent que par le départ de Joseph Kabila après le 19 décembre 2016. Sans se préoccuper de ce que stipule la même constitution quant à la légalité et à la légitimité de leurs revendications : la constitution autorise-t-elle un groupe d’opposants à décréter le remplacement d’un Président de la République, même arrivé fin mandat ?
Elections : séquences et priorités
L’agencement des séquences électorales à venir fait, elle aussi, objet de divergences à surmonter au Centre Interdiocésain. Comme on le sait, les parties prenantes au dialogue de la Cité de l’OUA entendues, la CENI a proposé et fait avaliser par tous l’organisation d’élections toutes en un : la tenue au même moment de la présidentielle, des législatives et des provinciales, au début du second semestre 2018. Les tshisekedistes-katumbistes du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement ne l’entendent pas de la même oreille. Ici, priorité est accordée à la présidentielle et aux législatives, à tenir avant fin 2017 au plus tard. Quitte à organiser les provinciales et les sénatoriales un peu plus tard, en 2018 selon certains. Ici, le problème est à la fois technique et politique : la date de la tenue des élections dépend, en effet, de paramètres techniques incompressibles (déploiements des matériels, enrôlements, divers problèmes d’intendance, etc), qu’il faut accommoder aux options convenues entre les acteurs politiques. Dans tous les cas d’espèce, selon les estimations de la CENI, de l’OIF et des Nations-Unies, à elle seule, l’opération préélectorale de reconstitution du fichier, déjà en cours, ne prend fin qu’en juillet 2017. La question qui se pose est de savoir à quelle date est-il techniquement possible de tenir les tous premiers scrutins, quelle que soit l’option choisie (élections tout en un, ou scindées en deux). Une chose est claire depuis le dialogue politique national : il n’est pas techniquement possible d’organiser quelqu’élection que ce soit dans les 6 mois qui suivent la fin de la reconstitution du fichier électoral en juillet prochain, c’est-à-dire, en 2017, ainsi que le voudraient les radicaux soutenus par une partie de la communauté internationale qui ne rêve que d’en découdre avec un Chef de l’Etat qui leur a ôté le gâteau de la bouche pour l’offrir aux Chinois et autres pays émergents. Cela, la CENI, ou n’importe quelle organisation internationale indépendante le prouverait aisément et en convaincrait les délégués aux pourparlers du Centre Interdiocésain.
Se pose donc aussi, la question de la gestion politique de la période allant de la date de la fin du second et dernier mandat du Président de la République en place, pour autant qu’elle soit une question non résolue par la constitution. Au terme du dialogue politique national de la Cité de l’OUA, elle a été réglée : en ce que les parties prenantes à ces assises ne l’ont pas considérée comme une période de transition, pour ne pas énerver le texte constitutionnel en vigueur en RD Congo ; tout en contraignant le Président de la République élu en 2011 à une sorte de co-gestion-participation de l’opposition à la préparation et à l’organisation des scrutins électoraux qui doivent pourvoir à la succession au sommet de l’Etat d’un nouveau Président de la République élu par les rd congolais.
Partage équitable et équilibré
Ce à quoi les radicaux de l’opposition opposent le vieux principe du partage équitable et équilibré du pouvoir, une sorte d’équation fifty-fifty dont les fondements constitutionnels sont encore à établir.
La composition des institutions d’appui à la démocratie, la CENI, la Cour Constitutionnelle, le CESAC, focalisent également les divergences entre les parties prenantes au dialogue national de la Cité de l’OUA et les réfractaires de l’opposition tshisekediste-katumbistes. Au dialogue politique national, il a été convenu que la restructuration de la CENI était incontournable, pour rassurer les parties prenantes au processus électoral en cours. Il a donc été convenu que les composantes politiques représentées au sein de la centrale électorale contribuent à sa restructuration en désignant de nouveaux représentants, s’il échet. Il devrait en aller de même pour le CESAC, dont le mandat des dirigeants est du reste arrivé à terme depuis plusieurs mois. Reste donc la question de la composition de la Cour constitutionnelle, dont on sait que même dans les plus vieilles démocraties occidentales, la nomination des membres relève du pouvoir discrétionnaire du Président de la République.
Si les 4 premières divergences sont susceptibles de trouver des accommodements plus ou moins satisfaisants entre les délégués des parties prenantes aux pourparlers du Centre Interdiocésain, il n’en va pas de même des deux dernières.
Revendications pour bloquer
A commencer le problème de la libération inconditionnelle d’acteurs politiques que les radicaux tshisekedistes-katumbistes présentent comme des prisonniers politiques et de l’abandon de toutes poursuites judiciaires à leur encontre. Sur la divergence plane à en crever les yeux le dossier Moïse Katumbi Chapwe, l’ancien gouverneur de l’ex province du Katanga, poursuivi par la justice rd congolaise pour des faits relevant de l’atteinte à la sûreté de l’Etat (tentative de rébellion) et condamné par défaut dans une vulgaire affaire de stellionat par un tribunal de Lubumbashi. Poursuites et condamnations qui ont coïncidé avec l’annonce de sa candidature à la prochaine présidentielle, qui place Sieur Katumbi comme à l’abri de tout droit. Au sein du Rassemblement, des extrémistes, du G7 particulièrement, ne cachent point leur agenda : les pourparlers du Centre Interdiocésain se réduisent en un forum de blanchissement politique de leur mentor ou ne seront rien. C’est à cela que rime la revendication selon laquelle le pouvoir en place doit cesser d’en être un d’ici les prochains scrutins, et abandonner toute poursuites judiciaires contre un candidat à la prochaine présidentielle. Sur la question, le dialogue politique national n’a pas osé aller aussi loin. A la cité de l’OUA, les parties prenantes ont estimé que les mesures de libérations d’un certain nombre de détenus dits politiques prises par le gouvernement en place conformément aux lois en vigueur étaient suffisamment décrispantes du climat politique et ne devaient pas se focaliser sur le sort d’un individu, Moïse Katumbi Chapwe fût-il.
L’ancien gouverneur de l’ex province du Katanga n’est pas le seul concerné par la délicate question de la libération et de l’abandon des poursuites judiciaires à l’encontre d’acteurs politiques de l’opposition. Eugène Diomi Ndongala, condamné dans une non moins vulgaire affaire de droit commun portant sur le viol de mineures, et Martin Fayulu, poursuivi par le fisc rd congolais, figurent parmi ceux que les radicaux présentent comme des acteurs politiques visés par la loi en raison de leur appartenance à l’opposition politique. Le problème, crucial, est de savoir si la justice peut s’appliquer de la même manière aux acteurs politiques sans être taxée de partisane. Et donc aussi, que vaut la justice en RD Congo en rapport aux enjeux politiques indubitablement évolutifs et mouvants ?
Engagement non constitutionnel
La dernière divergence entre les parties prenantes à l’Accord politique du 18 octobre 2016 et les radicaux tshisekedistes-katumbistes réside dans l’exigence de soumettre le Président de la République en place, arrivé au terme de son second et dernier mandat selon la constitution en vigueur, à s’engager par écrit à ne pas postuler un nouveau bail présidentiel. Une exigence qui survient moins d’un mois après qu’à l’occasion de son discours sur l’état de la Nation, Joseph Kabila eût réitéré sa détermination à ne pas violer la constitution en vigueur en RD Congo. La même qui stipule que le Président de la République ne peut postuler à plus de deux mandats consécutifs. Mais rien n’y fait. Les radicaux de l’opposition, l’Eglise catholique, et une partie de la communauté internationale y tiennent ferme : Joseph Kabila doit se soumettre à cet exercice scripturaire que la constitution rd congolaise ne prévoit nulle part.
Pour rassurer empêcher le Président de la République sortant de profiter, en toute légalité et légitimité, des interstices que la même constitution laisse à disposition de quiconque de s’assurer de demeurer aux affaires sous une forme ou une autre. On ne le dit pas, mais on le devrait : à la fin de son second et dernier mandat, est-il constitutionnellement interdit au Président de la République en fonction de s’emménager une voie de retour, par soi-même ou par personne interposée, aux affaires ? Ci-gît tout le problème du fameux engagement non constitutionnel par écrit du Chef de l’Etat à ne plus rien briguer.
J.N.