De négociations en négociations (Italie, Espagne, Kinshasa) et de facilitations en facilitations (Edem Kodjo, Groupe de soutien à la facilitation, Conférence Episcopale Nationale du Congo), le dialogue politique national convoqué pour baliser la poursuite du processus démocratique en RD Congo, semblait ne plus pouvoir se tenir, et entraînait le pays vers de périodes troubles et incertaines à l’évidence. Les dernières concessions du camp présidentiel obtenues le week-end dernier, la libération d’une vingtaine de détenus dits d’opinion selon les listes transmises via le facilitateur de l’Union africaine par l’opposition au pouvoir en place à Kinshasa, Edem Kodjo a décidé la convocation des travaux préliminaires du dialogue. Ils se tiennent dès 10 heures, mardi 23 août 2016 à l’Hôtel Béatrice, non loin de la Place de la Gare à la Gombe.
Advienne que pourra
C’est donc parti et advienne que pourra, semble s’être dits le facilitateur de l’Union Africaine et l’impressionnante équipe de soutien à la facilitation qui lui a été associée à la demande de l’opposition l’épaule dans ses travaux. Manipulé par les stratèges du G7, Etienne Tshisekedi avait tenté un dernier baroud d’honneur en adressant trois correspondances aux instances africaines et internationales faisant état de son intention de participer au dialogue « si, et seulement si un autre facilitateur que Kodjo était désigné ». La requête a été rejetée par tous les interlocuteurs contactés, agacés par les « caprices irrationnelles » du vieil opposant, selon les propos d’un diplomate européen à Kinshasa.
Le facilitateur et son équipe ne sont pas les seuls à privilégier la progression vers la tenue du dialogue au statu quo induit par les tergiversations du G7 auxquelles Etienne Tshisekedi a prêté (ou vendu) son prestige. Avant de se lancer dans les consultations des parties prenantes au dialogue et au processus électoral, la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) et son tout nouveau président, Mgr Utemi de l’archevêché de Kisangai, avaient déjà appelé tous les acteurs politiques à « cesser de monter les enchères et à œuvrer à la tenue du dialogue politique ». Sans grands succès puisqu’une partie de l’opposition, le Rassemblement des Forces Acquises au Changement que semble diriger l’Udps Etienne Tshisekedi, n’a pas arrêté d’exiger, outre la libération de ceux qu’il considère comme prisonniers d’opinion, l’arrêt des poursuites judiciaires contre Moïse Katumbi, le candidat à la prochaine présidentielle. Ainsi que la libération sans autre forme de procès d’Eugène Diomi Ndongala, condamné pour dans une affaire de viols sur mineures ainsi que Jean-Claude Muyambo, poursuivi pour une affaire d’escroquerie.
Des revendications pour vider l’Etat de sa substance
Sur ces trois personnalités politiques, le gouvernement a dit niet, donc. L’Union africaine et ses partenaires de l’équipe de facilitation semblent avoir considéré que sur la longue liste des détenus transmise à la partie gouvernementale, la proportion des libérations accordées était suffisante pour lancer la machine. Parce qu’exiger une satisfaction à 100 % des exigences de l’opposition relève de l’irréalisme politique le plus absolu. Absolues et irréalisables semblaient, en effet, les préalables brandies par l’UDPS/Tshisekedi et le G7 que conduit pour la galerie un autre vétéran de la politique rd congolaise, Charles Mwando Nsimba : c’est à peine si ces ténors du Rassemblement n’exigeaient pas, carrément, à défaut de renonciation au pouvoir de Joseph Kabila et de la majorité présidentielle qui le soutient depuis la présidentielle de 2006, la cessation du fonctionnement des institutions publiques. Tellement ils invoquent d’ores et déjà une sorte de non-Etat au sein de laquelle ils tiendraient le fin mot de la gestion du pays. Le dialogue prôné par le Rassemblement des Forces Acquises au Changement était un dialogue pour faire rendre le tablier à une importante partie de la classe politique rd congolaise, la plus importante, à en juger par les résultats des dernières élections organisées en RD Congo, quoique l’on pense. Et ce n’est pas rien. Et rien ne justifie un diktat aussi arbitraire, estiment certains, parmi les acteurs politiques de l’opposition où l’arrivisme des katumbistes n’est pas toujours bien vu, mais aussi dans l’opinion publique en général.
Aussitôt la convocation des travaux préparatoires du dialogue annoncée le week-end dernier, le Rassemblement des Forces Acquises au Changement est remonté sur ses chevaux, rappelant la récusation du facilitateur et annonçant une ville morte le jour même du lancement des travaux, mardi 23 août 2016, dans le pur style de l’opposition du début des années ’90, celle-là même qui permit au maréchal Mobutu de s’offrir gracieusement une rallonge de sept ans à la tête de l’Etat avant que ne vint la guerre de l’Afdl. Dans un communiqué rendu public à cet effet, le nouveau secrétaire général de l’UDPS/Tshisekedi, un proche de Moïse Katumbi, considère même cette convocation des travaux sans l’aval de la frange de l’opposition à laquelle il appartient comme une provocation. Un peu comme si en RD Congo, le pouvoir d’Etat avait déjà changé de camps par le simple fait de la création d’une nouvelle plate-forme au sein de l’opposition politique, et l’annonce des candidatures à la présidentielle de Moïse Katumbi Chapwe et d’Etienne Tshisekedi, ce dernier se considérant, en dehors de moment d’éclairs de lucidité, comme le vrai président de la République élu en 2011, ou quelque chose d’approchant. Au terme d’une réunion, dimanche 21 août 2016, le président du comité des sages du Rassemblement et président de l’UDPS qui porte son nom n’a pas dérogé aux usages en confirmant la ville morte projetée mardi et en en rejetant la responsabilité sur le facilitateur du dialogue, le Togolais Edem Kodjo.
Responsabilité historique
En fait de responsabilité, le diplomate Togolais et le groupe de soutien à la facilitation en ont bien pris une : celle de ne pas suspendre l’avenir politique de la RD Congo aux ambitions, aussi légitimes soient-elles, d’un seul des regroupements d’acteurs politiques nationaux. Celle de refuser de porter la lourde responsabilité d’avoir laissé la RD Congo, ce géant du continent, retourner à la dérive faute de courage politique dans le chef d’un facilitateur. Le dialogue politique national se tiendra, donc, avec ou sans le Rassemblement des Forces Acquises au Changement. Il décidera des conditions d’organisation de la passation du pouvoir par des voies démocratiques et à des conditions qui rassurent le plus grand nombre. C’est déjà mieux, de loin mieux qu’abandonner le pouvoir d’Etat entre les mains d’opposants qui ne savent pas encore ce qui adviendra de la République si jamais Joseph Kabila renonçait à l’exercice du pouvoir après décembre prochain ; de loin mieux qu’une passation de pouvoir rythmée par les tirs d’obus de mortiers et les rafales de kalachnikovs ci et là à travers l’immense RD Congo.
J.N.