Sur la situation politique en RD Congo, tout se passe comme si les partenaires occidentaux adoptaient des postures différentes selon qu’ils se trouvent en face d’opposants ou de responsables politiques au pouvoir à Kinshasa. Après les USA, le parlement belge a pris des sanctions contre le gouvernement de la RD Congo, applicables si les élections intenables dans les délais constitutionnels ne se tenaient pas. En même temps qu’à un autre niveau, celui de l’exécutif du Royaume, le vice-premier ministre et ministre belge des affaires étrangères, Didier Reynders, se prévaut de considérations plus réalistes et nuancées. « L’important est de lancer le processus électoral », avance-t-il dans une interview publiée par nos confrère de Notre Afrik (n° 68, juillet-août 2016). Interview.
Notre Afrik (NA) : Lors de votre récent déplacement à Kinshasa, vous avez eu l’occasion de discuter avec le président congolais, Joseph Kabila, pendant deux heures. Vous-a-t-il donné des signes satisfaisants concernant la tenue de l’élection présidentielle prévue au mois de novembre 2016 ?
Didier Reynders (DR) : Le mois de novembre sera difficilement tenable, c’est ce que tous les responsables politiques disent, pas seulement le président Kabila. J’ai rencontré beaucoup de membres du gouvernement, de la majorité présidentielle et à peu près tous les représentants de l’opposition sur place : tout le monde se rend bien compte que ce qu’il faut maintenant, c’est démarrer le processus.
Ce sera difficile de tenir l’élection présidentielle en novembre, simplement parce que chacun souhaite que le fichier électoral soit revu. Il y a six à huit millions de nouveaux électeurs. Mon problème est surtout que l’on revoit cette liste et que l’on lance le processus électoral, et donc que la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) puisse convoquer les électeurs. S’il y avait un décalage de quelques mois par rapport à la date des élections initialement prévue, cela ne serait pas un problème tant que le calendrier est lancé.
Ce qui m’inquiète aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas de signe très clair du démarrage du processus électoral en dehors de la révision de la liste électorale. J’en ai parlé avec le président Kabila, qui renvoie évidemment vers plusieurs problèmes : la liste électorale, le financement des élections – mais le budget congolais prévoit déjà une partie du financement – je lui ai confirmé que la communauté internationale était prête à contribuer, que la Monusco (Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, Ndlr), surtout, pouvait jouer un rôle important sur le plan logistique. J’attends donc que dans les prochaines semaines, il y ait une confirmation du lancement du processus.
NA : La Cour constitutionnelle congolaise vient d’assurer que « suivant le principe de la continuité de l’Etat et pour éviter le vide à la tête de l’Etat, le président actuel reste en fonction jusqu’à l’installation du nouveau président élu ». Pour vous, Joseph Kabila sera-t-il toujours président le 21 décembre prochain ?
DR : L’article en cause de la constitution, l’article 70, vise en fait une situation que l’on connaît par exemple aussi aux Etats-Unis Quand il y a élections, le président sortant reste en place jusqu’à l’installation de son successeur, mais cet article n’est évidemment pas prévu pour une situation sans élection. Donc, ce que nous espérons, c’est que des élections seront réellement programmées et que l’on pourra installer un président élu. Il ne s’agit pas de dire qu’un président peut rester en place pendant des années parce que l’on n’organise pas de scrutin.
NA : Dans ce cas-ci, les observateurs estiment que le glissement pourrait nous amener jusqu’en 2018 …
DR : Je lis beaucoup d’observations et de commentaires. Mais ma préoccupation est de faire en sorte que l’on utilise tous les moyens à notre disposition pour que le processus électoral se déclenche, que la Ceni travaille concrètement à la révision du fichier électoral, ce qui est demandé par la majorité présidentielle comme par l’opposition. Je crois que la communauté internationale doit se concentrer sur cela : comment respecter les engagements constitutionnels qui ont été pris et comment aider à ce que ces engagements soient réellement mis en oeuvre.
Aider peut signifier un soutien logistique à l’organisation des élections et éventuellement un soutien financier. La Belgique a notamment prévu dans ses budgets d’aide au développement un soutien aux élections locales par exemple. On peut mobiliser ce soutien pour des élections qui, à mes yeux, doivent d’abord et avant tout être présidentielle et législatives, probablement aussi provinciales puisque c’est la seule façon de renouveller le Sénat. Si on peut faire les élections locales en même temps, tant mieux ! Si elles sont décalées dans le temps, ce ne sera pas non plus dramatique. Elles n’ont encore jamais eu lieu au Congo.
NA : A Kinshasa, vous avez précisé que la responsabilité individuelle des personnes chargées de l’ordre public serait engagée en cas de dérapage dans l’encadrement des manifestations par exemple. C’est une menace à peine voilée, non ?
DR : C’est la deuxième préoccupation. Comment garantir que l’espace public, démocratique, soit ouvert, que l’on puisse avoir une liberté de presse, de manifestation, qu’il n’y ait pas d’arrestation arbitraire et que l’on puisse voir une véritable opposition présenter des candidats et organiser des manifestations ?
J’ai simplement mis l’accent sur un point. Il est évident que dans cette période, tout responsable public a une attention particulière à accorder à cet espace public. C’est vrai de la part des membres d’un gouvernement, d’une majorité, c’est vrai de la part de l’opposition, il faut également éviter de recourir à la violence quand on est dans l’opposition. Mais c’est surtout vrai pour tous les responsables directs de la sécurité. Lors d’une rencontre avec le ministre de l’intérieur et l’ensemble de ses services, j’ai attiré l’attention sur la responsabilité individuelle de tout un chacun. Je crois que rappeler ces principes de constitue pas une menace, c’est simplement un fait.
Je ne souhaite pas entrer dans une logique de menace. Je crois que chacun est conscient que lorsque l’on exerce des fonctions importantes, on assume une responsabilité et il faut éviter que cela entraîne un rétrécissement de l’espace public et n’entraîne des déviances, comme des arrestations arbitraires ou des situations qui empêcheraient des candidats de l’opposition de se présenter ou de participer correctement au débat politique.
NA : Avez-vous abordé ces questions avec les autorités congolaises ?
DR : Avec des membres du gouvernement congolais, nous avons abordé toute une série de cas individuels : comment cela se fait que telles arrestations sont intervenues ? Quelles sont les raisons qui poussent un certain nombre d’opposants et de membres de la société civile à s’inquiéter concernant cet espace démocratique ? J’ai aussi salué les évolutions positives. Je crois que, à Kinshasa notamment – et le gouverneur de Kinshasa n’y est pas étranger – des manifestations ont pu se tenir sans qu’il n’y ait d’incidents violents importants et avec les forces de l’ordre qui ont pu maîtriser la situation sans commettre d’excès. Cela est aussi à saluer.
La première responsabilité est toujours, dans tous les Etats, entre les mains des autorités. Ce sont celles-ci qui doivent d’abord éviter un recours excessif à la violence, mais l’on doit aussi lancer un appel à toute force d’opposition pour éviter la provocation et l’utilisation de la violence. J’essaie toujours de le faire de manière équilibrée. L’appel concerne tous les acteurs.
NA : Les Etats-Unis se sont dits prêts à sanctionner en cas de besoin. La Belgique et l’Union Européenne le sont-elles également ?
DR : Sanctionner ne veut pas dire grand-chose. Ce qu’il faut regarder à un moment donné, c’est si des faits sont avérés. Si c’est le cas, nous devons prendre nous aussi nos responsabilités (…) Lorsque des dérapages interviennent, il y a d’autres mesures à prendre. On en a pris à l’égard du Burundi, mais on n’est pas dans la même situation. Au Burundi, il y a des violences tous les jours, il y a maintenant plus de 250.000 réfugiés, peut-être même près de 300.000 qui sont partis vers le Congo, le Rwanda et la Tanzanie. Je crois qu’il faut d’abord rester dans une logique de dialogue, essayer de faire en sorte que l’on pousse à la mise en place des outils nécessaires pour respecter les engagements constitutionnels. Ce n’est qu’en cas de dérapage que l’on peut imaginer d’autres formules. Il ne faut pas précipiter les choses, nous sommes encore dans une période où l’on peut tenter de forcer la mise en œuvre du processus électoral avec révision du fichier électoral.
NA : Craignez-vous en RDC un scénario à la burundaise ?
DR : Je crois qu’on ne doit pas comparer les deux situations. Ce qu’il faut surtout, c’est se focaliser sur ce que l’on peut réellement organiser. Par ailleurs, il faut également se préoccuper de la situation économique. Il est évident que la chute des prix des produits pétroliers, mais aussi de toute une série d’autres matières premières, a des conséquences budgétaires lourdes. On voit bien qu’il y a des difficultés majeures, qui se traduisent par des situations très compliquées à l’intérieur du pays en termes d’emplois, de perspective de développement et notamment pour beaucoup de jeunes. (…) Vu d’Europe, on a des préoccupations souvent tournées vers la sécurité, l’afflux migratoire, mais il faut bien se rendre compte que la baisse des prix pétroliers, dont nous bénéficions, pose problème à de très nombreux pays à travers le monde, et particulièrement en Afrique. Notamment dans la région des Grands Lacs. Cela peut avoir un impact très lourd sur le budget de l’Etat et sur la vie économique et sociale dans le pays, et cela peut provoquer des tensions sociales fortes à plusieurs endroits à travers la région.
(…)
Propos recueillis par Damien ROULETTE
Tiré de Notre Afrik, n° 68, Juillet-Août 2016