Elle devait faire ses valises en février 2026, mais elle a préféré s’en aller 2 mois avant, sans doute vers une retraite méritée, après plus de 30 ans dans les rouages de l’ONU. Bintou Keita, 67 ans, a été nommée à la tête d’une des missions onusiennes les plus exposées au monde en février 2021. Elle a quitté Kinshasa pour Paris, le 30 novembre dernier, emportant la palme de la longévité (près de 5 ans) à la tête de la plus grande mission onusienne dans le monde.
En RDC, les Congolais se souviendront de la diplomate guinéenne comme celle qui, parmi tous les représentants du secrétaire général et patrons de la mission des Nations-Unies en RDC, n’a pas hésité à désigner le Rwanda de Paul Kagame comme agresseur de la RDC. C’est aussi tout dire de la difficulté de la tâche qui a incombé à la patronne des casques bleus durant plus de 4 ans. Bintou Keita s’est attiré les foudres de Kigali et de ses suppôts de l’AFC/M23, qui sont allés jusqu’à assimiler la mission onusienne aux forces négatives à combattre en RDC.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir tenté d’innover. Le mandat de Bintou Keita en RDC a été marqué par une approche que les observateurs qualifient de diplomatique et de terrain, et une transition historique (qui a vu la Monusco réduire drastiquement sa présence en RDC), tout en faisant face à de nombreux défis. De même qu’il a été marqué par de nombreuses pressions politiques, des hostilités populaires en RDC et un contexte sécuritaire complexe alors que la mission n’avait pas mandat de combattre les troupes assaillantes.
D’interminables offensives
Sur le mandat de la désormais ex-patronne de la Monusco, le bulletin d’information de la mission ne tarit pas d’éloges. «Bintou Keita a pris les rênes de la MONUSCO dans un contexte d’interminables offensives, de violences armées répétées, d’apparente impuissance et de pression grandissante sur les effectifs et moyens de maintien de la paix», y lit-on.
Face à ces défis titanesques, trois urgences : protéger les civils, stabiliser un terrain de conflit, et préparer la mission à un retrait progressif, selon le vœu du gouvernement de la RDC.
Il est ainsi rappelé que quelques jours à peine après sa nomination à la tête de la MONUSCO, Bintou Keita a dû faire face à l’éruption soudaine du volcan Nyiragongo, imposant la relocalisation de 3.000 employés onusiens et leurs familles, la mobilisation des compagnies de génie de la mission pour dégager les axes obstrués par les laves du volcan, contribuer au rétablissement de l’approvisionnement en eau potable et soutenir la surveillance volcanique. «Cette approche ‘sur le terrain’ a confié à la Mission une dimension d’ingénierie humanitaire au-delà du seul maintien de la paix», écrit le bulletin d’informations onusien.
Des évacuations délicates via le Rwanda
Face à l’avancée du M23, Bintou Keita a passé plusieurs jours sur le terrain aux côtés des équipes civiles, militaires et policières. «Elle a accompagné des évacuations délicates – notamment via la frontière rwandaise – des personnalités de l’ONU, assumant des choix lourdement critiqués mais faits dans le cadre du mandat de protection des civils». On note encore, s’agissant des renégats à la solde du Rwanda, que c’est encore Bintou Keita qui les a reçus à Goma en juin 2025, «dans une démarche de dialogue rare avec les rebelles».
La mission a fait face à l’Est du territoire de la RDC, à des manifestations hostiles, parfois violentes. Bintou Keita n’a pas hésité à condamner car, «s’attaquer aux casques bleus, c’est s’attaquer à la protection des civils», explique-t-elle.
C’est sous le leadership de la Guinéenne qu’un plan de transition est signé en septembre 2021 entre la RDC et les Nations-Unis, qui fixe un cadre pour un retrait ordonné des troupes onusiennes. «La province du Tanganyika passe la première, puis le Sud-Kivu voit la fermeture de son bureau MONUSCO en juin 2024 avec un transfert d’équipements estimé à 10 millions USD». Keita insiste : «Le départ de la MONUSCO ne signifie pas le départ de l’ONU». Cette formulation incarne sa démarche : maintenir un soutien même après le départ des effectifs militaires, selon le bulletin onusien.
Laisser l’empreinte d’une mission
En plus des défis inhérents à son mandat — combats, catastrophes naturelles, désengagement progressif —, Mme Keita a démontré que le maintien de la paix ne se limite pas à des blindés et des soldats. Sa vision inclut le génie civil, la diplomatie, l’écoute des communautés, le travail de terrain et la mobilisation de tous les acteurs, militaires, humanitaires, gouvernementaux et communautaires.
Son message reste simple et puissant : on peut laisser derrière soi l’empreinte d’une mission, tout en restant profondément lié à un pays, à sa jeunesse, à la dignité de son peuple, conclut le bulletin d’informations onusiennes.
J. MBEMBO