Les sanctions de l’Union européenne contre le régime autoritaire rwandais, attendues depuis plusieurs semaines sont tombées lundi 17 mars 2025 comme un couperet. Bruxelles, un des plus importants soutiens de Paul Kagame jusqu’il y a peu, a fini par balayer ses réticences à l’interne en ajoutant huit individus et une entreprise rwandaise sur sa liste des personnes sous sanctions européennes. Pas suffisant, mais cette «petite mort administrative et financière» infligée à ces piliers de la dernière en date des incursions rwandaises au Congo est un signal fort qui fait très mal au pays des mille collines toujours livré pieds et poings liés au pouvoir sans partage du «Hitler des tropiques africaines».
Comme les nazis allemands l’avaient fait en 1939 en simulant une attaque polonaise contre un émetteur radio situé en Allemagne pour justifier leur invasion de la Pologne et avant eux (1937) les Japonais qui prirent prétexte de l’absence prolongée d’un de leurs soldats dans sa caserne pour attaquer la Chine, ‘‘coupable’’ du prétendu assassinat du troufion qui revint, bien vivant, quelques jours plus tard en déclarant qu’il s’était simplement égaré dans la zone frontalière sino-japonaise, Paul Kagame s’est spécialisé dans la fabrication des incidents fallacieux qui légitiment, notamment en Occident, ses incursions sanglantes et prédatrices en territoire congolais. Mais comme l’a écrit Gautier de Coincy, tant va la cruche à l’eau qu’à la fin, elle se brise. Ni la tactique de talk and fight qui conduisait le chef de l’État rwandais à donner le change en participant aux négociations avant de refuser de conclure in extremis, ni le plaidoyer de certains pays comme le Kenya et la Tanzanie et l’Union africaine en faveur d’une temporisation du lancement des sanctions pour donner une chance aux négociations directes projetées à Luanda entre le gouvernement congolais et le M23, n’ont convaincu les Européens excédés par l’arrogance, les atrocités et les pillages perpétrés par les Rwandais à Goma et Bukavu.
Le Conseil européen qui s’était laissé aller naguère à signer moult conventions stratégiques et miniers avec Paul Kagame a fini par reconnaître que la présence des troupes rwandaises sur le territoire de la République Démocratique du Congo est «une agression armée et une violation flagrante de la souveraineté de ce pays qui entretient l’instabilité et l’insécurité dans toute la région des Grands Lacs africains». Mais aussi, que les revenus issus de l’extraction illégale et du trafic des ressources naturelles en provenance de l’Est de la RDC sont utilisés pour financer, entre autres, le groupe armé M23 et ses opérations, et contribuent ainsi à l’escalade du conflit.

Trois hauts gradés de l’armée rwandaise, les généraux Ruki Karusisi, Eugène Nkubito et Pascal Muhizi, ont aussi été ciblés par les sanctions de l’Union européenne. Ainsi que Francis Kamanzi, directeur général de l’Office rwandais des mines, du pétrole et du gaz (RMB) et, à ce titre, principal relais vers l’Europe ou l’Amérique des minerais du sang en provenance de l’Est de la RDC.
Parmi les rebelles du M23, quatre figures clés sont concernées par ces sanctions européennes, dont Bertrand Bisimwa, le chef politique du M23.
A Kinshasa, l’impression générale est que les sanctions qui frappent le régime rwandais et les renégats congolais à sa solde sont encore insuffisantes. On pense que le président Paul Kagame bénéficie encore d’une certaine complaisance de ses amis européens qui l’avaient certainement prévenu, au détail près, des sanctions qui lui pendaient au nez. Ce n’est pas par hasard que samedi 15 mars 2025, quelques jours avant l’annonce des sanctions, le général de division Ruki Karusisi alias ‘‘Rocky’’ avait été brusquement démis de ses fonctions de commandant des forces spéciales des RDF et remplacé par le général de brigade Stanislas Gashugi, fait-on observer. Les sanctions de l’UE n’en envoient pas moins un signal clair qui pourrait, à la limite, inciter plus d’un investisseur et des donateurs internationaux à y réfléchir par deux fois avant de parier sur le régime en place à Kigali.
C’est de toute évidence un pas décisif vers l’isolement et l’assèchement financier de la principauté militaire qui dirige le Rwanda depuis le milieu des années ’90 qui vient ainsi d’être franchi et devrait se poursuivre. Selon le député français, Thierry Mariani, les sanctions de l’UE sont «une première victoire mais il faut aller plus loin, exiger le retrait immédiat de l’armée rwandaise et du M23 de l’Est de la RDC ; annuler l’accord UE-Rwanda sur les minerais critiques ; et sanctionner Paul Kagame en personne».
Sanctions financières
Dans les faits, ce sont les ressources financières dont le pays de Kagame peut difficilement se passer qui sont amenuisées par ces sanctions. Particulièrement, les revenus aurifères générés par Gasabo Gold Refinery, la raffinerie rwandaise frappée par l’UE. Les exportations rwandaises d’or se sont chiffrées à quelque 880 millions USD pour la seule année 2024. Pour l’année 2025, ce sont 1 milliard 350 millions USD qui étaient attendus. Là ou le coltan, en comparaison, ne rapporte que 72 millions USD/an. Avec ces sanctions européennes, les exportations aurifères rwandaises devraient enregistrer une baisse drastique, consécutive au ralentissement des activités de Gasabo Gold Refinery, estime-t-on. Un analyste financier rwandais s’exprimant sous le sceau de l’anonymat estime que Kigali enregistrera une chute des recettes fiscales de plus de 1 milliard 300 millions USD sur un budget annuel d’à peine 4 milliards USD.
La Gasabo Gold Refineryqui est basée dans la capitale rwandaise a commencé ses activités de raffinage le 1er juin 2022 à la suite de la fermeture de la raffinerie d’or d’Aldango (Aldango Gold Refinery). L’extraction illégale et le trafic de ressources naturelles provenant de l’Est de la RDC, telles que l’or, ont notoirement contribué à l’escalade du conflit, selon l’Union européenne. Depuis 2022, le passage en transit de l’or par le biais de Gasabo Gold Refinery, seule raffinerie d’or du pays, a contribué bon an, mal an, à faire prospérer les activités d’exportation illicite et le trafic interlope de l’or congolais par l’intermédiaire du Rwanda. La Gasabo Gold Refinery exploite ainsi le conflit armé, l’instabilité ou l’insécurité en RDC, y compris en se livrant à l’exploitation ou au commerce illicite des ressources naturelles, selon le Règlement d’exécution du Conseil de l’UE, publié le 17 mars 2025.
Sanctions individuelles
Neuf personnes ont été ajoutées à la liste des sanctions de l’Union européenne. Bertrand Bisimwa, président de la branche politique du “Mouvement du 23 mars” (M23), un groupe armé non gouvernemental. Le M23 entretient depuis de nombreuses années le conflit armé, l’instabilité et l’insécurité en République Démocratique du Congo, notamment en incitant à la violence et à la haine ethnique, de concert avec ses mentors des Rwanda Defence Forces déployés en force sur le territoire congolais. En outre, il est responsable de graves violations des droits de l’homme, y compris d’assassinats de civils et d’agressions et de violences sexuelles à leur encontre, ainsi que de recrutements d’enfants dans des groupes armés.
En raison de sa fonction dirigeante au sein du M23, Bertrand Bisimwa contribue à planifier, diriger ou commettre des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou atteintes à ces droits en RDC. Il est également considéré comme responsable de l’escalade de ce conflit armé, ainsi que l’instabilité et l’insécurité subséquentes en RDC.
Le général de division Ruki Karusisi alias Rocky, de nationalité rwandaise,était jusqu’au 15 mars 2025 commandant de la Force spéciale des Forces rwandaises de défense (RDF) déployées dans l’Est de la RDC. La présence des troupes rwandaises sur le sol congolais – sous le prétexte des incidents fallacieux sur lesquels les stratèges du Congo desk du ministère rwandais de la défense se sont échinés à inventer ces dernières années – a pour objectif d’y entretenir une véritable chienlit propice aux ambitions hégémonistes et prédatrices du président Kagame en RDC. Estimé à plus 4.000 hommes lourdement équipés, le corps expéditionnaire rwandais à l’Est du Congo a apporté un appui en hommes et en matériel à toutes les opérations du Mouvement du 23 mars/Armée révolutionnaire congolaise (M23/ARC), un groupe armé de renégats congolais opérant dans la région. La présence des RDF dans les provinces congolaises du Nord et du Sud-Kivu constitue pour l’UE «une violation de l’intégrité territoriale de la RDC et entretient le conflit armé, l’instabilité et l’insécurité dans la région en plus de la responsabilité des soldats rwandais dans les graves violations des droits de l’homme, y compris les punitions collectives, et autres violations des droits de l’homme commises par des membres du M23».

En raison de sa fonction de patron de la Force spéciale des RDF déployées dans l’Est de la RDC, le général Ruki Karusisi est donc responsable de ce conflit armé, de l’instabilité et de l’insécurité dans la région, de même que du soutien à des entités qui entretiennent le conflit armé, l’instabilité et l’insécurité dans ce pays.
Désiré Rukomera, de nationalité rwandaise, occupe depuis janvier 2024 la fonction dirigeante de chef du service du recrutement et de la propagande du Mouvement du 23 mars (M23) qui entretient le conflit armé, l’instabilité et l’insécurité en RDC, notamment en incitant à la violence. Il est en outre responsable de graves violations des droits de l’homme, y compris des assassinats de civils, des agressions et des violences sexuelles à leur encontre, ainsi que du recrutements d’enfants dans un groupe armé. En raison de sa fonction dirigeante au sein du M23, Désiré Rukomera planifie, dirige ou commet des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou de graves atteintes à ces droits en RDC. Il est également responsable d’entretenir le conflit armé, l’instabilité et l’insécurité dans ce pays.
John Imani Nzenze alias Mike Bravo, de nationalité congolaise,colonel auto-proclamé et chef du renseignement (“G2”) du groupe armé M23, également sanctionné comme responsable de graves violations des droits de l’homme, y compris des assassinats de civils, des agressions et des violences sexuelles ainsi que du recrutement d’enfants dans les rangs du groupe armé M23.
En raison de sa fonction dirigeante au sein du M23, John Imani Nzenze contribue à planifier, diriger ou commettre des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou de graves atteintes à ces droits en RDC. Il est également responsable d’entretenir le conflit armé, l’instabilité et l’insécurité en RDC.
Le général major Eugène Nkubito, de nationalité rwandaise, estcommandant de la 3ème division des Forces rwandaises de défense (RDF) déployée dans l’Est de la République Démocratique du Congo, plus précisément dans la province du Nord-Kivu. Il occupe cette fonction depuis août 2022. La présence des RDF en RDC a pour objectif de renforcer les opérations du Mouvement du 23 mars/de l’Armée révolutionnaire congolaise (M23/ARC), un groupe armé non gouvernemental opérant dans l’Est de la RDC, en fournissant des troupes et du matériel. Elle constitue une violation de l’intégrité territoriale de la RDC et entretient le conflit armé, l’instabilité et l’insécurité dans la région. En outre, elle est responsable de graves violations des droits de l’homme, y compris de punitions collectives, et perpétue les graves violations des droits de l’homme commises par des membres du M23. En raison de sa fonction de commandement au sein de la 3ème division des RDF, déployée dans l’Est de la RDC, Eugène Nkubito est responsable d’entretenir le conflit armé, l’instabilité et l’insécurité dans la région.
Le général de brigade Pascal Muhizi, de nationalité rwandaise, est lecommandant de la 2ème division des Forces rwandaises de défense (RDF) déployée dans l’Est de la RDC depuis août 2023 dont la présence au Kivu constitue une violation de l’intégrité territoriale de la RDC et entretient le conflit armé, l’instabilité et l’insécurité dans la région et perpétue les graves violations des droits de l’homme commises par des membres du Mouvement du 23 mars/de l’Armée révolutionnaire congolaise (M23/ARC).
En raison de sa fonction dirigeante au sein de la 2ème division des RDF présentes en RDC, le général de brigade Pascal Muhizi est responsable d’apporter un soutien aux entités qui entretiennent le conflit armé, l’instabilité et l’insécurité en RDC.
Jean-Bosco Nzabonimpa Mupenzi,de nationalité congolaise,est lechef adjoint du département Finances et production du M23. Il est le chef adjoint du département Finances et production du Mouvement du 23 mars/de l’Armée révolutionnaire congolaise (M23/ARC) qui opère en République Démocratique du Congo, plus précisément dans la province du Nord-Kivu, depuis janvier 2024. En participant à la collecte des moyens financiers et à la formation des recrues du M23/ARC, il entretient le conflit armé, l’instabilité et l’insécurité dans la région et perpétue les graves violations des droits de l’homme commises par des membres du M23, y compris des assassinats de civils et des agressions et des violences sexuelles à leur encontre, ainsi que le recrutement d’enfants.
Francis Kamanzi, de nationalité rwandaise, directeur général de l’Office rwandais des mines, pétrole et gaz (RMB) depuis février 2024, société par laquelle transitent les minerais illégalement exploités dans les régions congolaises contrôlées par le Mouvement du 23 mars (M23) et qui font l’objet d’un trafic vers le Rwanda au profit de l’Alliance Fleuve Congo/M23 et de l’économie rwandaise, où ces minerais provenant de zones de conflit sont mélangés à la production rwandaise afin de brouiller toute traçabilité. En raison de sa fonction dirigeante au sein de la société RMB, Francis Kamanzi partage la responsabilité de l’exploitation du conflit armé, de l’instabilité ou de l’insécurité en RDC, y compris en se livrant à l’exploitation ou au commerce illicites de ressources naturelles.

Joseph Musanga Bahati alias “Colonel Erasto”; de nationalité congolaise, gouverneur du Nord-Kivu, est un personnage de premier plan dans la structure du groupe rebelle M23 et au sein de l’Alliance Fleuve Congo. Il a occupé le poste de chef des finances du M23 pendant plusieurs années. En janvier 2025, il a été désigné à la tête de la nouvelle “administration” illégale imposée par le M23 en violation de la souveraineté congolaise en qualité de gouverneur du Nord-Kivu par le duo Nangaa–Bisimwa. La mise en place de cette administration parallèle en RDC constitue une violation de l’intégrité territoriale de la RDC et entretient également le conflit armé, l’instabilité et l’insécurité dans la région et perpétue les graves violations des droits de l’homme commises par des membres du M23. En raison de sa fonction dirigeante au sein du M23, Joseph Bahati Musanga contribue à planifier, diriger ou commettre des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou de graves atteintes à ces droits en RDC. Il est également responsable d’entretenir le conflit armé, l’instabilité et l’insécurité en RDC.
J.N. avec Le Maximum