Entre le Rwanda de Paul Kagame et le Royaume de Belgique, les relations se sont passablement détériorées. Lundi 17 mars 2025, l’arrogant homme fort de Kigali a pris anticipativement l’initiative de rompre les relations diplomatiques avec l’ancienne métropole coloniale du Rwanda, mais aussi de la République Démocratique du Congo. Kigali reproche au gouvernement belge «un parti-pris en faveur de la RDC dans la guerre régionale en cours» et va jusqu’à dénoncer l’implication des Belges dans le génocide de 1994. Pour la première fois, le Rwanda reconnaît qu’il est engagé dans la guerre qui ravage l’Est du Congo devenue ‘‘régionale’’ alors que naguère le narratif officiel rwandais en faisait une affaire congolo-congolaise.
La décision rwandaise n’a pourtant pas été une surprise pour la plupart des observateurs, après que Paul Kagame eût ciblé dans une diatribe particulièrement salée la Belgique, au cours d’un speech prononcé dimanche 16 mars 2025 devant des partisans à Kigali. «Notre plus grand problème est d’avoir été colonisés par un petit pays, la Belgique, qui voulait découper notre pays et le réduire à une taille similaire à la sienne. Et je vais la mettre en garde», l’a-t-on, entre autres, entendu vociférer hargneusement.
Lundi 17 mars, le ministère rwandais des Affaires étrangères a, non sans pompes, annoncé la notification de «sa décision de rompre les relations diplomatiques (avec la Belgique, Ndlr), avec effet immédiat». Un délai de 48 heures a été accordé aux diplomates belges présents au Rwanda de quitter le pays. «Conformément à la Convention de Vienne, le Rwanda assurera la protection des locaux, des biens et des archives de la mission diplomatique belge à Kigali», renseigne le communiqué du ministère rwandais des Affaires étrangères.
Litanie de griefs contre la Belgique
La liste des griefs retenus par la principauté militaire au pouvoir à Kigali à charge du gouvernement belge qui plonge ses racines dans la lointaine période coloniale est très longue. «La Belgique a constamment miné le Rwanda, bien avant et pendant le conflit en cours en République Démocratique du Congo, dans lequel elle détient un rôle historique et profondément violent», selon Kigali. Le pays du Roi Philippe aurait en outre «clairement pris parti dans un conflit régional et continue à se mobiliser systématiquement contre le Rwanda dans différends forums, utilisant mensonges et manipulations pour créer une opinion hostile injustifiée à l’égard du Rwanda, dans le but de déstabiliser le pays et la région», selon le ministère rwandais des Affaires étrangères. Avant de souligner que cette décision reflète «l’engagement du Rwanda à protéger ses intérêts nationaux et la dignité des Rwandais, ainsi qu’à défendre les principes de souveraineté, de paix et de respect mutuel» sans préciser en quoi la République Démocratique du Congo aurait menacé lesdits intérêts nationaux ou la souveraineté du pays des mille collines.

Fait nouveau : en reprochant ainsi expressis verbis à la Belgique d’avoir «pris parti dans un conflit régional», le gouvernement rwandais reconnaît pour la toute première fois ce qu’il s’évertuait contre toute évidence à nier jusque-là : la guerre qui sévit à l’Est du territoire de son immense voisin congolais depuis 2021 n’a jamais rien eu d’une guerre congolo-congolaise opposant une rébellion congolaise baptisée M23 (que tout le monde sait aujourd’hui qu’elle a été inventée de toutes pièces par Kigali) au gouvernement congolais, comme toutes celles qui l’ont précédée depuis la première agression rwandaise de 1996.
Cet aveu rwandais que l’on doit manifestement à la suffisance d’un leader familier de la violence comme solution à toute contrariété corrobore ainsi, aux yeux de ceux qui en doutaient encore, l’implication d’États voisins, particulièrement du Rwanda, dans les cycles récurrents de violences armées à l’Est du territoire de la RDC depuis trois décennies. D’autant plus qu’il coïncide, 24 heures plus tard, avec la décision des rebelles de l’AFC/M23 soutenus par le Rwanda selon de nombreux rapports onusiens, de boycotter les négociations directes pourtant réclamées à cor et à cri avec le gouvernement de la RDC.
Le pied de nez rebelle
En effet, alors que la médiation angolaise dans le conflit qui oppose la RDC au Rwanda avait convoqué les rebelles de l’AFC/M23 à des négociations directes avec Kinshasa le 18 mars 2025, un communiqué publié le 17 mars dans la mi-journée par cette nébuleuse de renégats congolais au service du Rwanda a fait sensation. Pince-sans-rire, ils y affirment que les sanctions arrêtées par l’Union européenne contre leurs dirigeants et quelques officiels rwandais compromettaient le dialogue et rendaient «impossibles» les pourparlers prévus à Luanda.
Dans un communiqué sur son compte X, lundi 17 mars 2025 en fin de matinée, le ministre belge des Affaires étrangères Maxime Prévot a regretté la décision du Rwanda de rompre les relations diplomatiques avec la Belgique et de déclarer les diplomates belges persona non grata. «Cette décision est disproportionnée et illustre que lorsque nous sommes en désaccord avec le Rwanda, il préfère ne pas dialoguer. La Belgique prendra des mesures similaires», a déclaré le chef de la diplomatie belge. «On peut supposer que le gouvernement rwandais a probablement préféré se contenter d’une vision unilatérale et biaisée de notre position», a encore expliqué le plénipotentiaire belge, rappelant avoir invité en vain, son homologue rwandais, Olivier Nduhungirehe, lors de son récent passage à Bruxelles.

Maxime Prévot n’a pas mis des gants pour dénoncer en outre «une déformation totale des faits» par le régime rwandais dans les accusations portées contre la Belgique. Il a précisé à nos confrères de l’agence Belga que «la Belgique ne cherche ni à punir ni à affaiblir le Rwanda, encore moins en fonction d’un passé colonial dont elle a pris ses distances depuis longtemps. Il s’agit d’une déformation totale des faits». Et que «la seule boussole de la Belgique continuera à être le respect des droits humains, de l’État de droit et du droit international humanitaire», tout en rappelant que cette position était partagée par toute l’Union européenne ainsi que par d’autres partenaires internationaux, dont le G7. «Il est probable que la décision prise aujourd’hui par le Rwanda ne soit pas étrangère à l’adoption unanime de ces sanctions au niveau européen», avance le ministre belge. Réagissant aux griefs historiques brandis contre son pays par le président Paul Kagame, le ministre belge a indiqué que «la position de mon pays vis-à-vis du génocide contre les Tutsis au Rwanda reste inchangée. La Belgique a condamné sans la moindre ambiguïté le génocide contre les Tutsis et a assumé sa part de responsabilité, notamment en demandant pardon pour ses manquements. La Belgique reste attachée à l’application de la loi sur la négation du génocide contre les Tutsis et maintiendra la très bonne coopération judiciaire entre le Rwanda et la Belgique concernant la poursuite de ses auteurs», a-t-il soutenu en substance.
C’est en guise de réaction à la rupture des relations diplomatiques et à l’expulsion des diplomates belges que le ministre Maxime Prévot a pris des mesures de réciprocité en convoquant le chargé d’affaires par intérim du Rwanda pour déclarer à son tour les diplomates rwandais personae non gratae (PNG) avec ordre de quitter le territoire dans un délai de 48 heures. La Belgique a également dénoncé tous les accords bilatéraux de coopération gouvernementale avec le Rwanda.
J.N. avec Le Maximum