L’affaire fait grand bruit en RDC et dans la région. Entre les Etats-Unis d’Amérique et le pays de Patrice-Emery Lumumba, un accord est en discussion. Il porte sur l’accès des entreprises US aux minerais stratégiques congolais en échange de la paix, de la sécurité afin de booster la croissance économique. Et même plus, parce qu’il impacterait significativement la géopolitique régionale marquée par une montée en puissance, depuis trois décennies, du régime de Paul Kagame, le président du Rwanda. A cause de cela, des boucliers se lèvent ci et là.
Révélées début mars alors que la République Démocratique du Congo fait face à une brutale agression des forces de défense rwandaises (RDF) qui semblent gagner du terrain en accaparant de juteux espaces de son territoire national, les discussions entre l’administration Donald Trump et le gouvernement congolais de Félix-Antoine Tshisekedi ne font plus l’ombre d’un doute. «Les Etats-Unis sont ouverts à la discussion dans ce secteur qui sont alignés sur l’agenda ‘‘America First’’ de l’administration Trump», a récemment déclaré un porte-parole du Département d’Etat américain au Financial Times. Des discussions «devenues plus sérieuses» malgré des obstacles constitués notamment par la localisation de ces minerais dans les zones de conflit, même si elles restent précoces, selon le tabloïd. Mais elles se tiennent bel et bien, le Département d’Etat ne dissimulant pas son enthousiasme sur la question. «Les partenariats avec les entreprises américaines renforceront les économies des Etats-Unis et de la République Démocratique du Congo, créeront des emplois plus qualifiés et intégreront le pays dans les chaînes de valeur régionales et mondiales», selon l’administration Trump.
A l’origine de ce que d’aucuns en RDC qualifient déjà de deal du siècle, une très discrète initiative du président Félix Tshisekedi.
André Wameso, directeur de cabinet adjoint à la présidence de la République, s’est rendu à Washington DC au début du mois de février pour des discussions sur un éventuel partenariat entre la RD Congo et les Etats-Unis, selon Reuters. Peu avant qu’un lobbyiste représentant le sénateur tshisekediste Pierre Kanda Kalambayi adresse une correspondance au secrétaire d’État américain Marco Rubio et à d’autres responsables de l’administration américaine, le 21 février 2025. Objet de ces courriers : inviter les Etats-Unis à investir dans les minerais en RDC en échange d’une aide pour renforcer la stabilité régionale.
Kinshasa, qui multiplie des initiatives dans ce sens, forme le vœu d’une rencontre au sommet entre les présidents Félix Tshisekedi et Donald Trump pour discuter de vive voix de la question. Ces missi dominici ne sont pas seuls sur le dossier. Des sources indépendantes signalent à nos rédactions que Guy Robert Lukama, président du Conseil d’administration de la Gécamines, a également effectué le déplacement de Washington dans le cadre de cette proposition rd congolaise. Compte tenu du fait que certains parmi les sites à proposer aux Américains, notamment le site de Musonoi réputé très riche, sont propriétés de l’entreprise étatique congolaise.
Vaste offensive de Tshisekedi
Ont également été aperçus dans la capitale américaine, Patrick Luabeya, président de l’Autorité de régulation et de contrôle des marchés des substances minérales stratégiques (ARECOMS), Doudou Fwamba Likunde, ministre des Finances, et même Jacques Tshisekedi, coordonnateur de la sécurité du chef de l’État congolais.
Le gouvernement congolais n’a pas encore communiqué officiellement sur le sujet mais des sources proches du dossier assurent qu’il ne s’agit pas d’une banale opération de troc de ressources minérales en échange de la sécurité. Ce qui est mis sur la table, c’est qu’en échange d’un accès privilégié à ces minéraux stratégiques, Kinshasa compte sur le pays de Donald Trump pour le développement, entre autres, du Port en eaux profondes de Banana au Kongo Central, mais aussi pour la création d’un stock stratégique commun des minéraux stratégiques, la formation et l’équipement des forces armées congolaises afin de leur permettre de sécuriser les zones minières, l’accès de l’armée américaine aux bases militaires congolaises afin d’optimiser la sécurisation des ressources stratégiques. Ce que Kinshasa propose, selon ces sources, c’est un partenariat gagnant-gagnant entre les deux Etats. Le soutien économique et sécuritaire américain permettra à la RDC d’investir dans ses infrastructures tout en sécurisant ses zones minières convoitées par des milieux interlopes en Afrique et ailleurs dans le monde et ainsi protéger ses populations des dommages causés par les hordes de pilleurs étrangers de ces fabuleuses ressources naturelles qui n’hésitent pas à constituer des groupes armés à cette fin. «Ce partenariat offrira un cadre plus stable pour l’exploitation des minerais stratégiques (cobalt, cuivre, uranium, coltan…) e veillant à ce que la RDC bénéficie davantage de ses retombées économiques», avance-t-on.
Cette approche rd congolaise semble correspondre à celle de l’administration Trump dont une porte-parole, Tammy Bruce, déclarait le 9 mars 2025 que «lorsque nous disons que nous nous engageons à instaurer une paix durable, nous le pensons. En RDC, nous appelons à une paix durable qui réponde aux préoccupations sécuritaires et jette les bases d’une économie régionale florissante. Nous collaborons avec les dirigeants pour œuvrer en faveur de cette paix ».
Obtenir mieux que les ‘‘contrats chinois’’
Le gouvernement Tshisekedi semble ainsi avoir tiré des leçons du précédent contrat minier, conclu entre Kinshasa et Pékin, portant sur l’accès aux ressources minières contre la construction d’infrastructures. Il n’a pas permis à la RDC de profiter pleinement de ses ressources, notamment, en raison de l’absence de garanties sécuritaires, fait-on observer dans les couloirs du Palais de la Nation à Kinshasa. Ou encore du fait que «bien que des infrastructures aient été promises, les bénéfices en ont été largement captés par des acteurs étrangers, et les minerais congolais ont été exploités sans un contrôle strict, laissant la RDC vulnérable à l’exploitation et à une forme à peine plus subtile de pillage, notamment par le Rwanda de Kagame. Cette situation a aggravé l’insécurité et a permis à des groupes armés de prospérer dans les régions minières, renforçant l’instabilité générale du pays», ainsi que le note un expert congolais. Le deal entre Kinshasa et Washington «devrait être un accord minerais contre sécurité et développement», renchérit pour sa part, Steve Mbikayi, un député national de la majorité au pouvoir.
La perspective d’un deal Kinshasa-Washington sur les minerais stratégiques de la RDC n’est pas pour plaire à tout le monde, en RDC même, dans la région et au-delà. Selon plusieurs observateurs, un accord dans ce secteur hautement stratégique équivaudrait à une redistribution des cartes dans la région des Grands Lacs, de l’Afrique Centrale et même à l’échelle du continent. Il est susceptible de replacer le pays de Lumumba à la place éminemment centrale et prépondérante qui fut la sienne durant des décennies. Ce n’est pas pour plaire aux puissances régionales qui ont émergé à la faveur du délitement du «Grand Congo», à commencer par les 9 voisins de ce pays, tous sans exception.
L’opposition pro-Kagame hostile
En RDC même, Quelques voix s’élèvent dans les rangs de l’opposition politique pour critiquer et vouer aux pires gémonies un éventuel accord entre le gouvernement Tshisekedi et l’administration Trump. Parmi lesquelles celles de Moïse Katumbi Chapwe, l’ancien gouverneur de la province minière du Katanga sous Joseph Kabila. Profitant d’un séjour aux Etats-Unis, ce président d’Ensemble pour la République, un parti politique proche de Kigali, a déclaré à la presse le 4 mars 2025 que «toutes les mines, aujourd’hui, ont disparu à 98%. Il n’y a plus de mines. Ce projet du président, où il dit avoir offert ou promis l’exploitation minière n’existe pas. C’est un rêve, un pur rêve. J’ai été gouverneur, je connais les chiffres et la réalité des choses. Le président n’a pas le droit de dire ce qu’il dit, car il faut consulter le peuple congolais. Les richesses appartiennent au peuple». Ce à quoi le député national lumumbiste Lambert Mende Omalanga, proche de Tshisekedi rétorque que «la disparition des mines dont parle M. Katumbi a eu lieu par des méthodes plus que questionnables et sans que le peuple auquel il fait semblant de se souvenir aujourd’hui ait été consulté en aucune manière. On a l’impression d’entendre un mafieux soucieux de protéger ses rapines».
Sur le terrain, dans la province du Katanga, un groupe d’ONGs, manifestement instrumentalisées pour défendre la cause des détracteurs d’un accord Kinshasa-Washington sur les minerais stratégiques, est monté au créneau. A l’instar d’une mystérieuse «société civile du Katanga», une nouvelle organisation revendiquant la représentation des syndicats, chefs coutumiers, associations de jeunes et confessions religieuses, qui a adressé un «mémorandum au gouvernement américain», rendu publique le 11 mars 2025. Elle dénonce carrément « le détournement des richesses du pays et leur exploitation par la famille Tshisekedi », en écho à un article au vitriol indexant des proches du chef de l’État rd congolais publiés dans les colonnes de La Libre Belgique de Bruxelles quelques jours plus tôt. D’aucuns en concluent que c’est le désamour entre certains milieux européens et l’Amérique de Trump qui s’invite sous les tropiques africaines.
Katumbi-le-pillard se rappelle aux Congolais
L’argumentaire ne convainc pas grand-monde en RDC où beaucoup dans l’opinion se souviennent des ‘‘exploits’’ de Moïse Katumbi en matière de prévarication des ressources minières du Katanga. La collusion avec des intérêts d’un pays étranger, le Rwanda, de ce principal adversaire du projet minier annoncé est plus qu’apparente. A la tête de la riche province du Katanga pendant huit ans (de février 2007 à septembre 2015), Katumbi a été accusé par un autre leader de cette riche province congolaise, le pasteur Daniel Ngoy Mulunda Nyanga, d’avoir littéralement rasé quatre montagnes katangaises emplies de cobalt et de cuivre exportés par ses camions Trucks Hakuna Matata en l’espace de trois ans. « Ces montagnes n’existent plus. Il n’y a plus que des trous », se plaignait le clergyman. Nul n’a le souvenir de la consultation de ‘‘populations propriétaires des richesses’’ par le désormais richissime homme d’affaires katangais d’origine grecque. Pas plus que lorsqu’il acquérait pour une bouchée de pain des mines de la Gécamines avant de les revendre deux semaines plus tard sur les places boursières à prix d’or pour devenir milliardaire. « On permet à Moïse Katumbi d’acheter une mine de la Gécamines à 6 millions USD. Deux semaines plus tard, la bourse monte, le gouverneur revend la mine à 95 millions USD. Le pays a perdu», a révélé l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) sous Joseph Kabila dans une vidéo exhumée par des détracteurs du détracteur Katumbi.
En RDC, si une grande partie de l’opinion publique, lassée par l’insécurité récurrente et les guerres à répétition qui endeuillent l’Est du territoire national est favorable à la conclusion d’un accord minier avec les Etats-Unis, la classe politique se montre divisée. Entre ceux qui rêvent d’un nouvel ordre politico-économique fondée sur la pacification de la région et du pays, et ceux qui, s’étant fait une place au soleil dans le climat délétère créé par l’insécurité de tout ou partie du territoire et des profits qu’il génère.
J.N. AVEC LE MAXIMUM