A Dar-es-salam, le 8 février 2025, des chefs d’Etat et de gouvernement de l’EAC et de la SADC, tout au moins ceux d’entre eux qui ont effectué le déplacement de la Tanzanie, ont délibéré sur «les mesures à prendre face à la dégradation de la situation sécuritaire» à l’Est de la RDC. De percutantes décisions ont été annoncées à l’issue de cette rencontre au sommet, marquée par la présence du Rwandais Paul Kagame, dont l’armée est plus présente que jamais chez son voisin congolais ; et par l’absence du Congolais Félix Tshisekedi dont le pays est agressé et assiégé depuis trois décennies. Mais elles pèchent par une carence flagrante d’équité entre les parties en conflit.
Nombre d’observateurs de la situation sécuritaire et géopolitique dans les Grands Lacs le subodoraient à l’avance. Un sommet conjoint EAC/SADC après le pied de nez de Paul Kagame au processus de Luanda en janvier dernier n’était pas pour rassurer tout le monde. Samedi 8 février dans la capitale tanzanienne, si les chefs d’Etat de l’EAC ont presque tous honoré de leur présence les assises de Dar-es-salam, beaucoup parmi ceux de la SADC ont séché la rencontre co-présidée par le Kenyan William Ruto et le Zimbabwéen Emerson Mnangagwa. Outre Félix Tshisekedi, qui a fini par participer à la réunion par visio-conférence (après avoir décidé de s’y faire représenter par son ambassadeur au Botswana et auprès la SADC, puis par la première ministre, Judith Suminwa); l’Angolais Joao Lourenço, pourtant facilitateur du processus de Luanda, a choisi de demeurer chez lui ; tout autant que le Burundais, Evariste Ndayishimiye, partie prenante aux côtés de la RDC au conflit de l’Est, qui a préféré déléguer son 1er ministre.
Pro et anti-agresseurs
Les choses ne pouvaient plus mal se présenter à cette rencontre des chefs d’Etat des deux organisations sous-régionales quasiment muée en réunion conjointe entre pro Kagame et pro Tshisekedi. Avec un avantage manifeste pour les premiers, à en juger par les résolutions contenues dans le communiqué final des conciliabules de Dar-es-salam. Car, quoique prétende ce communiqué qui assure que le sommet «s’est déroulé dans une ambiance cordiale afin de se pencher sur la situation sécuritaire qui prévaut en République Démocratique du Congo», des sources indépendantes rapportent qu’une tension perceptible avait caractérisé la rencontre marquée, notamment, par l’invitation faite à Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’UA, de quitter le sommet à huis clos des chefs d’Etat et de gouvernement.
Dar-es-salam, contrairement aux capitales occidentales et à de nombreux organismes internationaux dont l’ONU, ces dernières semaines, n’aura pas échappé à l’emprise de Paul Kagame. Puisque le communiqué final de la réunion conjointe EAC/SADC s’est gardé de citer et de condamner l’agression rwandaise en RDC. Ce fut symptomatique du parti-pris flagrant des participants à ce sommet qui, tout en exprimant laconiquement leur «préoccupation face à la détérioration de la situation sécuritaire à l’Est de la République Démocratique du Congo», n’en ont pas moins sermonné Kinshasa, jugé responsable de «facteurs aggravants de la crise» : les attaques des ambassades et représentations diplomatiques par les populations congolaises. Le Sommet conjoint de Dar-es-salam n’a donc pas hésité à «exhorter le gouvernement de la République Démocratique du Congo à protéger les vies et les biens et à respecter et maintenir les principes juridiques et moraux durables des missions de paix déployées (…), tels que la MONUSCO et les autres». Sur les milliers de morts, encore en cours d’ensevelissements au moment où Le Maximum mettait sous presse, 5 jours après Dar-es-salam, silence de tombe. Aucun reproche, aucune admonestation contre les forces spéciales de l’armée rwandaise qui ont massacré des populations civiles, pillé et violé à Goma quelques jours auparavant, selon des observateurs onusiens, notamment. Le reste a coulé comme de source dans la capitale tanzanienne.
Cessation des hostilités sans retrait rwandais
Certes, se référant aux décisions antérieures de l’EAC et de la SADC relative à la situation sécuritaire à l’Est de la RDC, le sommet conjoint des deux organisations a lancé un appel à la cessation des hostilités et au cessez-le-feu ; au rétablissement des services publics essentiels et des voies d’approvisionnement en denrées alimentaires et autres produits de base afin que soit assurée l’aide humanitaire ; et, à la résolution du conflit par le biais des processus de Luanda et de Nairobi. Mais en l’absence d’une dénonciation formelle de l’agression rwandaise, contraire au principe de respect de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, et d’un appel au retrait des troupes d’agression du territoire de la RDC, l’appel à la normalisation de la situation au Nord-Kivu fait le lit de l’occupant rwandais. Kigali est ainsi assuré de bénéficier d’un statu quo qui, en plus, lui permet de consolider l’occupation et l’exploitation de pans entiers du territoire d’un pays tiers.
Dar-es-salam semble également avoir tenté de récupérer les fameuses résolutions antérieures de l’EAC et de la SADC en faveur de Kigali en courcircuitant le processus de Luanda. Le communiqué final indique, en effet, que le sommet conjoint a «exigé la fusion en un seul processus Luanda/Nairobi» des processus de Luanda, pourtant plus avancé, et celui de Nairobi. Et, comme pour achever ce qui apparaît comme une véritable opération de dilution du processus piloté par l’Angolais Joao Lourenço et boycotté en dernière minute en janvier dernier par Paul Kagame, «le sommet conjoint a convenu en conséquence de renforcer les deux processus afin d’en accentuer la complémentarité et a chargé les co-présidents, en consultation avec l’Union africaine, d’examiner l’apport de facilitateurs supplémentaires et d’effectuer leurs nominations, en élargissant les candidatures à d’autres régions de l’Afrique, afin de soutenir le processus de fusion». Dans les faits, le facilitateur angolais mandaté par l’UA se retrouvera quasi noyé parmi une ribambelle de «facilitateurs complémentaires». Comme pour assurer une meilleure marge de manœuvre à l’agresseur rwandais de la RDC.
Luanda dilué, Lourenço noyé
Dar-es-salam peut ainsi exiger «la reprise des négociations et du dialogue directement avec l’ensemble des parties étatiques et non étatiques (militaires et non militaires), y compris le M23, et ce, dans le respect du processus de Luanda/Nairobi» ! Le tour est joué à travers un subtil glissement sémantique : dans le nouveau processus fusionné, le statut des conciliabules avec le M23 évolue de la simple «consultation des groupes armés» en vue de leur réinsertion sociale, comme défini par le passé, à des «négociations» (inspirées du processus de Luanda entre deux Etats) qui impliquent des concessions de part et d’autre.
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Le 9 février 2025, Kinshasa a réagi au communiqué final du Sommet conjoint des chefs d’Etat et de gouvernement de l’EAC et de la SADC en prenant acte des décisions adoptées à l’unanimité par les participants. Pour la forme, apparemment. Dans le fond, le gouvernement Tshisekedi apporte de sérieuses nuances qui contredisent Dar-es-salam en relavant que les chefs d’Etat et de gouvernement «ont réaffirmé leur attachement au respect de la souveraineté, de l’indépendance et de l’intégrité territoriale de la RDC et ont convenu de l’élaboration et de la mise en œuvre des modalités de retrait des forces étrangères non invitées du territoire congolais».
Kinshasa nuance et conteste
Mais aussi, s’agissant du contenu du processus de Dar-es-salam, que sa reprise «permettra la reprise des consultations prévues …». Et non pas de négociations, ainsi que l’affirme le communiqué de Dar-es-salam. De même que s’agissant du renforcement de la coordination des processus de Nairobi et de Luanda, il s’agit de « possibilités » envisageables «après consultations avec les facilitateurs actuels». En fait, Kinshasa exprime subtilement ses désaccords, qui sonnent comme un rappel à l’ordre établi dans les relations entre Etats, même sur le continent africain : «La République Démocratique du Congo salue la clarté des décisions adoptées, qui s’inscrivent dans le strict respect du principe de souveraineté et de non-ingérence, piliers de l’Acte constitutif de l’Union Africaine et de la Charte des Nations-Unies. Le sommet a ainsi posé les bases d’une approche collective conforme au droit international, fondement de la coexistence pacifique entre les Etats», dit le communiqué publié par le ministère de la Communication et Médias, le 9 février 2025 à Kinshasa.
J.N. AVEC LE MAXIMUM