Les confessions religieuses catholique et protestante de la RDC ont lancé, à travers leurs hiérarchies respectives, le 15 janvier 2025 à Kinshasa, un appel à considérer l’année 2025 comme «année de la paix et du bien vivre ensemble en RD Congo et dans les Grands Lacs». Cette initiative, qui vise l’instauration d’un véritable pacte social «permettra à l’Afrique de s’affranchir des conflits politiques et armés pour s’inscrire dans la logique de la fraternité mondiale des peuples, des communautés et des Nations, promouvant ainsi le modèle de l’Etat de droit démocratique stable et solide dans nos différents pays», selon ses concepteurs. Elle est assortie d’une «feuille de route du ‘pacte social pour la paix et le bien-vivre ensemble en RD Congo et dans les Grands Lacs», qui invite à manifester une adhésion massive et enthousiaste à l’appel «prophétique et pastoral» des deux confessions religieuses.
Les adhérents sont conviés à «interagir et à échanger» sur base de 5 postulats : revenir à nos valeurs sociologiques et spirituelles de Bumuntu pour construire la paix durable et le bien-vivre-ensemble en RDC et dans la région des Grands Lacs ; privilégier les consensus par la palabre pour trouver des solutions idoines aux causes profondes à la base des conflits politiques et armés qui endeuillent interminablement la RD Congo et ensanglante cycliquement la sous-région des Grands Lacs ; nous unir dans le respect de nos diversités pour bâtir une Afrique forte, unie et prospère face aux défis de la mondialisation ; influencer les dirigeants politiques de l’Afrique en général et de la région des Grands Lacs en particulier à adhérer à cette initiative socio-spirituelle pour faire cesser les bruits des armes dans notre continent et à construire des partenariats bilatéraux et multilatéraux pour notre développement intégral et durable (business for peace), mettant fin à l’exploitation illicite des ressources naturelles en RDC et aux conflits armés dans la région des Grands Lacs ; interpeller la Communauté internationale à accompagner en toute responsabilité et sincérité les peuples africains à construire et léguer un continent où règnent la justice, la paix et les meilleurs conditions de vie et environnementales aux générations futures.
Une charte nationale
«Vers la fin de ce mois, nous présenterons les différentes commissions thématiques relatives à la paix et au Bien-vivre-ensemble, dont les sujets seront approfondis dans plusieurs ateliers et pourront être transformés en résolutions et recommandations à consigner dans une charte nationale pour la paix et le Bien-vivre-ensemble, au cours d’un forum national à organiser dans quelques mois», annoncent Mgr Donatien Nshole et le Révérend Eric Senga, signataires du document pour le compte de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et de l’Eglise du Christ au Congo (ECC).
Les initiateurs de l’appel à considérer l’année 2025 comme une année de la paix et du bien-vivre-ensemble en RDC et dans les Grands Lacs envisagent la tenue d’une «Conférence Internationale pour la Paix, le Co-Développement et le Bien-Vivre-ensemble dans les Grands Lacs», qu’ils estiment «nécessaire pour mettre fin aux conflits transfrontaliers». «Combien de souffrances, de morts, de viols, de déplacements, de destruction faut-il encore avant que la Paix et Bien-Vivre-ensemble s’installent en RDC et dans la Région des Grands Lacs ? Où sont passées nos valeurs sociologiques et spirituelles de «Bumuntu» qui furent le fondement ontologique de notre identité africaine ? Pourquoi ne sommes-nous plus en mesure de résoudre nos problèmes sous l’arbre à palabre comme nos ancêtres savaient le faire si sagement ? N’est-il pas possible de développer nos pays respectifs à partir d’une «culture de bon voisinage transfrontalier», sans forcément verser le sang de milliers d’innocents ? D’où vient l’idée de vouloir supprimer l’autre pour s’assurer de son bonheur et de sa paix ? Faut-il nécessairement recourir aux armes pour revendiquer ses droits ? Quel monde pensons-nous léguer aux générations futures ?», s’interrogent ces catholiques et protestants rd congolais.
Le séjour rwandais du cardinal Ambongo
Pour garder les pieds sur terre, il reste que l’initiative commune aux confessions religieuses catholique et protestante de la RDC est survenue 20 jours après un séjour plutôt chachuté par la classe politique et l’opinion publique, du cardinal Fridolin Ambongo en sa qualité de président du Symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM), à Kigali. Dans la capitale rwandaise, le primat rd congolais a participé à la réunion du comité permanent du SCEAM qui s’est tenue du 25 au 28 novembre 2024. La rencontre des prélats catholiques de la région à Kigali a été présentée comme une étape préparatoire de l’Assemblée plénière prévue cette année, et qui abordera des enjeux cruciaux de l’heure, notamment, la situation sécuritaire dans la région des Grands Lacs. «Si nous, au niveau de l’église, nous pouvons nous fréquenter et fraterniser, pourquoi cela semble-t-il impossible au niveau politique ?», s’était interrogé à haute voix, à cette occasion, le cardinal Ambongo face à la presse.
«Les citoyens de ces pays ont besoin de vivre en sécurité et de vaquer librement à leurs activités», avait encore déclaré le prélat rd congolais, faisant allusion aux pays des Grands Lacs actuellement en conflit. «L’église n’a pas le pouvoir de résoudre les différends politiques entre ces nations. Mais elle a la mission de prophétiser, d’interpeller les dirigeants», avat-il encore soutenu.
Réactions mitigées
A Kinshasa en particulier, et en RDC en général, le «pacte social» initié par les catholiques et les protestants a donc été largement perçu comme une conntinuité des assises de Kigali. Son lancement a suscité des réactions plutôt mitigées, compte tenu du conflit armé qui oppose le Rwanda à la RDC. «La hiérarchie de l’église catholique rwandaise est demeurée aphone devant les atrocités commises par Paul Kagame et son armée en RDC depuis des décennies», fait observer cet étudiant de l’Université de Kinshasa qui s’est confié au Maximum, exprimant ainsi un point de vue largement partagé dans l’opinion. Là où certains autres, manifestement plus au fait des relations entre l’église catholique et le pouvoir monoethnique qui tient les rennes à Kigali, assurent que l’archevêque de la capitale rwandaise est un proche et un confident du présisent Paul Kagame, qui écume sans scrupules le territoire de la RDC depuis la fin du génocide de 1994. De là à suspecter l’initiative pacificatrice mise en œuvre par les églises catholique et protestante de la RDC de faire le lit de l’agresseur rwandais, il n’y a qu’un pas. Dans l’opinion, particulièrement à Kinshasa, beaucoup le franchissent sans hésiter.
Le pacte social pour la paix et le bien-vivre ensemble en RD Congo et dans les Grands Lacs est ainsi perçu par certains comme une nouvelle théologie de l’acceptation (de l’inacceptable). Il s’agit de cette théologie qui s’appuie sur les Evangiles et la façon dont le Christ approchait les personnes qu’il rencontrait, leur suggérant l’acceptation de leurs limites comme voie de conversion. « L’Etre vivant est tel qu’il est et il doit s’accepter comme tel », édicte-t-elle.
Théologie de l’acceptation
Invitée avec les autres confessions religieuses par le ministre d’Etat à la Justice à organiser des séances de prières en faveur des forces armées congolaises en guerre contre l’armée rwandaise le 9 février 2025, l’église catholique s’est illustrée par une réaction jugée proche de cette théologie de l’acceptation. «Nous prierons pour tout le monde, même pour les ennemis», a réagi la CENCO par la bouche de son porte-parole, Mgr Donatien Nshole, le 21 janvier courant à Kinshasa. Tout en reconnaissant les conditions de travail difficiles des militaires dans ces régions, il a soutenu qu’«ils nous demandent de prier pour nos militaires. Nous n’avons aucun problème à prier pour la paix parce que les militaires sont victimes du manque de paix dans l’est du pays. Mais il n’y a pas que les militaires : nous pensons aux nombreuses personnes déplacées, aux familles vivant dans la forêt, aux victimes, aux enfants orphelins. Ils ont tous besoin de la prière pour la paix. Ce sera donc l’occasion d’intensifier la prière que nous faisons déjà pour la paix. Nous ne prions pas pour gagner la guerre mais pour obtenir la paix», a encore ajouté le secrétaire général de la CENCO.
Transposée à la situation de la RDC et des Congolais victimes de l’expansionnisme rwandais ainsi que des violences et atrocités qu’il charrie, cette théologie de l’acceptation peut être traduite par un appel à la soumission et l’acceptation de la domination et des injustices de tous genres. Et, en pleine guerre à l’Est du territoire national, l’idée tombe d’autant plus mal que les souffrances des populations des villes, agglomérations et localités sous occupation étrangère sont quasiment retransmis en direct à travers tout le pays grâce à la magie des nouvelles technologies de l’information. «L’initiative aurait été plus heureuse si elle avait été lancée à partir du Rwanda, pays agresseur de la RDC», commente encore, amer, cet étudiant. Insinuant subtilement que sous le régime dictatorial en place au Rwanda, pareille initiative n’a nulle chance de voir le jour.
Appel à la soumission ?
A la place de cette théologie dite de l’acceptation, certains en RDC préfèreraient la théologie de la libération, vaste mouvement de pensée théologique qui avait embrasé l’Amérique Latine dès les années ’68. A la différence de la théologie de l’acceptation, elle offre une réponse spécifique à toutes les communautés opprimées. «La théologie de la libération dit aux pauvres que la situation qu’ils vivent actuellement n’est pas voulue par Dieu», selon Gustavo Gutiérrez, aumônier des étudiants péruviens et un des pères fondateurs de ce mouvement de pensée.
En RDC, la majorité estime, à n’en point douter, que la guerre à l’Est du territoire, qui dure depuis plus de trois décennies, n’est nullement voulue par Dieu. Leur faire admettre le contraire, même par le biais d’un pacte social sur la paix et le bien-vivre-ensemble, paraît laborieux.
J.N. AVEC LE MAXIMUM