Le processus de paix de Luanda, relancé début 2024 et confié par l’Union africaine à la médiation du président angolais, Joao Lourenço a enregistré un revers. Dimanche 15 décembre, alors qu’il était attendu à une tripartite décisive consacrée à l’examen du rapport d’étapes mettant en lumière les principaux résultats obtenus par les ministres des Affaires étrangères de la RDC, du Rwanda et de l’Angola, ainsi que la discussion du projet d’accord de paix soumis aux parties par la médiation angolaise en août 2024, le président rwandais a fait faux bond à ses pairs. Raison avancée par Kigali pour justifier cette pirouette : «le Rwanda et la RDC ne sont pas parvenus à un consensus sur un engagement en faveur de pourparlers directs avec le groupe rebelle congolais M23, en vue d’une solution politique du conflit qui sévit dans l’Est de la RDC».
Le même jour, la médiation angolaise s’est dite préoccupée par le manque de consensus sur la question du M23. Pour Luanda, des divergences étaient apparues autour de la question du M23, «la seule demeurée en suspens pour l’achèvement de la consolidation dudit projet d’accord de paix» à la réunion ministérielle du 14 décembre 2024. Le médiateur angolais rapporte qu’à défaut de la présence de Paul Kagame, Joao Lourenço a tenu une réunion avec Félix Tshisekedi et l’ancien président kényan, Uhuru Kenyatta, facilitateur du processus de Nairobi avec lesquels il a discuté des perspectives de la résolution de la question du M23.
Joao Lourenço a ainsi réitéré son engagement en faveur de la recherche de la paix et de la sécurité à l’Est de la RDC et exhorté les parties à donner priorité à l’intérêt de leurs peuples. «Nous avons bon espoir que cette réunion aboutisse à la signature ou à la décision de signer prochainement un accord de paix durable entre les deux pays voisins», avait déjà déclaré Joao Lourenço, en visite en Afrique du Sud, le 13 décembre 2024.
Timide réaction de l’UE
Le silence de la bienpensante communauté internationale autour du flop de Luanda n’a été rompu que par l’Union européenne, dont un représentant pour la région des Grands Lacs séjournant en RDC a, au terme d’une entrevue avec le président du Sénat, mardi 17 décembre 2024, déclaré qu’«il faut que le Rwanda retire ses troupes de l’Est de la RDC, et aussi que le Rwanda coupe le soutien au M23, et aussi que la RDC cesse la coopération avec les FDLR», tout en assurant de «la ferme volonté (de l’UE, ndlr) de contribuer à ce que le processus de Luanda soit remis sur les rails».
En attendant, Kinshasa et Kigali, qui s’affrontent militairement au Nord et au Sud Kivu, s’occupent chacun à rejeter la responsabilité du flop du 15 décembre 2024 sur l’autre.
Pour Kinshasa, c’est la nouvelle condition du Rwanda qui a torpillé la tripartite du 15 décembre en présentant un énième préalable à la signature de l’accord prévu. «En introduisant cette condition de dernière minute (les négociations directes entre la RDC et le M23, ndlr), contraires aux discussions précédentes, le Rwanda démontre une fois de plus son soutien inconditionnel au M23, un groupe terroriste impliqué dans des violations graves des droits humains et dans des activités déstabilisatrices en RDC», dénonce le communiqué de la présidence de la République Démocratique du Congo.
Position du Rwanda sur le M23
Selon Kigali, la question du dialogue entre le gouvernement de la RDC et le M23 avait été introduite par le facilitateur angolais à travers un «projet d’accord-cadre» proposé aux deux bélligérants au mois d’août 2024. Olivier Nduhungirehe, ministre rwandais des Affaires étrangères, rappelle également que la facilitation angolaise avait invité une délégation du M23 à Luanda pour lui faire part de ses préoccupations les 11 et 12 août de la même année. Mais aussi, qu’à la 4ème réunion ministérielle dans le cadre du processus de Luanda, le 14 septembre, «le Rwanda a exprimé sa position sur le besoin d’un dialogue politique entre le gouvernement de la RDC et le M23 en vue de trouver une solution définitive à ce conflit». Selon lui, le 26 novembre, la question du dialogue avec le M23 avait été discutée par les trois ministres des Affaires étrangères, et le 27 du même mois, Kigali avait envoyé une note verbale à la facilitation angolaise proposant un texte devant figurer dans l’accord entre la RDC et le Rwanda.
Le ministre rwandais ne fait aucune allusion aux réactions de la RDC à ces différentes propositions, «Kigali considérant manifestement que ses désirs sont des ordres», selon le commentaire d’un diplomate africain joint par Le Maximum. Le très agité ministre rwandais des Affaires étrangères, relayé par des médias en RDC, rapporte que «la partie congolaise a donné son accord sur le dialogue avec le M23 dans le cadre du processus de Nairobi».
Kinshasa a pour sa part dénoncé une «présentation déformée concernant le déroulement de la dernière réunion ministérielle du processus de Luanda». On indique ici que le facilitateur angolais n’a pas introduit la question du M23 en vue des négociations avec le gouvernement congolais, mais plutôt pour «examiner les engagements politiques globaux», écrit Thérèse Kayikwamba Wagner. «Le Rwanda déforme cette inclusion pour justifier une condition qu’il tente d’imposer unilatéralement, montrant une incompréhension fondamentale des objectifs du processus de Luanda», explique la ministre d’Etat en charge des Affaires étrangères de la RDC. Au cours d’un briefing de presse animé avec son collègue de la communication, Patrick Muyaya, Thérèse Kayikwamba avait expliqué que le processus de Luanda constituait une démarche entre Etats, la question des groupes armés étant plutôt réservée au processus de Nairobi. «Le processus de Luanda engage la République Démocratique du Congo et le Rwanda sous la médiation angolaise».
Luanda, une démarche entre Etats
Selon la partie congolaise, loin d’être une reconnaissance politique d’un mouvement rebelle, l’invitation du M23 à Luanda s’inscrivait dans le cadre d’une démarche de récolte d’informations. Et s’agissant de la consignation de la question du M23 dans un rapport, elle ne peut être considérée comme une acceptation ou un accord. «La RDC a toujours rejeté cette proposition, insistant sur le fait que le M23 relève exclusivement du processus de Nairobi, qui inclut tous les groupes armés congolais sans exception, sous la Facilitation de Son Excellence Uhuru Kenyatta», explique-t-elle.
Il apparaît ainsi que c’est la proposition rwandaise d’un dialogue direct entre la RDC et le M23, envoyée à la facilitation angolaise, qui a mis le feu aux poudres. Le 14 décembre 2024, la médiation angolaise avait proposé que la question du M23 soit réservée à la rencontre des chefs d’Etat, le lendemain matin. Mais la délégation de Kigali s’est cabrée. «Toutefois, à 1 heure du matin, voyant que sa démarche initiale n’aboutissait à rien, le Rwanda a modifié sa posture, exigeant que ce dialogue direct soit accepté et qu’il précède la tenue de tout sommet et de signature d’accord. Cette exigence absurde visait à faire du M23 une condition sine qua non à toute avancée. Ni la facilitation, ni la RDC, n’ont cédé à cette absurdité», révèle la partie congolaise, qui souligne que la nécessité de résoudre la question du M23, certes, soulevée par la facilitation, «n’a jamais été présentée comme une condition préalable à la tenue du sommet ni à la signature de l’accord».
Thérèse Kayikwamba assure ainsi que la RDC a référé la question du M23 dans le cadre du processus de Nairobi. Pour la partie congolaise, ce processus est un «cadre conçu pour inclure tous les groupes armés congolais» et cela n’implique pas un dialogue direct ou une reconnaissance politique du M23.
Le processus de Nairobi
Mercredi 18 décembre, ce qui ressemble bien à une fuite documentaire orchestrée par Kigali a envahi les réseaux sociaux. Présentée comme confidentielle, la lettre de la facilitation annonçant à la partie rwandaise la confirmation de la date de la tripartite et la position de la partie congolaise sur le M23 est interprétée comme une ‘‘preuve’’ de l’acceptation d’un dialogue direct avec la rébellion pro rwandaise par Kinshasa. Mais le contenu de la correspondance de Téte Antonio à Olivier Nduhungirehe est sans équivoque sur le sujet. «Le président Joao Manuel Gonçalvez Lourenço vous informe que la partie congolaise RD a été mise au courant de la position du Rwanda sur le dialogue avec le M23 et de la proposition de la date du 15 décembre 2024 pour la tenue du sommet tripartite à Luanda. A ce sujet, il a instruit que vous transmettiez à Son Frère que la Partie Congolaise RD a donné son accord sur le dialogue avec le M23 dans le cadre du Processus de Nairobi, aussi bien sur la proposition de la tenue d’un Sommet Tripartite le 15 décembre 2024». Aucune allusion à une intégration de la question des rebelles congolais dans les discussions de Luanda. Kigali ment manifestement et affiche son peu d’empressement à voir se normaliser la situation sécuritaire à l’Est de la RDC.
J.N. AVEC LE MAXIMUM