«Je ne changerai pas ce que j’ai dit à Kisangani. Il y aura des Congolais qui vont s’y pencher et voir ce qu’il y a à améliorer. Après, ils vont vous la soumettre, vous peuple, souverain primaire. Que personne n’interdise aux Congolais de réfléchir sur leur constitution. Cette constitution là est le fruit d’une intelligence étrangère avec l’idée de maintenir la RDC dans la fragilité. Que personne ne vous trompe. Que ce soient les prélats catholiques, les pasteurs ou les politiciens. Vous avez le droit de voir ce qu’il y a de bon ou de mauvais dans cette constitution. Je suis vigilant pour empêcher que quiconque vienne vous dire qu’il y aura balkanisation, guerres, et autres : c’est faux. Qu’on ne vous trompe pas en disant que le président est à la recherche de son 3ème mandat. Il n’est pas question d’un 3ème mandat. Il est question de réfléchir à comment remettre le pays sur les rails». Ainsi s’exprimait au sujet du changement constitutionnel, dimanche 1er décembre 2024 à Isiro dans le Haut-Uélé, le président Félix Tshisekedi. Le train qui mènera la RDC vers sa 4ème République semble donc résolument lancé. A Kisangani dans la Tshopo, à Lubumbashi dans le Haut-Katanga, à Kalemie dans le Tanganyika, à Buta dans le Bas-Uélé et à Isiro dans le Haut-Uélé, partout où il est passé en l’espace d’une quarantaine de jours, le président de la République s’est attelé à sensibiliser les populations sur le projet de changement constitutionnel. Le 5ème président de la RDC prend ainsi une sérieuse avance dans l’opinion face à l’opposition, hostile à son projet, en s’investissant à la manière d’une campagne électorale.
Kigali opposé au changement constitutionnel
Ces dernières 72 heures, les débats sur l’opportunité ou non du changement constitutionnel en RDC s’est enrichi d’une intervention pour le moins cocasse. Dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, très suivis en RDC, le ministre rwandais des Affaires étrangères s’est invité aux débats en cours dans le pays voisin mais néanmoins sous agressions récurrentes depuis 1996.«Le président Tshisekedi s’est rendu dans la province du Haut Katanga le 17 novembre, il s’est adressé aux gradés militaires et aussi aux autorités civiles, il a déclaré que si on lui donnait l’opportunité de changer la constitution, il pourra changer de régime au Rwanda, donc il pourra renverser le pouvoir rwandais», voit-on déclarer Olivier Nduhungirehe. Cette immixtion manifeste dans les affaires internes d’un pays voisin fait couler beaucoup d’encre en RDC où l’opinion découvre et se rend compte de l’opposition du pouvoir rwandais au projet de changement de la constitution d’un pays tiers. Et fait les choux gras des partisans de l’initiative présidentielle.
Dans une vidéo qui a tôt fait le tour des réseaux sociaux elle aussi, Zacharie Bababaswe Wishiya, célèbre chroniqueur de musique élu député national en 2006 et devenu acteur politique, s’en délecte à cœur joie. «D’abord on sent que ça doit être parmi les gens qui ont bénéficié de notre système éducatif, donc il doit avoir étudié chez nous. Il parle de notre président comme s’il parlait de son ami. Ce qu’il raconte, d’abord, c’est des mensonges. Parce qu’un pays ne peut changer de constitution pour aller faire un coup d’Etat dans un autre pays. Mais tant mieux : quel Congolais ne voudrait pas que Kagame soit aujourd’hui mis hors d’état de nuire. Donc, merci de nous aider nous autres qui ne comprenions pas pourquoi on voulait modifier ou changer la constitution. Si c’est pour vraiment faire partir Kagame, moi je suis preneur. Je sais que tous les Congolais, opposant comme majorité, les 110 millions, pour la paix, nous pensons que Kagame est un danger. Parce que c’est lui qui induit certains d’entre nous en erreur. Certains d’entre nous sont corrompus, on n’a pas le même esprit, on n’a pas la même résistance», déclare-t-il à partir de Metz en France où il séjourne. Dans l’opinion, ce coup de pouce en faveur du changement constitutionnel réchauffe les débats dans l’opinion. Mais pas seulement.
Propositions de modification alléchantes
Des propositions de modifications concrètes du texte constitutionnel en vigueur fusent ci et là, qui mettent à mal l’argumentaire un peu trop globalisant avancé pour contester l’initiative tshisekediste. Parmi elles, celle égrenée avec une insistance lancinante dans une vidéo, elle aussi virale. Elle propose :
Une RDC dont la forme de l’Etat sera ; unitaire, fortement décentralisé ;
Un régime présidentiel, avec un président et un vice-président ; un parlement monocaméral ; un exécutif monocéphal ; un mandat présidentiel d’une durée de 5 ans ;
Langues : deux langues officielles, le français et l’anglais ; 4 langues nationales ; le Kikongo, le Lingala, le Ciluba, et le Swahili. «Les défis de la mondialisation nous obligent à intégrer l’anglais comme seconde langue officielle car c’est un grand instrument pour le développement d’un Etat à vocation continentale comme la RDC», explique le speaker sur cette vidéo manifestement anonyme.
La capitale politique et administrative sera toujours Kinshasa ; Kisangani capitale militaire ; Goma, capitale touristique avec des brigades sécuritaires ; Kolwezi, capitale économique avec la construction de plusieurs zones économiques ;
Séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, avec exécutif monocéphal dirigé par le président de la République ; suppression de la fonction de 1er ministre ;
Reconnaissance de la double nationalité uniquement pour les Congolais d’origine. Les non-originaires devront renoncer à leur nationalité d’origine pour acquérir la nationalité congolaise ;
Scrutins électoraux : retour aux 2 tours de la présidentielle afin de renforcer la légitimité du pouvoir ;
Pouvoir législatif : un parlement monocaméral réduit à 350 députés nationaux siégeant en chambre unique, chambre des représentants ; suppression du sénat, qui est budgétivore ;
Plus d’élections des gouverneurs et vice-gouverneurs de province. Ces derniers seront nommés par le président de la République et seront des non-originaires.
Ces propositions, populistes à souhait, n’en rencontrent pas moins les préoccupations de l’opinion et du Congolais lambda. Elles ont surtout la vertu de contourner les débats sur l’opportunité ou non de la révision ou changement constitutionnel. Parce qu’elles fixent les débats qui se déroulent sur le mode des pronostics sportifs, sur les contenus à modifier et les améliorations à apporter au texte constitutionnel. Une manière ou une autre de faire participer les populations à la réflexion sur le sujet. Ce n’était pas toujours arrivé en RDC.
J.N. AVEC LE MAXIMUM