Pour la première fois depuis la campagne électorale suivie des élections de décembre 2023, la majorité au pouvoir et l’opposition se font face dans une lutte politique dont l’issue sera décisive pour les deux parties. En ligne de mire, le changement ou la modification constitutionnelle, proposé par la majorité. L’opposition s’y oppose, naturellement, et se met en ordre de bataille … de rue.
Le 11 novembre 2024, Rodrigue Ramazani, secrétaire général d’Envol RDC, le parti politique du candidat malheureux aux dernières élections rd congolaises, Delly Sessanga, a formellement informé le gouverneur de la ville de Kinshasa de l’organisation d’une manifestation de sensibilisation contre le changement de la constitution. L’événement, organisé par le Sursaut National, une nouvelle organisation regroupant des partis politiques de l’opposition et de la société civile, se tiendra de «9 h à 17 h partant du croisement des avenues Kasavubu et Bongolo jusqu’à la place de la Victoire dans la commune de Kalamu».
Sursaut national
Sursaut National, la coalition emmenée par Delly Sessanga depuis samedi 9 novembre 2024 pour s’opposer à la révision de la constitution est signée par une quinzaine de figures de l’opposition de faible envergure. Des organisations dites de la société civile, comme la Lutte pour le changement (Lucha) et l’Association africaine de défense des droits de l’homme (Asadho), sont également signataires de l’«appel au sursaut national contre le changement de la constitution et un troisième mandat de Tshisekedi. Que ce soit demain ou n’importe quand, si quiconque se présente avec un tel projet, nous nous y opposerons sans hésitation de la même façon. Plus jamais dans ce pays un président ne doit rester en fonction au-delà de deux mandats : nous, Congolais, disons non. Trop, c’est trop !», fulminait Delly Sessanga devant un parterre de partisans au lancement du mouvement.
Manifestement, tous les coups sont permis dans cette sollicitation de l’adhésion populaire. Y compris quelques entorses à la vérité. Puisque jusqu’à preuve du contraire, la majorité au pouvoir et son président de la République se défendent de tout projet de prolongation de mandat. Mais la thématique, même calomnieuse, a déjà fait ses preuves sous Joseph Kabila, accusé en son temps de vouloir s’éterniser au pouvoir en dépit des prescrits de la Loi fondamentale.
Lamuka
Alors que Sessanga et son Sursaut National s’affairait à informer les autorités urbaines de l’organisation de leur manifestation, le même 11 novembre 2024, le camp Martin Fayulu, un autre candidat malheureux à la présidentielle de décembre 2023 lançait sa campagne au titre évocateur : «Changeons Félix Tshisekedi et non la constitution». Aux commandes d’opérations de sensibilisation sur le terrain, Prince Epenge, président d’un petit parti politique, l’ADD-Congo, et cadre de Lamuka. Conscient des limites d’une campagne sans moyens financiers conséquents, le collaborateur du président de l’Ecidé (c’est le parti politique de Fayulu) a lancé un appel vibrant à Moïse Katumbi, autre candidat malheureux à la dernière présidentielle, connu pour être peu pauvre depuis son passage à la tête de la riche province du Katanga sous Joseph Kabila.
Augustin Kabuya
Réponse du berger à la bergère. Lundi 13 novembre 2024 au siège de l’UDPS/Tshisekedi, Augustin Kabuya, le secrétaire général du parti présidentiel a animé un meeting à l’intention des combattants du parti, essentiellement axé sur le soutien à la révision constitutionnelle prônée par Félix Tshisekedi. L’homme ne s’encombre pas de considérations éthiques, lui aussi. «Cette constitution est maudite», explique-t-il aux combattants enthousiastes. «Elle stipule que pour sauvegarder l’unité africaine, il nous faut céder des portions du territoire au Rwanda !». Et ça marche plus qu’on ne peut l’espérer ici, puisque de la foule fusent des cris de protestation contre une telle «éventualité satanique». Ce qui permet au président a.i. du parti tshisekediste de foncer : «Si les opposants tiennent leur marche jeudi, nous mobiliserons à notre tour samedi. Ainsi, l’opinion saura que la RDC se trouve entre les mains de Félix Tshisekedi».
Pas de quartier pour les opposants, donc. A l’UDPS aussi, des appels à la sensibilisation fusent, qui prévoient des descentes sur le terrain, pour aborder des questions relatives à la guerre à l’Est, dont il faut analyser les causes profondes ; le tribalisme, afin de promouvoir l’unité nationale ; le changement de la constitution, pour évaluer enjeux et réformes, annonce d’autant plus impressionnante que l’homme programme de se rendre à Mitendi, Mbudi, Menkao (Kinshasa) ; Kasangulu, Matadi (Kongo-Central); et Kikwit (Kwilu).
«Fille aînée de l’opposition» ?
Tout semble indiquer que la lutte pour la conquête de la rue sera âpre. Fort de l’expérience des émeutes du 19, 20 et 21 janvier 2015 à Kinshasa, organisées par l’opposition emmenée, notamment, par l’UNC Vital Kamerhe, l’opposition croit et espère rééditer l’exploit. Mais la tâche demeure plus difficile qu’il n’y paraît à première vue. Les observateurs notent que début 2015, la mobilisation de la rue fut largement facilitée par l’adhésion des kinois à la lutte de l’UDPS et son leader, Etienne Tshisekedi, pour le changement du pouvoir en RDC. «Tous les leaders politiques de l’époque se sont plus ou moins réclamés du sphynx de Limete pour s’attirer la sympathie des foules», rappelle à cet effet, ce cadre de l’UNC qui a pris ses distances avec le parti rouge et blanc. Mobiliser contre les Tshisekedi ne devrait pas être tâche facile, selon cet observateur. «Le parti présidentiel compte encore de nombreux partisans avec lesquels il faudra compter», assure-t-il.
De «nombreux partisans», mais pas « tous ses partisans», sans doute. Comme nombre de partis politiques qui ont accédé au pouvoir avant elle, la «fille aînée de l’opposition» a perdu des plumes depuis 2018 et ne reflète plus sa splendeur d’antan. Des pertes que les moyens financiers, qui ne font plus défaut, pourraient largement compenser, comme en décembre 2023, lorsqu’il avait fallu élire un président de la République UDPS qui, pourtant, rempilait.
Jeudi 14 novembre 2024 au milieu de la journée, le parti de Sessanga a annoncé l’interpellation ‘‘brutale’’ de son leader par les forces de l’ordre. Néanmoins, des sources indépendantes ont expliqué au Maximum que les manifestants avaient tenté de changer l’itinéraire de la marche convenu avec les autorités.
J.N. AVEC LE MAXIMUM