(Par Lambert Mende Omalanga, Député national)
INTRODUCTION
En principe, la justice est administrée au nom de l’État en République Démocratique du Congo par les Cours et tribunaux qui, avec le ministère public et les avocats, constituent le système judiciaire dont le rôle et l’efficience sont au cœur du débat en cours qui, à mon avis, devrait porter également sur les impératifs de la séparation et de la synergie interinstitutionnelle qui fondent l’État de droit que nous appelons de tous nos vœux.
Hier, aussi bien le Président de la République, le Président du Conseil supérieur de la magistrature, le ministre de la Justice que le Bâtonnier national ont justifié ces États Généraux de la Justice par les contreperformances du système judiciaire dans l’exercice de ses missions de protéger les gens, arbitrer les conflits et sanctionner les comportements interdits ou les violations présumées ou d’interprétations différentes des normes et des engagements régissant les interactions sociales.
ETAT DE LIEU ET ACQUIS POSITIFS DE LA SITUATION ACTUELLE
Il existe dans ce pays un droit positif adossé sur une architecture institutionnelle chargée d’appliquer la Constitution, les traités internationaux, les lois organiques ou ordinaires, les actes réglementaires et, le cas échéant, la coutume autour de la triptyque Cour constitutionnelle – Juridictions de l’ordre judiciaire et – celles de l’ordre administratif avec les parquets qui y sont rattachés.
La clé de voûte de ma lecture de l’évolution de notre système judiciaire réside dans la révision constitutionnelle de 2011 qui fut justifiée, entre autres raisons, par quelques incongruités observées dans le texte de 2006. Mais en dépit de ces imperfections, l’agencement institutionnel apparaissait à d’aucuns comme une évolution positive au regard de la domestication caricaturale du système judiciaire par le parti-État MPR sous la deuxième République. Indubitablement, il y a eu car un allègement de la chape de plomb du Pouvoir exécutif sur le Pouvoir judiciaire.
LES DEFIS A RELEVER
Malgré cette légère amélioration, force est de constater la survivance dans le système judiciaire d’une panoplie d’antivaleurs et de dysfonctionnements, notamment la corruption endémique et l’apathie face aux expectations légitimes des justiciables et de la population.
Un autre défi à relever dans le système judiciaire congolais réside dans le syndrome de l’hubris ou l’ivresse de la toute-puissance qui se traduit par la propension à dépasser les limites de l’inacceptable en se surestimant et en sous-estimant les autres. On en a une illustration avec la persistance de cette querelle doctrinale inappropriée qui oppose les adeptes de l’équivalence statutaire absolue entre Magistrats du siège et ceux du Ministère public aux partisans de l’école napoléonienne pour qui l’action du Ministère public ne peut s’affranchir du contrôle du Pouvoir exécutif car dans un procès, le Ministère public représente l’État dont les intérêts sont lésés par les infractions.
Il s’observe un réflexe corporatiste excessif chez un certain nombre de magistrats. Parfois, ils interprètent de manière délibérément erronée certaines lois dans le but de faire prospérer une acception différente de celle clairement fixée par la Constitution comme si ils détenaient aussi le pouvoir constituant ou législatif.
Or, bien que la jurisprudence puisse constituer une source de droit, nul n’est habilité à interpréter une disposition clairement énoncée par la loi. Il est donc juste de penser à fortiori qu’une interprétation contra legem est plus qu’une aberration, une abomination. Le juriste Lucain Kasongo a ramené à la surface cette problématique en écrivant dans son Précis d’introduction générale au droit positif congolais paru l’année dernière, que « la justice ne doit pas se constituer en une entité désincarnée. Le rôle du Juge est d’appliquer la loi. Même elle lui paraît inopportune ou inéquitable, il ne peut pas s’y opposer ».
Un début de remédiation à ce dysfonctionnement est intervenu avec la révision constitutionnelle de 2011 mais dans leur praxis ambiante, plusieurs acteurs du système judiciaire congolais ont tendance à considérer cette révision comme une pure fantaisie. En effet, alors que le préambule de la Loi du 20 janvier 2011 portant cette révision stipule que « c’est pour donner des réponses adéquates aux problèmes posés aux institutions de la République qu’a été introduit à l’article 149 un amendement consistant en la suppression du Parquet dans l’énumération des titulaires du Pouvoir judiciaire qui est dévolu depuis lors aux seuls Cours et tribunaux » et que les articles 150 et 151 de la proclament expressis verbis l’indépendance et l’inamovibilité du seul magistrat du siège dans sa mission de dire le droit, certains Magistrats se laissent aller souvent à chahuter cette disposition constitutionnelle dans leur praxéologie didactique en s’appuyant sur le motif de l’appartenance de tous les Magistrats à un même corps professionnel !
Cette curieuse exégèse les conduit à une attitude d’auto-insularisation au mépris du principe de la subordination du Parquet au Pouvoir exécutif, ce qui ouvre une brèche à toutes sortes d’abus.
Il faut reconnaître à la décharge de ces magistrats que par leur nonchalance à mettre en place un dispositif légal et réglementaire d’application de ce prescrit constitutionnel de 2011, le Parlement et le Gouvernement partagent la responsabilité de cette désinvolture devenue systémique car elle transcende les situations particulières.
RECOMMANDATIONS GENERALES
Au terme de cette réflexion, il importe d’exhorter respectivement :
– Le Président de la République, le Parlement et le Gouvernement à faire diligence pour proposer, adopter et promulguer une législation mettant en adéquation la Constitution avec le fonctionnement du système judiciaire afin de cristalliser la répression des trop nombreux cas de prévarications et de corruption (création du Parquet financier dont a parlé le Chef de l’État). Il appartient aussi à ces trois institutions d’initier, adopter et promulguer un texte
établissant une passerelle fonctionnelle entre le Pouvoir judiciaire et le reste de la société. Dans ce sens, la révision de l’article 152 de la Constitution s’impose pour renforcer l’efficience de cet instrument du contrôle social institutionnalisé du système judiciaire qu’est le CSM et le rendre plus apte à restaurer l’idéal philosophique, juridique et moral fondamental qui constitue la pierre angulaire de la Justice. Cela passe aussi par une restructuration de cet organe prenant en compte l’unicité du Ministère public et la nécessité d’y impliquer des représentants du Pouvoir exécutif, du Barreau ainsi que des jurisconsultes pour anéantir le tropisme corporatiste qui tend à réduire le CSM au rôle d’un syndicat des Magistrats qu’il n’est pas.
– Les Magistrats dans leur ensemble et particulièrement ceux du Parquet à résister à la tentation du corporatisme qui consiste à défendre exclusivement les intérêts des membres d’une profession au détriment de l’intérêt général alors qu’ils sont en charge d’une institution investie d’une mission de service public.
– La Société civile à s’impliquer dans toute sa diversité à une vaste et profonde action de soutien à toutes les initiatives de moralisation du système judiciaire par des campagnes régulières aboutissant à des sanctions positives ou négatives des contreperformances dans la profession.
Cette triangulation vertueuse impliquant l’intelligence et la volonté de tous les animateurs des institutions de la République et de la Société civile constitue à mon point de vue un remède contre la maladie dont est affligée la Justice congolaise. C’est une thérapie consistant pour les uns et les autres à prendre à bras le corps la problématique anthropologique soulevée par l’évolution de notre société, en recourant à cette philosophie de la vie en commun entendu comme un art de coopérer que François Prouteau dans sa Pensée convivialiste résume dans la belle formule « savoir réformer sans se massacrer». Je vous remercie.-
Honorable Lambert Mende Omalanga