Les observateurs de l’arène politique rd congolaise comprennent un peu mieux, depuis mercredi 4 mai 2016, ce qui s’est passé dans l’ex. province du Katanga que quelques assoiffés de pouvoir ont voulu transformer en une véritable poudrière. Les obsèques de l’artiste musicien de renommée internationale, Jules Shungu Wembadio « Papa Wemba », tiraient à peine à leur fin lorsque le ministre de la Justice et Garde des Sceaux et Droits Humains, Alexis Thambwe Mwamba, réunissait une brochette de représentants de la presse pour leur parler de « questions sécuritaires et des aspects judiciaires » liés à ces questions, selon ces propos. Ce n’était pas habituel. Il ne s’agissait donc pas de libération de détenus ni de quoi que ce soit d’approchant. L’affaire était donc plutôt sérieuse, « j’ai donné injonction au Procureur Général de la République d’ouvrir un dossier judiciaire sur l’ex. Katanga, ainsi que me l’autorise la Constitution de notre pays », a déclaré le ministre dès l’entame de son adresse. Au milieu des crépitements d’appareils photos et de caméras, ces propos qui annonçaient une ou plusieurs opérations musclées sont passées inaperçues, ou presque. Alors qu’habituellement, lorsque leurs excellences se permettent de se mettre ainsi à table, c’est que la machine est déjà lancée.
Machine judiciaire après machine sécuritaire
Si à Kinshasa, les journalistes conviés au point de presse du ministre de la justice pouvaient encore se laisser aller à quelque distraction, à Lubumbashi, à 2.000 km de là, Moïse Katumbi ne se faisait plus le moindre doute sur sa situation. Pour parer au plus pressé et se ménager une sorte de couverture face aux conséquences des lourdes présomptions qui pesaient sur lui, l’ancien gouverneur de l’ex. Katanga s’est empressé d’annoncer, hors délai, sa candidature à la prochaine présidentielle, sur son compte Twitter d’abord. En effet, ce n’est que vers la fin de l’après-midi, après la confirmation de l’injonction ministérielle d’une enquête sur ses accointances suspectes avec une bande interlope d’anciens militaires américains et sud africains, qu’un communiqué en bonne et due forme, s’appuyant sur le choix portés depuis plusieurs jours sur sa personne par un certain nombre d’acteurs politiques, a été rendu public par Katumbi. Une sorte de candidature immunisante bien commode pour cet acteur politique en délicatesse avec la justice de son pays et qui croit, de la sorte, exorciser une issue pouvant aboutir à son interpellation par la justice. La guerre ne fait donc que commencer, comme on dit.
Car, le dossier transmis au Procureur Général de la République semble costaud. Alexis Thambwe Mwamba, un des meilleurs juristes que compte la RDC, ne s’est pas engagé à la légère. Il explique qu’il a été observé depuis novembre 2015 de nombreux mouvements irréguliers au regard de la législation sur l’entrée et le séjour de sujets étrangers en territoire rd congolais, des Américains et des Sudafricains essentiellement, dans l’ex. Katanga. Des sujets étrangers qui présentaient tous la caractéristique commune d’être d’anciens militaires, notamment des ‘marines’ américains connus pour avoir fait leurs armes (au propre comme au figuré) sur différents fronts à travers le monde, notamment au Kosovo ou en Irak. La pointe de cet iceberg est apparue le 24 avril 2016, lorsque Moïse Katumbi et le G7 choisirent étourdiment de braver l’interdiction de manifester dans un siège de parti placé sous scellé par les autorités judiciaires locales, défiant les forces de police déployées pour les en empêcher. Parmi les 6 manifestants arrêtés ce jour-là pour avoir forcé un barrage de la police, un sujet américain du nom de Lewis Darryl, qui sera transféré à Kinshasa 24 heures après, le 25 avril dernier.
Lewis Darryl, la face de l’iceberg
Une véritable pointe d’iceberg, ce yankee nommé Darryl, dont les auditions en présence du chargé d’affaires et du consul de l’Ambassade américaine en RD Congo ainsi que de ses avocats (dont Me Ruberwa Azarias), se sont avérées suffisamment révélatrices pour constituer un lourd dossier à charge transmis au Procureur Général de la République. Contrairement à ses premières allégations, par ailleurs soutenues et propagées au quatre vents par des proches de Moïse Katumbi comme son factotum Francis Kalombo, Lewis Darryl qui n’a aucune compétence dans le domaine de l’agriculture ne s’est pas rendu au Katanga à des fins de recherches agricoles. Devant les officiers de police judiciaire qui l’entendaient sur Procès-Verbal, Sieur Darryl a fini par reconnaître piteusement son statut d’ancien militaire reconverti en « conseiller en matière de sécurité » de l’ancien gouverneur de l’ex. Katanga. Darryl, est bel et bien un ancien caporal de l’armée de terre américaine qui a combattu au Kosovo avant de séjourner au Burundi voisin, un pays qui aujourd’hui encore est tout sauf un havre de paix. Sur son compte linkedin (où des soldats de fortune ont l’habitude de proposer leurs services comme mercenaires dans tous les points chauds de la planète), ce marine a posté un curriculum qui reprend ses hauts faits d’armes : spécialiste des opérations clandestines, des renseignements, protection et formation militaire. C’est ce qui a de toute évidence permis son recrutement par une officine de mercenaires, dénommée Wetter Security, dirigée par un général à la retraite de l’armée américaine.
En RD Congo, c’est sous le couvert d’une société de sécurité fictive, Pomba One Security, dont il n’existe aucune trace dans les registres du Ministère de l’Intérieur et Sécurité et qui ne doit son existence qu’à une combine d’un homme de main de Katumbi. Pomba One Security qui bénéficiait de la complaisance des services provinciaux où Moïse Katumbi régnait sans partage sur le Katanga a continué après la fin du mandat de ce dernier à lui offrir divers « services », notamment la couverture des invitations pour du « personnel de sécurité » étranger.
Afflux d’ex. militaires US
C’est grâce aux invitations de la fictive Pomba One Security que plusieurs autres personnages seront invités en RDC pour prêter main forte aux « plans » de l’ambitieux ex. Gouverneur de l’ancien Katanga.
Parmi eux, les afro-américains Nickolson Maurice ou André Adam Christopher … qui n’hésitaient, profitant de leur peau noire, pas à se pavaner parmi les membres de la garde rapprochée de l’ancien gouverneur. Tout bonnement.
Des documents et des conversations téléphoniques interceptées ont mis à découvert des conversations entre le groupe d’Américains et leur maison-mère aux Etats-Unis. Les rapports produits par le groupe de Lewis Darryl consistent notamment en des « études sur le système sécuritaire et de défense de la RD Congo », traduction : espionnage…
Alexis Thambwe Mwamba a fait état de deux rapports de ces « experts agricoles » du mois d’avril 2016, portant sur « l’évaluation et dispositions en cas d’action offensive des FARDC ou de la Police Nationale », ou encore sur un « Plan d’urgence en prévision d’éventuels assauts des Forces armées ou de la Police contre la résidence de Katumbi ». Tout un programme.
Le séjour en RD Congo d’un nombre impressionnant d’anciens militaires US a bénéficié de complicités à divers niveaux, qui seront sanctionnées, a promis le Ministre de la Justice. Au niveau de Lubumbashi, c’est sieur Corneille Mushila qui est l’auteur de la plupart des invitations qui ont rendu possible le séjour des anciens ‘marines’ américains en RD Congo, des invitations signées sous un pseudonyme, a révélé Thambwe Mwamba. Le personnel de certaines représentations diplomatiques semble avoir été suborné, ainsi qu’un pasteur d’une congrégation confessionnelle dont l’identité n’a pas été révélée par le Garde des Sceaux. Des invitations ont en effet été lancées sous le couvert d’une Eglise. Au total, quelque 650 sujets américains ont ainsi afflué vers le Katanga depuis 2015, dont 405 hommes en totale irrégularité, a encore révélé le ministre de la justice.
Au plan strictement judiciaire, Moïse Katumbi et ses proches doivent rendre compte de la présence d’anciens militaires étrangers irrégulièrement entrés sur le territoire national.
Précautions sécuritaires
Mais c’est sur le plan sécuritaire que l’affaire Katumbi paraît particulièrement sérieuse. Les observateurs comprennent mieux aujourd’hui pourquoi l’ex Katanga avait été militairement renforcé il y a quelques semaines, provoquant l’émoi des comploteurs qui prétendaient dénier aux autorités de la RDC le droit de faire entrer du matériel militaire par cette voie ou d’y déployer des forces de sécurité.
Tout se passe, en effet, comme si les autorités congolaises avaient flairé un mauvais coup depuis belle lurette. Et pris les dispositions qui s’imposent avant de mettre en branle les moyens judiciaires requis pour mettre hors d’état de nuire ceux qui se préparaient à attenter à la sécurité nationale pour se hisser au pouvoir à la faveur du chaos ainsi créé. L’atteste, le séjour de plusieurs jours passé par Joseph Kabila à Lubumbashi avant son récent déplacement vers les Etats-Unis pour la signature de l’accord sur la lutte contre le changement climatique (Cop 21). Ces choses-là ne se crient pas sur tous les toits, sauf lorsqu’on est assis sur des charbons ardents. C’est le cas de Moïse Katumbi qui non seulement semble se chercher une carapace immunitaire (candidat président, donc autorisé à se parer de forces de sécurité même recruté à l’étranger hors de toute forme de procédure ?), lorsqu’il n’appelle pas la MONUSCO ou l’Ambassade américaine à la rescousse. Drôle de candidat président de la RD Congo !
J.N.