Le chef de l’église catholique romaine, le pape François clôture ce vendredi 3 février sa visite pastorale en RDC entamée mardi 1er février 2023. Pour ce 40ème voyage apostolique hors d’Italie, le successeur de Saint Pierre a choisi, pour la 5ème fois, le continent africain après avoir été au Kenya, en Centrafrique et en Ouganda en 2015, en Egypte en 2017, au Maroc, au Mozambique, à l’Ile Maurice et à Madagascar en 2019.
Le périple papal le conduira ensuite à Juba (Sud-Soudan), après l’étape de Kinshasa.
L’intérêt du souverain pontife et celui du monde en général pour le continent africain est évident : aucun autre père de l’église catholique n’y avait accordé autant d’importance que ce prélat argentin, même pas le pape Jean-Paul II qui avait pourtant à maintes reprises fait part de sa proximité spirituelle avec le continent noir. «L’avenir de la planète se joue en Afrique», entend-on dire de plus en plus, même outre-Atlantique et outre-Mériterranée alors que s’y nouent des drames cruels et inhumains sur fond d’exploitation et d’expropriation de ressources naturelles. Mais l’Afrique, ce ne sont pas seulement ces ressources du sol et du sous-sol. Evaluée à 100 millions en 1900, la population du continent est passée à environ 275 millions dans la décennie 1950-1960, puis à 640 millions en 1990 avant de culminer actuellement autour de 1,4 milliard. Ce qui représente 18 % de la population mondiale.
«Le Vatican, combien de divisions ?»
Plus facile à dire qu’à faire, en ce 21ème siècle manifestement dominé par la course aux ressources stratégiques que se livrent les grandes puissances du monde emmenées par le capitalisme occidental, qui ne s’encombrent nullement de principes moraux et humanitaires prônés par l’Eglise.
Face aux ravages de l’exploitation des ressources du continent, on est encore loin de l’unanimité fondée sur la valeur intrinsèque de l’être humain ainsi dépossédé et chosifié qui présida à la condamnation générale de l’esclavagisme par l’humanité il y a quelques siècles. L’efficacité et la réussite de la mission apostolique du pape restent donc sujette à caution, ainsi que le rappelle cette boutade attribuée à Staline auquel ses conseillers diplomatiques recommandaient de tenir compte du point de vue du pape Pie XII à la veille de la conférence de Yalta : «Le Vatican ? Combien de divisions ?».
Les choses à cet égard semblent avoir évolué depuis quelques décennies. Régenter l’humain et le monde ne relève plus de la seule puissance des armes, ainsi que l’ont démontré dans un passé plus ou moins récent les campagnes militaires, euro-américaines, qui ont buté sur la volonté et la détermination farouche de populations hostiles à l’hégémonisme de certains envahisseurs. La foi, les ressources de l’esprit sont, elles aussi, en mesure de venir à bout de tout ou presque. Et ceux qui, à travers le monde, se sont donnés la mission de gérer – pour ne pas dire régenter – les esprits disposent d’un pouvoir aussi redoutable que les détenteurs de la puissance militaire.
Le chef spirituel de l’Eglise catholique romaine, qui revendique un peu plus d’1,3 milliards de fidèles à travers le monde, pèse donc autant que la plus puissante armée du monde.
Des défis à relever
En RDC, le pape François a entrepris une mission apostolique toute empreinte de défis à la fois pastoraux et politiques. Le pays de Lumumba est à ce jour le plus grand d’Afrique par sa dimension (2,345.000 kilomètres carrés). Sa population, avoisinne quelques 100 millions d’âmes aujourd’hui parmi lesquelles il y aurait entre 40 et 45 % de fidèles catholiques. C’est donc le plus grand pays catholique du continent avec ses 6 provinces ecclésiastiques et ses 48 diocèses dirigés par 62 évêques. L’Eglise catholique congolaise, c’est également quelques 1.637 paroisses disséminées à travers le pays, 4.216 prêtres diocésains, 1.946 prêtres religieux, 1.317 religieux non prêtres et 10.525 religieuses professes.
Ce bouillonnement du catholicisme a produit deux Bienheureux, Anuarite Nengapeta, béatifiée par le pape Jean-Paul II en août 1985, et Isidore Bakanja, béatifiée à Rome le 24 avril 1994. La béatification de l’ancien archevêque de Bukavu, Mgr Christophe Munzihirwa, assassiné le 29 octobre 1996 à Bukavu par des éléments de l’armée rwandaise, est en cours.
L’église et la foi catholiques sont néanmoins concurrencées, voire menacées, par le prosélytisme du protestantisme et des églises du réveil (35 % de fidèles), de l’église kimbanguiste (10% de fidèles) et de l’islam (9 %).
Ces trois dernières décennies, l’Eglise romaine n’a pas arrêté de perdre des fidèles attirés par les églises du réveil, plus promptes à apporter des solutions de proximité à leurs adeptes assaillis par les problèmes sociaux inhérents à l’aggravation de la pauvreté. Parce qu’«on y propose des solutions à tout : problèmes de pauvreté, de guérison de maladies, opportunités de mariage, de voyage vers l’eldorado européen, etc.». La hiérarchie catholique y fait face en s’engageant dans la dénonciation des problèmes socio-politiques qui se posent dans le pays. Elle détient et gère des établissements d’enseignement en convention avec l’Etat ainsi que quelques centaines de structures, centres caritatifs et sociaux, employant de ce fait un grand nombre de travailleurs. Mais cela ne suffit manifestement plus et des historiens rappellent souvent les accointances entre ‘‘les calotins’’ et les anciennes puissances coloniales dont les pratiques prédatrices expliquent le retard enregistré par le pays dans son développement économique.
En se rendant en RDC et au Soudan, deux Etats ravagés par des années de conflit armé, le pape François ne pouvait ne pas savoir à quoi s’en tenir. Au Congo, il a fort opportunément éventré le boa en dénonçant sans fioritures devant la classe dirigeante et le corps diplomatique réunis au Palais de la Nation le colonisme économique qui succède au colonialisme politique auquel l’Occident s’adonne en Afrique en général et en RDC en particulier. C’était le prélude à plus de 10 discours prononcés en diverses occasions à Kinshasa par le Saint Père, usant ainsi au maximum de la seule arme dont il dispose pour gérer l’humain : les mots.
Vérités papales
Mardi 31 janvier 2023, peu après son arrivée à Kinshasa, le pape François avait déjà asséné quelques vérités qui lui tenaient à cœur, et que les fidèles catholiques de la RDC attendaient. «Tandis que vous, Congolais, vous luttez pour sauvegarder votre dignité et votre intégrité territoriale contre les méprisables tentatives de fragmentation du pays, je viens à vous, au nom de Jésus, comme un pèlerin de réconciliation et de paix. Je viens enfin vous apporter la proximité, l’affection et la consolation de toute l ‘Eglise catholique. Je voudrais vous parler à travers une image qui symbolise bien la beauté lumineuse de cette terre : celle du diamant.
Chères femmes et chers hommes Congolais, votre pays est vraiment un diamant de la création; mais vous, vous tous, êtes infiniment plus précieux que toutes les choses bonnes qui sortent de ce sol fertile ! Vous avez une valeur inestimable. L’Eglise et le Pape ont confiance en vous. Ils croient en votre avenir, un avenir qui soit entre vos mains et dans lequel vous méritez de déverser vos dons d’intelligence, de sagacité et d’assiduité. Courage, frère et soeur congolais ! Relève-toi, reprends entre tes mains, comme un diamant très pur, ce que tu es»,a-t-il lancé à la cantonnade dans un tonnerre d’applaudissements.
«En parlant de frein au développement et de retour au passé, il est tragique que ces lieux, et plus généralement le continent africain, souffrent encore de diverses formes d’exploitation. Après le colonialisme politique, un ‘‘colonialisme économique’’ tout aussi asservissant s’est déchaîné. Ce pays, largement pillé, ne parvient donc pas à profiter suffisamment de ses immenses ressources : on en est arrivé au paradoxe que les fruits de sa terre le rendent ‘‘étranger’’ à ses habitants. Le poison de la cupidité a ensanglanté ses diamants. C’est un drame devant lequel le monde économiquement plus avancé ferme souvent les yeux, les oreilles et la bouche. Mais ce pays et ce continent méritent d’être respectés et écoutés, ils méritent espace et attention : Retirez vos mains de la République Démocratique du Congo, retirez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser. Que l’Afrique soit protagoniste de son destin ! Que le monde se souvienne des désastres commis au cours des siècles au détriment des populations locales et qu’il n’oublie pas ce pays ni ce continent. Que l’Afrique, sourire et espérance du monde, compte davantage: qu’on en parle davantage, qu’elle ait plus de poids et de représentations parmi les nations !», avait poursuivi le Saint Père.
Une diplomatie de l’homme pour l’homme
Pour Rome, l’Eglise catholique et le pape, il faut au monde «une diplomatie de l’homme pour l’homme, des peuples pour les peuples, doit se déployer, selon laquelle les opportunités de croissance des personnes soient au centre. En regardant ce peuple, on a l’impression que la Communauté internationale s’est presque résignée à la violence qui le dévore. Nous ne pouvons pas nous habituer au sang qui coule dans ce pays, depuis des décennies, faisant des millions de morts à l’insu de beaucoup. Il faut que l’on sache ce qui se passe ici, que les processus de paix en cours, – que j’encourage de toutes mes forces – soient soutenus dans les faits et que les engagements soient tenus. J’exprime toute ma gratitude aux pays et aux organisations qui fournissent des aides substantielles en ce sens, en contribuant à la lutte contre la pauvreté et les maladies, soutenant l’Etat de droit et promouvant le respect des droits humains. Je forme le vœu qu’ils puissent continuer à jouer pleinement et courageusement ce noble rôle», a-t-il encore déclaré, à la grande satisfaction de son principal hôte, le président de la RDC, Félix Tshisekedi Tshilombo, qui sans doute n’en attendait pas moins.
Victoire diplomatique pour Fatshi
En effet, arrivé au pouvoir à la suite des élections de fin décembre 2018, le chef de l’Etat congolais remet ainsi son pays à l’agenda international après plus d’un an d’agression de sa partie Est, riche en ressources naturelles par le Rwanda soutenu en sous-main par les puissances d’argent du monde occidental. Au grand dam de Kigali qui surfait sur les visées prédatrices de ces puissances dont il est devenu le commissionnaire depuis la fin du génocide rwandais de 1994.
Dès janvier 2020, au cours d’une visite à Rome, le chef de l’Etat de la RDC avait réitéré l’invitation adressée au pape François de se rendre dans son pays martyrisé par des violences armées qui n’en finissaient pas de recommencer. Deux ans plus tard, en 2022, Félix Tshisekedi accrédita l’ambassadeur Déogratias Ndagano au Saint-Siège en lui confiant la mission principale de préparer le voyage du pape à Kinshasa. Mission parfaitement accomplie pour le diplomate congolais puisque le 9 janvier 2022, en marge des traditionnels vœux au corps diplomatique accrédité au Vatican, le 266ème pape de l’Eglise catholique annonçait sa prochaine visite au pays de Patrice Lumumba. Une victoire diplomatique indéniable, dont le chef de l’Etat de la RDC a entendu tirer profit pour donner une voix puissante à son peuple meutri par d’indicibles souffrances. «La guerre russo-ukrainienne nous ramène à une époque de l’histoire de l’humanité révolue, en vidant de leur substance les fondamentaux sur lesquels reposent les relations entre les nations, à savoir notamment le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États. Elle met à nue l’obsolescence du principe de l’équilibre des forces issu de la dernière guerre mondiale, de même que les faiblesses des mécanismes de règlement des conflits internationaux en vigueur fondés sur la puissance de feu des États, mieux la capacité destructive des belligérants», avait-il déclaré quelques jours avant l’arrivée du pape en RDC, à l’occasion de la cérémonie de présentation des vœux au corps diplomatique accrédité dans son pays. Félix Tshisekedi avait alors dénoncé, encore une fois, «le Rwanda qui, depuis 23 ans, s’est toujours octroyé le droit de nous agresser et de commanditer des crimes abominables sur son territoire national au mépris du droit international, de la Charte des Nations Unies et de l’Acte constitutif de l’Union Africaine». En précisant sans ambages que «les vrais enjeux de l’agression de la République Démocratique du Congo par le Rwanda et de la crise sécuritaire à l’Est de mon pays sont économiques et hégémonistes. Aucun Congolais n’est dupe ni naïf sur cette évidence. Que tout le monde sache, hier, aujourd’hui et demain, aucune génération de mes compatriotes ne cèdera ni n’aliénera un centimètre carré du territoire national à quiconque, pour y établir une colonie de peuplement ou d’exploitation». Pour lui, la fin de la guerre imposée à ses compatriotes passe par un indispensable et efficace réarmement moral. C’est ce que le Pape François a apporté aux Congolais.
J.N. AVEC LE MAXIMUM