Attendu en RDC et au Soudan du Sud début juillet, le Pape François a reporté sine die un périple africain pourtant très attendu. Surtout en RDC où, en plus de Kinshasa, le Saint-Père devait se rendre dans la province du Nord-Kivu martyrisée depuis 28 ans par Paul Kagame et le Rwanda. Une messe, tout en symboles, était prévue au camp des déplacés de Mugunga à Goma. Cela aurait été un réconfort pour les populations locales, et un désaveu à l’égard de la belliqueuse principauté militaire de Kigali. Il n’en aura rien été en raison des problèmes au genou de François («à la demande de ses médecins», selon Vatican News), qui se rendra pourtant bel et bien au Canada, et fort probablement à Kiev en Ukraine. Le voyage papal sous le thème «Tous réconciliés en Jésus-Christ», c’est pour plus tard.
En RDC, pays de près de 100 millions d’âmes – malgré une bonne dizaine passée de vie à trépas du fait de multiples agressions rwandaises – connu pour être majoritairement composé de fidèles catholiques, la déception fut grande. Même si, officiellement, nul ne l’a exprimé à haute voix.Recevant le Cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Saint Siège, samedi 2 juillet 2022, Félix Tshisekedi lui a exprimé la grande attente des Congolais pour la visite papale. Tandis que la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), qui s’était impliquée activement dans les préparatifs du séjour du Saint-Père en RDC, se contentait de relayer le communiqué du Vatican.
Pour ce qui devait constituer le second voyage d’un souverain pontife en RDC, Kinshasa avait mis les petits plats dans les grands, en aménageant rien moins que 7 sites consacrés à l’événement dont 6 à Kinshasa et 1 à Goma. Notamment, un impressionnant podium de 1.400 m2 du haut duquel François devait dire la messe à Ndolo.
Déception immense
Conscient de la déception causée par le report de son voyage, le Pape François s’en est excusé dans un émouvant message vidéo, le 2 juillet. «Le Seigneur sait combien mon regret est grand d’avoir été contraint de reporter cette visite tant désirée et attendue. Mais ne perdons pas confiance et espérons nous retrouver au plus vite, dès que cela sera possible», a-t-il notamment déclaré avant de promettre aux Congolais et Sud Soudanais que «les larmes que vous versez sur la terre et les prières que vous élevez vers le ciel ne sont pas inutiles». En RDC, Dieu seul peut mesurer la quantité de torrents de larmes qui coulent depuis des décennies dans l’indifférence de la bienpensante communauté internationale.
Consolation supplémentaire, le 1er juillet est arrivé à Kinshasa Pietro Parolin, n° 2 du Vatican venu «apporter la proximité du Pape au peuples Congolais et Sud Soudanais», selon les termes de la presse vaticane. Et ceux de l’adjoint du Souverain Pontife lui-même : «Je ne viens pas en substitution du Saint-Père mais pour anticiper son voyage», a déclaré le 2 juillet au siège de la CENCO à Kinshasa, Pietro Parolin en invitant ses hôtes à réciter une prière commune pour «le voyage que le Pape désire vivement accomplir quand les conditions le permettront».
Reçu par Félix Tshisekedi à la Cité de l’Union Africaine, le secrétaire d’Etat du Vatican lui a assuré de cette proximité du Pape et relevé l’engagement du Saint-Siège en faveur des processus de paix et de développement.
Egalement reçu à la MONUSCO, l’envoyé du Pape a exprimé sa préoccupation pour la situation humanitaire à l’Est de la RDC, exhortant la mission à «trouver des solutions, restaurer l’économie à partir des ressources nationales sujettes à des intérêts économiques en créant un équilibre qui puisse enrayer la pauvreté endémique» avant d’émettre le vœu que «les violences puissent diminuer». Le cardinal Parolin a également rappelé la nécessité de protéger les populations et d’accueillir les réfugiés, selon la presse vaticane.
Proximité papale
La proximité du Pape, ce sont aussi les accords, jugés historiques, sur 5 points d’entente entre l’Eglise catholique et l’Etat congolais datant du 2 juillet 2022 à la primature. Il y en eût 5 : dans les domaines de l’enseignement catholique, de l’enseignement de la religion dans les écoles, des activités caritatives, de la pastorale dans les FARDC et des institutions hospitalières, ainsi que du régime patrimonial et de l’obtention des visas et permis de séjour pour le personnel religieux. «Ils étaient attendus depuis 6 ans», s’était extasié le cardinal Fridolin Ambongo. Son collègue du Vatican estimant pour sa part que lesdits accords constituent «la pierre d’angle d’une nouvelle collaboration plus pacifique et fructueuse entre l’église et les autorités civiles».
Les points d’entente entre l’Etat et l’Eglise en RDC confèrent à cette dernière un nouveau statut qui la sort du rang des Associations sans but lucratif. Une réelle avancée dont se réjouit Ambongo. «À partir d’aujourd’hui, pour nous, tout devient facile dans les domaines de l’éducation, de la santé, du social, pour tout ce que nous faisons pour les pauvres, pour tout le travail que nous faisons depuis des années. En République Démocratique du Congo, l’Église fait en effet beaucoup pour la population: elle gère plus ou moins les 50% des écoles, surtout celles primaires et secondaires; dans le domaine de la santé, elle possède 40% des structures sanitaires. Mais jusqu’à présent, l’Église était enregistrée comme une ONG, une organisation non gouvernementale. Mais l’Église n’est pas une ONG, elle n’a jamais été dans ce statut», explique-t-il.
En attendant son voyage en RDC, qui reste à reprogrammer, le Pape François a célébré une messe spéciale, le 3 juillet, en l’honneur de la communauté de la RDC. 2.000 Congolais ou descendants ont pris part à cette eucharistie introduite par le Saint-Père dans les langues du pays de Lumumba. Sans compter la liturgie à moitié en rite congolais qui a beaucoup impressionné. «Un chrétien apporte toujours la paix», a scandé François, se conformant ainsi au thème de la visite reportée en RDC. «Aujourd’hui, chers frères et sœurs, prions pour la paix et la réconciliation au Congo», a-t-il ajouté en reconnaissant que la RDC était «un pays meurtri et exploité».
Tout miel, les princes de l’église
Ceci explique-t-il cela ? En attendant le Pape, le cardinal archevêque de Kinshasa, connu pour son intolérance à l’égard des pouvoirs qui se sont succédés dans le pays ces dernières années, semble avoir mis de l’eau dans son vin. Certes, Fridolin Ambongo déclarait encore il y a peu que «notre problème au Congo est un problème d’hommes, un problème d’organisation. Nous avons des dirigeants qui n’ont pas le souci du peuple. Leur préoccupation n’est pas de créer les conditions pour que le peuple puisse vivre dignement». Mais même pour ce prélat, la visite papale justifiait un certain bémol, voire, un engagement ferme en faveur de la Nation en Péril. Sur la télévision catholique KTO, Ambongo Besungu a ainsi déploré l’insécurité qui sévit à l’Est du territoire national. «C’est un sujet de grande tristesse pour nous en tant que pasteurs parce que les peuples rwandais, burundais, ougandais, pendant des années, ont toujours vécu en paix les peuples se fréquentaient, se mariaient entre eux. Mais depuis le génocide du Rwanda en 1994 et l’entrée des Interhamwe, c’est-à-dire les génocidaires rwandais hutu qui avaient fui au Congo, le conflit s’est déplacé au Congo. On dirait que là où il y a eu le génocide, maintenant c’est la paix, le développement. Mais la guerre se poursuit sur le territoire congolais et ce sont les Congolais qui paient le prix de ce conflit parti du Rwanda. Aujourd’hui, nous avons l’impression qu’il y a une volonté de certains pays voisins de maintenir le Congo dans une situation de désordres, d’instabilité permanente parce qu’il y a des gens qui tirent des bénéfices. Si ces pays se comportent de cette manière, c’est parce qu’ils sont soutenus.
Depuis le génocide, il n’y a pas beaucoup de pays qui osent lever le ton vis-à-vis du Rwanda parce que la plupart ont la conscience chargée. Mais nous ne sommes pas du tout contre ce qui se passe au Rwanda : c’est un pays qui se développe, un dirigeant qui a un leadership réel sur le développement de son pays. Nous saluons cela. Mais (il faut) que le Congo puisse aussi se développer. Et les grandes puissances qui ont besoin de matières premières ont intérêt à avoir un Congo stabilisé, un Congo en paix avec lequel ils peuvent composer». Un sermon et un plaidoyer à la fois.
Diplomatie vaticane sollicitée
Le cardinal archevêque de Kinshasa a sollicité l’implication de la diplomatie vaticane pour ramener la paix en RDC. «Si tous les groupes armés ne sont pas maîtrisés, la RDC court droit vers la plus grande catastrophe humanitaire de notre temps. Voilà pourquoi nous demandons l’implication du Saint-Père François pour la paix au Congo à travers le soutien à la diplomatie de bon voisinage mené par le chef de l’Etat Félix Tshisekedi», a-t-il déclaré samedi 2 juillet en présence du secrétaire d’Etat au Vatican, Pietro Parolin, à la Cité de l’Union Africaine.
Le credo du primat de l’église catholique congolaise a été repris le 4 juillet 2022 par Mgr Marcel Uthembi, président de la CENCO, qui a appelé la communauté internationale à s’impliquer avec franchise dans la promotion de la paix et de la réconciliation dans les zones prises en otage par les groupes armés locaux et étrangers en RDC. Il s’exprimait ainsi au cours de la célébration eucharistique concélébrée avec le cardinal Pietro Parolin sur l’esplanade du Palais du Peuple de Kinshasa, devant des centaines de fidèles catholiques.
En attendant François, tout semble donc aller pour le mieux entre les princes de l’église catholique et le pouvoir en place à Kinshasa. Pourvu que ça dure.
J.N.