Certains observateurs attribuent des ambitions politiques au Dr. Denis Mukwege, le prix Nobel de la paix 2018 que d’aucuns plébiscitaient déjà cette année-là pour porter leurs couleurs au scrutin présidentiel pour remplacer Joseph Kabila dont les Occidentaux ne voulaient plus entendre parler. Rebelote cette fois-ci. L’homme qui répare les femmes à Panzi est de nouveau fortement poussé à franchir le Rubicon qui sépare l’humanitaire de la politique en se portant candidat à la présidentielle en 2023 contre Félix-Antoine Tshisekedi.
Le 30 juin 2022, un groupe d’intellectuels congolais composé de professeurs d’universités a appelé le gynécologue de Panzi à se présenter à l’élection présidentielle de décembre 2023 et à «prendre la tête de ce peuple meurtri. Présentez-vous à l’élection de 2023 que vous emporterez haut la main, parce que notre peuple qui vous appelle est celui qui vous élira», écrivent ces intellectuels, au premier rang desquels on retrouve le professeur Alphonse Maindo, un politologue de l’Université de Kisangani connu pour être un chaud partisan de Mukwege. «Ce peuple se tient prêt comme un seul homme à vous emboiter le pas sur le chemin de la restauration de notre chère patrie rongée par le manque de vision et de leadership, le tribalisme, le clientélisme, la tentation séparatiste menaçant la nation jusque dans ses fondements, laminée et écumée par les agressions extérieures», poursuivent les signataires du courrier destiné et transmis au directeur de l’hôpital de Panzi. «Il est des circonstances dans l’histoire d’un peuple où le salut d’une grande majorité dépend de la détermination et de la ténacité d’une infime minorité, voire d’un seul individu. Car dans ce cas, la force spirituelle compense la faiblesse du nombre et des moyens», poursuivent-ils.
Ils sont contredits par d’autres universitaires pour qui «on n’a pas besoin de soutenir une thèse de doctorat pour se rendre compte de la situation que traverse notre pays, ni pour prendre parti en faveur de tel ou tel autre candidat à magistrature suprême en RDC».
A la tête d’un parti politique ?
Sur France 24, un des partisans du Dr. Mukwege a assuré que le courrier des universitaires est bien arrivé à destination et que le Nobel congolais aurait demandé un temps de réflexion avant d’y donner suite. Signe, selon lui, de son acceptation de cet appel lancé le 30 juin 2022, parce que «d’habitude, Denis Mukwege dit tout de suite non lorsqu’il n’est pas d’accord sur un sujet. Qu’il ait sollicité un moment de réflexion indique qu’il sera d’accord».
Sur les réseaux sociaux, les choses semblent aller plus vite que l’assentiment de l’intérressé. Le médecin serait déjà à la tête d’un parti politique dénommé «Prix Nobel», selon la twittosphère congolaise dont on sait qu’elle n’est jamais à court d’imagination.
Il reste, quoiqu’en disent les uns et les autres que Mukwege, en dépit de sa grande notoriété, ne détient nullement le monopole du savoir et de l’intelligence et que l’unanimité est loin d’être acquise autour de sa candidature à la prochaine élection présidentielle. «Un ‘‘groupe d’enseignants à l’Université de Kisangani’’ est loin de représenter les plus de 40 millions d’électeurs congolais que ces universitaires confondent manifestement à l’étendue de leur savoir scientifique», explique encore un professeur de sociologie de l’Université de Kinshasa qui estime que Félix Tshisekedi mérite un second mandat pour parachever son oeuvre. Selon lui, le prix Nobel de la paix servirait davantage la cause de la patrie en danger en se tenant loin des arcanes de la politique politicienne qui sont très salissantes et ne pourront que ternir l’aura dont il bénéficie aussi bien dans son pays que sur le continent et à travers le monde. «Dans la mêlée politicienne, Denis Mukwege deviendrait une cible partisane comme une autre et perdrait l’essentiel de son impact», explique-t-on encore.
Le Nobel, un prix politique
Encore faut-il savoir si le Nobel congolais n’a pas été que le fruit des combinaisons politiques qui méritent d’être scrutées à la loupe. La prestigieuse distinction attribuée au médecin de Panzi le 5 octobre 2018 est une des rares qui ne soient pas dirigés par un comité scientifique. Il s’agissait de primer «les efforts visant à mettre fin à l’utilisation de la violence sexuelle comme arme de guerre», selon le comité Nobel Norvégien qui avait en l’espèce posé un acte de haute portée politique comme pour couvrir d’un voile pudique les véritables responsables de la guerre qui, aujourd’hui encore, déchire la partie orientale de la RDC, c’est-à-dire, les Occidentaux accaparateurs des richesses naturelles du pays et distributeurs des prix Nobel…
On rappelle que le prix Nobel de la paix n’a, en effet, jamais été une petite affaire en Afrique. Depuis sa création en 1901, seules quelques personnalités triées au gré des événements impliquant la crédibilité des prétentions impérialistes occidentales l’ont obtenu. Notamment les Sud Africains Chief Luthuli, Nelson Mandela et son «adversaire» du temps de l’apartheid, Frederik Willem de Klerk. Mais aussi le président égyptien Anouar El Sadate ex-aequo avec le 1er ministre israélien Menahem Begin après les Accords du Camp David; l’évêque anglican Desmond Tutu, également pour ses prises de position contre l’apartheid; et le Ghanéen Kofi Annan, candidat préféré des Américains à la tête de l’ONU. C’est tout dire: la distinction est essentiellement politique.
Accent sur un épiphénomène
Le prix Nobel attribué à Denis Mukwege mettait l’accent sur un épiphénomène plutôt que sur les causes profondes des violences vécues par les populations du Kivu qu’il a tendance à recouvrir. Certes, ces violences sont indéniables et humainement inacceptables sous les tropiques congolaises. Mais ce fléau et d’autres auraient été plus efficacement combattus si le mal avait été confronté à ses racines, à savoir «ces guerres par procuration qui pillent nos ressources et abiment au passage les sexes de nos sœurs et de nos filles», selon ce professeur de droit international de l’Université de Kinshasa.
Dans le cas précis de la RDC, il n’aurait existé ni de «médecin réparateur de femmes», selon le titre évocateur du film du Belge Thierry Michel dédié à l’œuvre de Mukwege s’il n’y avait eu, depuis 1994, le génocide au Rwanda voisin et la cohorte de fléaux qu’il a drainé sur le Congo.
Une éventuelle candidature à la présidentielle de Denis Mukwege dont la carrure internationale est tant vantée ci et là, resterait donc une pure fabrication occidentale destinée à dissimuler le rôle des puissances de l’hémisphère Nord dans les malheurs du Congo depuis 30 ans.
J.N.