Une polémique de plus a vu le jour dans la série des débats sur la fin de mandat du président de la République Joseph Kabila. Quelques juristes « éminents » et un homme politique au cursus académique douteux ont affirmé dans les médias qu’à l’échéance constitutionnelle du dernier mandat du président sortant, soit le 19 décembre 2016, l’article 75 de la constitution devra lui être appliqué au motif que ladite fin de mandat constituerait un cas « d’empêchement définitif » à exercer les fonctions au sommet de l’État. La forclusion du délai constitutionnel serait donc à ranger parmi les cas « d’empêchement définitif » appelant la procédure prévue à l’article 76 de la constitution.
Cette conception est battue en brèche par les juristes contactés par les rédactions du Maximum.
Tous les constitutionnalistes francophones s’accordent sur le fait que l’empêchement définitif du président n’a rien à voir avec le concept de « impeachment » (destitution en droit anglo-saxon), qui constitue aux Etats-Unis notamment, une cause de vacance de pouvoir à la présidence de la République. L’empêchement tel qu’il est évoqué à l’article 75 de la Constitution de la RDC du 18 février 2006, est une cause liée, non pas au statut juridique de la fonction du président de la République, mais plutôt à l’état de la personne physique de celui qui exerce cette fonction. Il s’agit, en d’autres mots d’un cas de force majeure, ou évènement fortuit qui, intervenant en pleine exercice de ses fonctions, ne permet plus à l’individu en tant qu’être humain, d’assumer matériellement les fonctions pour les quelles son mandat qui court encore. Rien à voir donc avec la fin normale d’un mandat électif, c’est dire l’issue de la durée lui accordée par la Constitution, soit cinq années d’exercice de ses fonctions. Celles-ci ne cessent, au regard de l’article 70 qu’avec la prise de fonctions par un nouveau président de la République élu.
Définition par l’origine, la nature et les conséquences
Si la fin du mandat est une cause de cessation des fonctions présidentielles prévues à l’article 70, l’empêchement définitif, lui, reste également une cause de cessation des mêmes fonctions, mais il est spécialement organisé en raison de sa nature, de son origine et de ses conséquences à l’article 75 et 76. L’article 75 n’a pas défini la notion d’empêchement définitif, se limitant seulement à en citer, pour la bonne intelligence de la disposition qui l’évoque, deux cas de figure, parmi tant d’autres pour ne pas alourdir l’économie du texte de la loi fondamentale. En droit constitutionnel français qui a inspiré notre constitution, l’empêchement définitif fait exclusivement allusion à l’impossibilité physique de la personne d’exercer une fonction d’État dont elle a le mandat. Au-delà des cas de figure repris dans l’article 75 de la constitution du 18 février 2006, on peut citer au titre d’empêchement définitif d’autres causes, par exemple, la situation d’un chef d’État pris en otage par un ennemi en période de guerre, ou porté disparu à la suite d’une catastrophe naturelle ou d’un accident, ou encore se trouvant, surdité et mutisme très gravement malade (folie, paralysie, surdité, aveuglement et mutisme irréversibles en même temps ou coma prolongé). Les cas de figure de déchéance physique ou d’indisponibilité physique pouvant être multipliés à l’infini, il n’a pas été rationnel de les énumérer dans la Constitution. Voilà pourquoi, ne citant que l’exemple de décès ou de démission, le constituant congolais a donné au concept « toute autre cause d’empêchement définitif» un contenu thématique par similitude d’origine et de nature aux deux cas cités pour éviter toute confusion. Aucun juriste digne de ce nom ne peut se permettre d’en tirer un parallélisme quelconque avec l’article 70.
Pour une lecture honnête et rationnelle de la Constitution
Aucun juriste averti ne peut confondre un « empêchement définitif » en tant que cause accidentelle rendant impossible l’exerce d’un mandat politique en plein exercice, avec l’absence de mandat pour celui qui n’en a plus pour cause de terme d’échéance en vertu des textes qui lui accordait ledit mandat.
Il convient de noter par ailleurs que l’article 76 de la Constitution de la RDC dispose à l’alinéa 1 que « la vacance de la présidence de la République est déclarée par la Cour constitutionnelle saisie par le Gouvernement… ». Au regard de cette disposition, l’hypothèse d’une vacance due à la fin de mandat présidentiel devient totalement absurde pour ne pas dire insensée lorsqu’on combine les articles 69 et 70 (2°), avec les articles 75 et 76. Le constituant congolais ne pouvait pas être « idiot » au point de demander au gouvernement de scier la branche de l’arbre sur lequel il est assis en lui confiant le pouvoir de saisir la Cour Constitutionnelle en vue de constater la vacance à la présidence du chef de l’État poursuivant son mandat conformément à l’alinéa 2 de l’article 70 alors qu’il (Gouvernement) est nommé par ledit Président de la République.
Justification philosophique de l’article 70 alinéa 2
Cependant, pour effleurer le débat sur l’article 70 alinéa 2, il est curieux que des intellectuels refusent de lire l’article précédent, c’est à dire l’article 69, qui donne le fondement philosophique de l’article suivant, en ce que la fonction du Chef de l’État est celle qui « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des Institutions, ainsi que la continuité de l’État. » Cela veut dire que par l’incise qui veut qu’« à la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu », la Constitution congolaise a formellement réglé la question d’un éventuel vide institutionnel (et non vide juridique), qui se trouve de la sorte formellement exclu au sommet de l’État, en cas de non élection présidentielle dans le timing fixé par la Loi fondamentale.
De la même manière que le constituant a réglé la question d’une éventuelle vacance de pouvoir au sommet de l’État (Art 75 et 76), suite à des cas accidentels, il a écarté toute possibilité de vide institutionnel à ce haut niveau névralgique de conduite des affaires de l’État (Art. 70 (2°) pour être en harmonie avec le principe sacré de la continuité de l’État (Art. 69). Il faut repartir au préambule de la Constitution du 28 février 2006 pour comprendre cette doctrine qui a guidé la rédaction de la Constitution, laquelle refuse formellement de voir surgir des situations d’instabilité due à « des crises politiques récurrentes dont l’une des causes fondamentales est la contestation de la légitimité des Institutions et de leurs animateurs. » La préoccupation du constituant avait pour finalité de prévenir l’instabilité due à un vide institutionnel dans une période comme celle de fin de mandat d’un président de la République. Il a pris en compte la situation de reconstruction post conflit de l’État congolais et des outils de son existence pour ne pas laisser le pays sombrer dans la spirale de la confusion, en cas de difficultés dans l’organisation des élections présidentielles ou autres dans les délais constitutionnels.
Ainsi, par les dispositions des articles 75 et 76 pour des cas accidentels impliquant la personne physique du président de la République, d’une part et d’autre part, les articles 69 et 70 (2°), lorsque le processus électoral n’a encore abouti, le constituant a confié une légitimité et une légalité constitutionnelle exceptionnelle au président du Sénat (articles 75 et 76) ou au président de la République fin mandat (Article 70) afin d’assurer la continuité de l’État (Art. 69).
Le cas de Haïti est patent pour comprendre la pertinence et la sagesse du constituant congolais de 2006. La constitution haïtienne interdit formellement la prorogation du mandat présidentiel, quoi qu’il arrive dans le processus électoral, alors que notre constitution la préconise expressément et à raison. Nous connaissons la suite de ce qui se passe dans ce pays des Caraïbes depuis que la crise électorale a éclaté. On ne peut appréhender autrement les choses à cet égard que dans le sens de la rationalité, en y projetant une réflexion sans passion sur l’esprit et la lettre de la constitution qui nous régit.
Logique de la continuité et de la rationalité de l’État
La mission conférée au président de la République, fin mandat en vertu de l’article 70 (2°) reste exceptionnelle pour autant que le processus électoral n’a pas encore abouti et elle ne prend fin qu’à l’installation de son successeur une fois que ce dernier aura été élu.
Autre situation : si pour des raisons logistiques, ce qui n’est pas à exclure, les élections présidentielles ne se tenaient que quelques jours seulement après le fameux délai constitutionnel ou si, par malheur, un nouveau président fraichement élu venait à mourir à la veille de son investiture, les Congolais se trouveront-ils dans le schéma des articles 75 et 76 ? À l’évidence non et le bon sens le plus élémentaire permet à n’importe quel analyste ayant à l’esprit Car cette matière de notre constitution est le fruit d’une réflexion objective et non partisane, s’agissant des dispositions, à l’évidence, strictement impersonnelle. 17 jours, 90 jours, 180 jours ou plus, après les délais constitutionnels, le constituant congolais savait pertinemment bien que l’État de la RDC, son administration, ses moyens et ses infrastructures ne sont pas comparables aux capacités opérationnelles de la France, des USA ou encore de l’Allemagne pour être en mesure de faire face, sans faille, aux défis de son fonctionnement. Nous sommes un pays où les moyens sont loin du compte et où tout est prioritaire et à reconstruire. Au regard de cette réalité, notre constitution n’a donc pas voulu enfermer la continuité de l’État dans un schéma de cul-de-sac.
Conclusion
Tous les Congolais ont le devoir de contribuer à la construction d’un État solide dans leur pays fragilisé par des années d’instabilité et d’adversité. Ailleurs, là où l’État fonctionne normalement, une centrale électorale, comme notre CENI, serait perçue comme une folie budgétaire qu’on ne se permettrait pas de créer. Dans un pays normal, un référendum peut s’organiser à tout moment. Il n’y existe pas de problème, ni d’administration et pour des opérations électorales fiables, ni de fichier électoral à jour, tel que les élections législatives anticipées peuvent se tenir à tout moment suivant les délais prescrits, en cas de dissolution d’une des chambres du parlement.
Le malheur de la RDC, c’est la confusion que certains acteurs politiques et sociaux s’amusent à créer entre l’État et le régime qui le dirige. Alors que la RDC reste un des rares pays au monde à ne pas ne disposer de fichier d’état civil, ce qui est une grave anomalie. Des politiciens sont montés au créneau pour fustiger la création et le programme de travail de l’Office National d’Identification de la Population (ONIP). De fait, dans tout Etat de droit, les opérations de recensement, y compris pour les élections relèvent de la mission de l’État, comme le sont celles relatives à l’éducation nationale, à la santé publique, aux infrastructures et voies de communications ainsi qu’à bien d’autres missions régaliennes. Mais encore faudra-t-il encore que notre État soit en mesure d’assumer matériellement ses missions. Nous y allons progressivement après des décennies de chaos que nous avons connues. Ainsi, il y a eu un temps, les examens d’État, la rentrée scolaire et la rentrée académique n’étaient plus organisés aux dates prévues par la loi qui les fixent. Le ciel ne nous était tombé sur la tête pour autant. Aujourd’hui, grâce aux efforts des autorités, les choses dans ce secteur reviennent à la normale. Il importe donc chaque fois de savoir faire la part de chose entre. Les exigences constitutionnelles et légales ne devraient pas être fétichisées au point d’être instrumentalisées pour déstabiliser le pays, ce qui reviendrait à appliquer aux difficultés que connaît notre pays, un remède pire que le mal.
Le Maximum & Daniel Makila K.