Au Nord-Kivu en RDC, la région de Rutshuru fait face à la résurgence de la rébellion du M23 dont la dernière attaque remonte à fin mars 2022. Elle a provoqué le déplacement de plus de 10.000 personnes qui ont trouvé refuge dans les agglomérations riveraines et en Ouganda voisin. Une accalmie s’observe depuis une semaine au front, non loin des collines de Chanzu et Runyonyi dans le triangle RDC-Rwanda-Ouganda. Le redéploiement des FARDC a permis le retour de certains déplacés de Jomba, notamment dans les localités de Rangira, Muhimbira, Bushengero et Bukengere, rapportent des sources locales. Même s’il est évident que cette accalmie sera de courte durée, puisque les rebelles occupent toujours les fronts collinaires de Chanzu et de Runyonyi, conquises lors des dernières offensives contre les positions des forces loyalistes.
Lundi 18 avril 2022, le Lieutenant-Général Constant Ndima, gouverneur militaire de la province du Nord-Kivu a effectué une mission d’itinérance au front de Rutshuru pour y réarmer moralement les troupes et réconforter les blessés de guerre. Il y a été accueilli par le Général Cirimwami, le nouveau commandant des opérations nommé après que des dysfonctionnements, qui ont permis la percée des rebelles, eurent été constatés. Les soldats rencontrés sur la route de Chanzu à cette occasion ont clamé haut leur détermination à récupérer les positions perdues.
Quelques jours plus tard, mercredi 20 avril 2022 à Goma, l’apparition d’un char de combat traversant la ville volcanique, sans doute en direction du front, a suscité quelqu’émoi parmi la population, et ramené à la mémoire la situation prévalant à quelques dizaines de km de là, à Rutshuru.
Diplomatie régionale new-look
En attendant ces échéances, la diplomatie régionale entre en jeu pour tenter de ramener la paix à l’Est de la RDC. Jeudi 21 avril 2022 s’est ouvert à Nairobi au Kenya, un sommet des pays membres de l’East Africain Community (EAC), la communauté des Etats de l’Afrique de l’Est à laquelle la RDC a récemment adhéré. Le Kenya, pays hôte, la RDC, l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi s’y penchent sur l’inquiétante résurgence du M23 avec le soutien du Rwanda, dans le cadre d’une nouvelle approche sécuritaire dictée par les intérêts économiques de la sous-région.
Le 7 avril 2022, Félix Tshisekedi, Paul Kagame, Yoweri Museveni et Uhuru Kenyatta avaient déjà débattu du problème et évoqué la nécessité de trouver une solution aux revendications des parties en conflit. Des nouvelles options sont attendues à l’issue de ce sommet.
Il reste que l’équation sécuritaire rd congolaise, faite de la résurgence récurrente de pseudos-rébellions sous-traitées par Kigali, est connue de tous. Défait par des forces gouvernementales congolaises plus véloces et soutenues par la brigade internationale des Nations-Unies en 2013, le mouvement politico-militaire, dont l’appui obtenu du Rwanda avait été reconnu par tous, s’était engagé à mettre un terme à la rébellion. Dans une déclaration signée par son président, Bertrand Bisimwa, le 13 décembre 2013, le M23 avait affirmé renoncer à la rébellion, indiquant que pour bénéficier de l’amnistie à décréter par le gouvernement de la RDC, chaque membre du M23 devrait s’engager personnellement par écrit à s’abstenir de manière permanente à utiliser les armes ou à participer à un mouvement insurrectionnel et que toute violation de cet engagement serait ipso facto considérée comme une renonciation au droit à l’amnistie.
Le prétexte des engagements pris
De même que Kinshasa s’engageait à accorder l’amnistie aux membres du M23 « pour faits de guerre et d’insurrection couvrant la période du 1er avril 2012 à ce jour (13 décembre 2013, ndlr) ». Le gouvernement rd congolais s’engageait aussi à appliquer les dispositions transitoires de sécurité impliquant le cantonnement, le désarmement, la démobilisation et la réinsertion sociale des ex. combattants, avec l’appui de la mission onusienne en RDC.
Là où le bât blesse, c’est lorsque les rebelles accusent Kinshasa de n’avoir pas respecté les engagements souscrits. Kigali aussi, qui n’a eu de cesse de brandir l’argument de la récupération des combattants M23 réfugiés sur son territoire par la RDC, qui impliquerait des engagements présentés comme « des solutions structurelles à la crise sécuritaire à l’Est de la RDC ».
Les observateurs sont quasi unanimes sur la réactivation soudaine du M23, quelques jours seulement après que Kinshasa et Kampala eurent convolés en nouvelles noces comprenant une mutualisation des forces armées pour combattre les terroristes ADF et la construction d’infrastructures routières de nature à booster les échanges commerciaux entre les deux Etats. Mais aussi depuis que la Grande-Bretagne et le Rwanda se soient accordés pour le transfert des demandeurs d’asile rejetés par Londres.
Selon Onesphore Sematumba de l’International Crisis Group, «Il y a deux éléments d’analyse importants. Le premier élément est lié à cette mutualisation des efforts des armées ougandaises et congolaises qui jusque-là, se sont faites en trois phases. Et maintenant nous en sommes à la troisième phase : la sécurisation des projets de construction de routes entre l’Ouganda et la RDC. Et là, il y a deux tracés de Beni-Butembo jusqu’à Goma et le tracé qui partirait de la frontière ougandaise (Kisoro) pour aller à Bunagana avant de faire la jonction jusqu’à Goma. Or ces routes longent pratiquement la frontière rwandaise. Il est donc inconcevable que le Rwanda accepte que ce tronçon soit sécurisé par l’armée ougandaise. Cela reviendrait pour Kigali à pratiquement mettre son ennemi solidement armé à votre aide».
Rivalité rwando-ougandaise
Mais aussi une donne économique évidente parce que « si cette route se développe, elle entre directement en concurrence avec la route rwandaise, la belle route rwandaise, qui contourne les volcans de l’autre côté, du côté rwandais. Donc, il y a de toute évidence un manque à gagner par rapport au trafic, par rapport aux taxes douanières, etc. Donc là la route qui passe par le Rwanda est essentiellement utilisée par les Congolais qui pourraient alors opter pour la route qui passe par chez eux. Ce serait un sérieux manque à gagner. Ces routes négociées entre l’Ouganda et la RDC ne font pas l’affaire du Rwanda », ajoute-t-il.
Tel semble être l’écheveau que l’EAC s’attèle à démêler depuis 24 heures à Nairobi, au Kenya.
LE MAXIMUM