Le 46ème président des États-Unis est catholique et soutient l’Interruption volontaire de grossesse (IVG). De quoi pousser les évêques conservateurs à agir, et à s’opposer au pape François.
L’assemblée plénière de printemps de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis (USCCB) qui s’est déroulée via Zoom du 16 au 18 juin dernier, a révélé les vives tensions qui la traversent. Outre-Atlantique, les évêques se demandent si l’on peut, ou non, donner la communion aux élus démocrates s’affichant comme catholiques tout en défendant le droit pour les femmes de recourir à une IVG. Parmi ces derniers, le président des États-Unis, Joe Biden, et la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, clairement visés par la frange conservatrice de l’USCCB.
Dès l’élection à l’automne 2020 du deuxième président catholique des États-Unis, après John F. Kennedy (1960-1963), le président de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis, José H. Gomez, par ailleurs archevêque de Los Angeles et membre de l’Opus Dei, avait partagé ses craintes. Il avait créé un groupe de travail chargé de réfléchir au dialogue avec Joe Biden, catholique revendiqué, personnellement défavorable à l’avortement, mais approuvant le programme libéral de son parti. À l’instar de ses prédécesseurs démocrates, il a d’ailleurs réautorisé le financement par l’État fédéral «des ONG étrangères défendant le droit à l’avortement».
Les évêques conservateurs veulent urgemment se positionner
Lors de cette assemblée plénière, avant même les traditionnels discours exprimés par le président de l’USCCB et par le nonce apostolique (ambassadeur du pape) Christophe Pierre, un Français, les évêques étaient invités à se prononcer sur l’opportunité de rédiger ou non un texte au sujet de l’eucharistie et de sa réception. L’objectif était de montrer que pour pouvoir communier, il faut respecter la doctrine de l’Église. La frange conservatrice employa même l’expression de «cohérence eucharistique», que l’on trouve dans le document d’Aparecida (au n°436), voté par le synode latino-américain de 2007 et rédigé en grande partie par le futur pape François.
Pour ces évêques conservateurs, il y a en effet une urgence à se positionner sur cette question, quand les modérés redoutent au contraire les dégâts causés par la publication d’un tel document, creusant davantage encore le fossé entre l’Église et la société. Ceux-ci s’élèvent contre une «militarisation de l’eucharistie», comme le craignait en février dernier l’évêque de San Diego, Robert McElroy. Ils pouvaient compter sur le Vatican qui, par la voix du cardinal-préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (ex-Saint-Office), le jésuite Luis Ladaria Ferrer, avait mis en garde les évêques nord-américains en mai dernier: un tel texte pourrait «devenir une source de discorde plutôt que d’unité». Rome incitait même l’USCCB à rechercher ce que disent les autres conférences épiscopales sur ce sujet, quand bien même cette polarisation au sujet de l’avortement n’existe qu’aux États-Unis… et, pour d’autres raisons, en Pologne.
Néanmoins, la Conférence des évêques catholiques des États-Unis passa outre, et les trois quarts des évêques (168 pour, cinquante-cinq contre et six abstentions) votèrent pour la publication d’un document sur l’eucharistie en novembre prochain. C’est la commission doctrinale de cette conférence qui est chargée de le rédiger. Celle-ci est présidée par Kevin Rhoades, évêque de Fort Wayne-South Bend (Indiana), qui s’est déjà opposé à Joe Biden par le passé : en 2016, il avait critiqué la décision de l’Université Notre-Dame, sur le territoire de son diocèse, d’honorer Joe Biden, à l’époque vice-président de Barack Obama, en raison de son soutien au droit à l’avortement et au mariage pour tous.
Un combat idéologique
Cette polarisation de l’Église aux États-Unis sur l’IVG, le mariage gay, les études de genre, ou encore l’euthanasie, date du pontificat de Jean-Paul II (1978-2005), qui a nommé des évêques et créé des cardinaux prêts à mener une guerre culturelle dans la société nord-américaine, vue à Rome-comme à Washington sous Ronald Reagan (1980-1988) – comme trop permissive.
En 2004, la frange conservatrice de l’épiscopat américain avait déjà saisi le Vatican au sujet de la communion aux élus démocrates n’adhérant pas aveuglément aux positions de l’Église. À l’époque, était visé le candidat du Parti démocrate, John Kerry, aujourd’hui envoyé spécial chargé de la lutte contre le réchauffement climatique de l’administration Biden. L’alors cardinal-préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Josef Ratzinger, futur Benoît XVI, condamnait aussi l’euthanasie et l’IVG en tant que «péchés graves», et en concluait qu’il était du devoir du curé de déconseiller aux catholiques favorables à l’IVG ou l’euthanasie de se présenter pour recevoir la communion. Cette préconisation fut respectée par les plus observants des ecclésiastiques, mais nullement par tous: bien des curés ont continué de donner la communion à des catholiques favorables à l’IVG ou à la contraception.
Or, avec l’élection de François en 2013, les choses ont changé. Dès le début de son pontificat, le pape latino-américain a rompu avec les nominations conservatrices aux États-Unis. Il a promu des hommes réputés pour leur modération: Blase Cupich à Chicago, le rédemptoriste Joseph Tobin à Newark, Robert McElroy à San Diego, etc. Ces proches du pape reprochent notamment à leurs confrères de trop focaliser sur l’IVG, le mariage gay, l’euthanasie, tout en soutenant le port d’armes, la peine de mort, le capitalisme outrancier, etc. Ce tri dans la doctrine sociale de l’Église montre bien le caractère idéologique du combat mené par les évêques ultras outre-Atlantique.
L’élection de Joe Biden met en lumière la grave crise de l’Église aux États-Unis, déjà fortement ébranlée par les scandales d’abus et de viols commis par des clercs.
Dans le même temps, le pape jésuite se rapprochait de Barack Obama afin d’obtenir la levée des sanctions nord-américaines à l’encontre de Cuba, une négociation entamée sous Benoît XVI mais qui prit une nouvelle tournure, due aussi aux origines du nouveau pape.
Le 17 décembre 2014, jour de l’anniversaire du pape, les deux présidents s’adressaient à leur nation respective pour officialiser de nouvelles relations, l’un et l’autre ne manquant pas de remercier l’évêque de Rome pour son implication décisive.
Cette initiative du pape déplut à la frange conservatrice de l’épiscopat nord-américain, et les dissensions au sein de l’USCCB prirent une nouvelle ampleur sous le mandat de Donald Trump, soutenu par les évêques conservateurs en dépit de ses trois mariages et des révélations sur quelques épisodes peu glorieux de sa vie privée, mais opposé à toute possibilité légale d’IVG. Pour obtenir leur appui, et celui des pentecôtistes et autres protestants fondamentalistes, le 45ème président des États-Unis nomma quantité de juges réactionnaires. La nomination de la juge ultra-catholique Amy Coney Barrett à la Cour suprême, quelques jours avant l’élection présidentielle de 2020, est le dernier exemple en date.
De son côté, François n’a jamais caché sa méfiance vis-à-vis du président milliardaire, aux antipodes de l’Évangile qu’il prêche. Preuve du soulagement à Rome de l’élection du Démocrate, le communiqué de félicitations au nouvel élu ne mentionnait même pas les lois sociétales tant combattues par les catholiques conservateurs nord-américains.
L’élection de Joe Biden, qui va à la messe chaque dimanche, met en lumière la grave crise de l’Église aux États-Unis, déjà fortement ébranlée par les scandales d’abus et de viols commis par des clercs. Ce projet de texte sur l’eucharistie prouve la fébrilité d’un certain nombre de catholiques, qui savent ne pas être soutenus par le pape dans leur guerre alors qu’ils viennent de perdre leur meilleur allié à la Maison-Blanche. La volonté d’enfoncer un coin entre le Vatican, «embarrassé» par cette polémique, et la nouvelle administration Biden apparaît aussi clairement. D’autant que Joe Biden a déjà reçu la communion des mains du pape et que le cardinal-archevêque de Washington, Wilton Gregory, ne la lui refusera pas.
Finalement, le 25 juin, un article du Washington Post révélait qu’il y aurait en définitive un texte ne faisant aucune mention du président Biden ni d’aucun autre politicien, mais s’adresserait à «tous les catholiques» en recourant au droit canonique de 1983 dans «un but médicinal plutôt que punitif».
François s’était positionné à mots couverts sur cette question. Lors de l’Angélus du 6 juin dernier, jour de la Fête du Corps et du Sang du Christ, il avait déclaré: «L’Eucharistie n’est pas la récompense des saints, non, elle est le Pain des pécheurs». Les évêques conservateurs des Etats-Unis veulent la guerre même si dans l’immédiat ils y ont renoncé, peut-être parce que le pape argentin était prêt à la mener. Mais pour l’instant, il faut bien l’admettre, François ne dispose guère outre-Atlantique des forces nécessaires pour l’emporter.
G.H