L’évasion fiscale représenterait quelque 15 milliards de dollars l’an, au bas mot. C’est plus du double dans la douane. La lutte sans concession contre la fraude fiscale, douanière, dans les secteurs économiques, les télécommunications, les transports fait partie de 28 mesures urgentes adoptées par le Conseil des ministres lors de sa 8ème réunion extraordinaire qui s’est tenue le 26 janvier 2016 sous la présidence du Chef de l’Etat, Joseph Kabila.
Voilà pratiquement 5 ans que le gouvernement rabâche la même rhétorique ; tordre le cou à la corruption. En 2012, soutenant que le potentiel fiscal de la RDC serait en réalité de l’ordre de 20 milliards de dollars l’an (et non les quelque 3 à 5 milliards officiels), le Premier ministre, Augustin Matata Ponyo avait, devant l’Assemblée nationale, annoncé la mise en place d’un tribunal fiscal. Rien n’est venu. En 2013, devant le Congrès, le Chef de l’Etat s’était aussi engagé à en finir avec la corruption dans un speech.
Luzolo Bambi, et après?
Joseph Kabila avait visiblement décidé de monter sur la première ligne de front contre la corruption et l’enrichissement illicite. «Une lutte continue s’impose dans ce domaine…Pour ma part, déclare ferme le Chef de l’Etat, j’entends procéder à la nomination d’un conseiller spécial qui aura pour mission principale d’assurer un monitoring permanent de l’évolution des patrimoines, ainsi que des cas de malversation, de corruption et d’enrichissement illicite dans le chef des responsables politiques nationaux et provinciaux, des hauts fonctionnaires et cadres de l’administration publique, des mandataires publics et autres agents publics… ». Depuis, voilà pratiquement deux ans que l’ancien ministre de la Justice, Emmanuel Luzolo Bambi Lesa, a été nommé conseiller spécial en matières de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. Mais à son actif, RAS, rien à signaler. Et pourtant, il pleut régulièrement en RDC des actes des péculats au sein même de l’appareil de l’Etat. En marge des Etats généraux de la Justice qui se sont tenus en juin 2015, Le désormais conseiller spécial, Emmanuel Luzolo Bambi, avait déploré que « les sanctions prononcées en matière de corruption n’existent presque pas alors que dans la vie de tous les jours nous voyons la manifestation de la corruption. Il avait promis que, dans le cadre de son mandat de conseiller spécial, toutes les hautes autorités du pays, tant civiles que militaires, qui seraient concernées par le phénomène de corruption seront poursuivies ». Courant 2015, par exemple, le ministre du Budget, Michel Bongongo a, tour à tour, dénoncé que quelque 174 millions de FC sont, chaque mois, détournés lors de la paie, dans le secteur de la santé et 11 milliards de FC dans le secteur de l’EPSP (Enseignement primaire, secondaire et professionnel).
Décembre 2015, le comptable public principal [dont le nom n’a jamais été communiqué à la presse] affecté au cabinet du ministre des Affaires étrangères par le ministère des Finances se fait la belle avec deux millions de dollars. Dans un communiqué publié samedi 19 décembre dernier à Kinshasa, le ministère des Affaires étrangères indique que le comptable principal public affecté dans son cabinet de travail a disparu de la circulation depuis le 14 décembre 2015, emportant une « forte somme d’argent ». Le communiqué précise que cet argent avait été retiré de la Banque centrale du Congo, BCC, pour couvrir des dépenses du ministère, notamment les frais des missions effectuées par le ministre des Affaires étrangères et ses collaborateurs. Selon le même communiqué, la police, les services de sécurité et ceux de surveillance des frontières ont été alertés une fois que la disparition du comptable a été constatée. Une plainte pour détournement des fonds publics aurait également été déposée auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de la Gombe. Mais comment une somme si colossale s’est-elle retrouvée en liquides entre les mains d’un individu en cette période où les structures bancaires auraient pu être sollicitées pour dispatcher l’argent? L’Etat ne donne pas assez des moyens pour lutter contre la corruption. Rien n’a été prévu pour la cellule du conseiller spécial du chef de l’Etat, a soutenu sur les ondes de radio okapi, Me Jean-bosco Konde, conseiller principal de Luzolo Bambi.
Transparency International : Luzolo Bambi approuve.
La RDC a, en effet, gardé son rang dans le classement de Transparency International sur la corruption dans le monde. D’après le rapport 2015 de cette organisation publié le 27 janvier 2016, le pays se classe 147e sur 167 pays avec un score de 22 comme en 2014.
Pour Transparency International, parmi les facteurs qui favorisent une baisse importante de la corruption on compte notamment le niveau élevé de liberté de la presse, l’accès aux informations budgétaires, le niveau élevé d’intégrité des personnes au pouvoir et un système judiciaire impartial.
Quant à la corruption, elle est favorisée par une mauvaise gouvernance, la faiblesse des institutions telles que la police et le système judiciaire et un manque d’indépendance des médias.
Lucas Olo Fernandes, coordonnateur régional Afrique centrale de Transparency International, recommande à la RDC de lutter contre l’impunité et de mettre en place des mécanismes de prévention.
« La lutte contre l’impunité est une des choses à laquelle la RDC devrait s’attaquer d’une manière très importante. Il y a aussi la partie de la prévention de la corruption, mettre des mécanismes de transparence qui vont faire en sorte qu’on n’arrive pas à des situations dans lesquelles l’argent disparaît directement», conseille-t-il.
Selon le Premier vice-président du bureau du Sénat, Edouard Mokolo wa Mpombo, l’Afrique centrale serait la région la plus corrompue de tout le continent, alors qu’un tiers des richesses d’Afrique y sont concentrées. Près de 55 milliards USD, a-t-il précisé, alimentent chaque année les flux financiers illicites.
Depuis octobre 2015, les deux Chambres du Parlement ont accordé au gouvernement de ratifier la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption. Les objectifs de la convention visent notamment à promouvoir et à renforcer la mise en place en Afrique, par chacun des Etats parties, des mécanismes nécessaires pour prévenir, détecter, réprimer et éradiquer la corruption et les infractions assimilées dans les secteurs publics et privés. Ils visent également à coordonner et harmoniser les politiques et les législations entre Etats parties aux fins notamment de prévention, de détection et de répression du phénomène.
Audit des exonérations.
Pour le vice-ministre à la Coopération internationale, Mwedi-Malila Apanela, cette convention renforcera l’arsenal juridique de la RDC dans la prévention contre la corruption devenue, a-t-il dit, « un fléau qui gangrène la société congolaise, ralentit le développement du pays et tétanise les investissements».
En vue de juguler la corruption, le 26 janvier 2016, le gouvernement s’est notamment engagé à «plus de rigueur dans l’octroi des exonérations» et au «renforcement du contrôle des Sim box autorisant ainsi à l’Autorité de Régulation de la Poste et des Télécommunications du Congo (ARPTC) de signer des contrats de partenariat avec des sociétés spécialisées». Lundi 29 juillet2013, au sortir de la réunion hebdomadaire de la troïka stratégique [composée des ministres des Finances, du Budget et du gouverneur de la Banque centrale du Congo] autour du Premier ministre, l’alors ministre délégué près le Premier ministre en charge des Finances, Patrice Kitebi Kibol Mvul, déclarait que «le gouvernement a décidé d’organiser un audit sur toutes les exonérations fiscales accordées aux entreprises dans les tout prochains jours. Les exonérations sont devenues des «hémorragies importantes» des recettes de l’Etat et constituent une source de fuite de recettes. Voilà pourquoi le Gouvernement a décidé d’en assurer un meilleur contrôle », avant de rajouter, «D’une part, un suivi va être fait de toutes les exonérations qui ont été accordées à certaines entreprises. Et d’autre part, on souhaite que désormais toutes les demandes d’exonération d’ou qu’elles viennent soient mieux suivies et mieux contrôlées par le gouvernement de manière à pouvoir mettre un terme à cette hémorragie de recettes». Plus de deux ans et demi après, le gouvernement, alors qu’il a déjà connu trois remaniements, en est encore au stade de souhait, de vœu, d’être plus rigoureux dans l’octroi des exonérations (…)
Les PT &NTIC au cœur de coulage des recettes de l’Etat.
Les PT&NTIC constituent le second contributeur du budget de l’Etat, après les mines, en ce qui concerne les recettes non fiscales. L’apport des PT &NTIC au budget annuel se situe, en moyenne, autour de 12%. Plutôt insignifiant, de l’avis des experts. L’Etat perd en effet de substantiels revenus du fait de SIM box mis en place en toute illégalité par des tiers en vue de brouiller le volume des appels entrants, en fait venant de l’étranger vers la RDC, pour lesquels l’Etat doit percevoir 0,05 dollars sur chaque minute d’appel. Dans sa présentation du budget 2014, le Premier ministre Matata Ponyo en a fait encore une promesse. On n’a rien vu de concret.
Le ministère des PT &NTIC a plutôt conclu un contrat avec une firme présentée comme franco-américaine, Agelis-Télécom, dont l’efficacité pose problème. Selon le contrat signé en novembre 2012 entre le gouvernement congolais et Agelis-Télécom, cette dernière est chargée de mettre fin à la fraude téléphonique. Depuis novembre 2012, Agelis-Télécom n’a démantelé que quatre réseaux Sim Box alors qu’il en existe une centaine, ont déploré les opérateurs de téléphonie cellulaire lors des assises des Concertations économiques, début mars 2015, alors que selon l’ex-ministre des PT-NTIC, Tryphon Kinkiey Mulumba, chaque mois l’Etat manque de gagner près de USD 12 millions du fait des Sim Box. D’après des concessionnaires GSM, la majorité de Sim Box est entretenue par certains officiels congolais qui brassent ainsi frauduleusement de millions de dollars au détriment du Trésor public. A la chambre basse du Parlement, des voix se sont élevées pour l’Etat initie des poursuites contre tous ceux qui ont trempés dans le dossier inhérent à la connexion de la RDC à la fibre optique, en vain. Et pourtant, c’est une évidence, on a détourné l’argent de l’Etat. La commission parlementaire Mayobo, à l’Assemblée nationale, a mis à l’index des expatriés n’ayant pour pièce d’identité qu’un numéro de téléphone, un permis de conduire étranger…mais surtout des R-dcongolais qui ont abusé de la confiance en eux placée par le Chef de l’Etat. Des ministres, des mandataires d’Etat durant l’exécution du projet inhérent à la connexion de la RDC à la fibre optique WACS, sur qui pèsent de lourdes présomptions de péculat, de détournement des deniers publics à travers des entreprises fictives et/ou des surfacturations. D’ailleurs le câble lui-même pose problème, acheté à prix fort, 52.000 dollars le Km, alors que le câble approprié ne coûtait que Usd 20.000 le Km, il a été placé sous terre, contre l’avis des experts, qui rabâchaient sans cesse que c’est un câble aérien. Du gâchis. Membre du Réseau national des parlementaires contre la corruption, le député national Jean-Pierre Pasi Zapamba pense que la fin de l’impunité permettra de faire reculer la corruption. « La corruption la plus dangereuse c’est celle des décideurs. Le jour où nous aurons un procès de quelqu’un qui est soupçonné de corruption, qu’on le juge, qu’on l’arrête, qu’on récupère les biens volés au profit du trésor public, vous allez vous rendre compte que la situation de la société va s’auto-régulariser », estime le député Pasi.
POLD LEVI