Lorsque Joseph Kabila prenait le pouvoir le 26 janvier 2001 à seulement 29 ans, nombre de partenaires traditionnels de la RDC outre-Méditérranée et outre-Atlantique pensaient avoir trouvé un homme-lige idéal pour imposer leurs agendas. Son jeune âge, son inexpérience, le traumatisme de l’assassinat de son père et sa timidité apparente étaient considérés comme autant d’atouts qui leur permettraient de gouverner par procuration l’immense pays de Lumumba. Jouant le jeu, JKK avait réservé sa première tournée internationale à l’axe Paris-Bruxelles-Washington, promettant à tout va de «ramener la RDC à la table de décideurs». Nul ne soupçonnait alors que le jeune chef d’État congolais allait devenir aussi intraitable qu’intransigeant avec la souveraineté et l’indépendance de son pays. Même Mobutu que d’aucuns considèraient à raison comme une fabrication de la CIA et de la Belgique ne se laissait pas toujours marcher dessus lorsque la souveraineté du Congo-Zaïre était en jeu. C’est donc mal analyser les choses que de croire qu’un président de la République démocratiquement élu comme Félix Tshisekedi, né après l’indépendance, puisse voguer à contre courant de l’émancipation de l’Afrique de l’étreinte néocoloniale.
La méthode Fatshi
Jovial, policé et affable, le cinquième président de la RDC a démontré au cours de ces derniers mois qu’il était tout sauf naïf.
Lors de son dernier séjour privé à Bruxelles, il s’en est expliqué dans un entretien à bâtons rompus avec des journalistes congolais de la diaspora. Répondant à une préoccupation soulevée par le journaliste Francis Kankonde sur ses rapports avec son prédécesseur qui semblait l’écraser, Fatshi avait tenu ces propos ô combien prémonitoires: «si je peux me vanter d’avoir un don particulier, c’est celui de comprendre rapidement les gens. La plupart de ceux avec lesquels je compose pensent que je suis naïf et qu’ils peuvent facilement me rouler dans la farine. Mais moi je sais qu’ils pensent que je vais me faire avoir et je sais comment les faire déchanter au bon moment». Un mois après, Fatshi prononçait son célèbre discours de 6 minutes le 23 octobre 2020 qui avait mis fin à la coalition FCC-CACH avec les conséquences que l’on sait.
Arrivé au pouvoir dans un contexte d’isolement diplomatique, Félix Tshisekedi n’avait d’autre choix que de s’efforcer de se rabibocher avec les partenaires extérieurs les plus en vue de la RDC comme les États-Unis d’Amérique ou l’Union européenne. Avec une patience de Sioux, il a laissé libre cours à certains diplomates zélés et maladroits qui pensent que le moment est venu de tout se permettre. «En réalité Tshisekedi garde toujours de la hauteur en tant que chef d’État. Les comptes avec les diplomates indélicats, il a sa manière à lui de les règler sans faire des vagues», assure un de ses proches qui croit savoir que le président congolais n’est pas étranger à la mise à l’écart de l’ancien envoyé spécial des USA pour la région des Grands Lacs, Peter Pham, dont les Congolais savent qu’il fut le principal avocat de la balkanisation de leur pays au sein du think tank néolibéral Atlantic Council à Washington qu’il vient du reste de regagner après une escapade éclair au Sahel.
‘‘Nzita’’ Hammer dans le viseur ?
Le moins que l’on puisse dire est que l’exubérance de l’ambassadeur américain à Kinshasa depuis l’accession de Fatshi au pouvoir dérange. Plusieurs voix dénoncent ses intrusions répétées dans les domaines de souveraineté qui tendent à infantiliser les autorités politiques légitimes qui ont mandat de présider aux destinées du pays. L’opinion africaine et congolaise s’offusque de voir que plusieurs décennies après l’indépendance, un ambassadeur fût-il de la super puissance américaine, donner l’impression d’être à Kinshasa comme en territoire conquis. Le diplomate semble ne rien faire pour démentir les accusations d’ingérence dont il est accablé. La semaine dernière, il a publié avec la même arrogance une photo le montrant en train de présider une réunion d’officiers supérieurs à la base de Kamina. L’image a sonné comme une provocation de trop pour beaucoup de patriotes congolais qui s’en sont indignés et ont fustigé le laxisme des décideurs nationaux. C’est le cas de la sénatrice Francine Muyumba, présidente de la commission des Relations extérieures du Sénat pour qui «l’ambassadeur américain en RDC a une énième fois outrepassé sa mission. Cette liberté qui lui est accordée par nos dirigeants inquiète tant le pays est souillé à chacune de ses activités. Cette image de Mike Hammer face aux militaires des FARDC, sans un officiel congolais est consternante. Comment un pays peut-il accepter d’être le terrain de jeu d’un ambassadeur?». La députée nationale Marie-Ange Mushobekwa s’est exprimée dans le même sens. «En RDC le commandant suprême des FARDC est le président de la République. Après lui, le seul civil habilité à donner des ordres aux militaires, c’est le ministre de la Défense. Je n’ai jamais vu au monde un diplomate réunir les militaires d’un pays hôte. Pourquoi permet-on une telle humiliation chez nous?», s’est-elle indignée.
Ces avis ne sont pas partagés par une source proche de l’UDPS qui a déclaré que «les excès de Mike Hammer sont loin d’arranger la plus haute hiérarchie. Connaissant Fatshi, il doit déjà avoir scellé le sort du truculent ambassadeur américain. Il ne faut pas oublier que les USA sortent d’une éprouvante année électorale. Il faut laisser le temps à la nouvelle administration américaine de prendre ses marques. Quant à Mike Hammer, il est clair que ses jours ici sont comptés».
À chacun sa méthode. Il faut espérer que sans être impulsif, le fils du Sphinx de Limete sache comment arriver à ses fins avec tact et efficacité.
JBD