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Israel Mutombo interpelle le politique congolais
Si un notable n’est pas acteur de développement dans son terroir, comment peut-il l’être ailleurs?
Nous avons plusieurs genres de journalisme en RDC. Celui qui me captive, c’est celui qui est engagé pour l’intérêt public, le journalisme de terrain qui interpelle, dénonce et conscientise. L’appel pamphlétaire de sensibilisation et de conscientisation de tous les congolais à”développer chez-vous”, pour dire en lingala “tonga epayi na bino” dans le sens de changer le visage de nos villages d’origine, est noble, mais n’a pas la même résonance à cause de la différence culturelle entre congolais.
Qui peut mieux le faire que les fils et filles même du terroir ? Nous souhaitons tous et toutes voir une réappropriation du développement urbanistique de nos territoires respectifs par les ressortissants. Cependant, certaines provinces accusent du retard. Elles n’ont pas tout simplement investi dans le capital humain pour avoir un bassin suffisant d’ouvriers spécialisés. Il va falloir importer la main-d’œuvre d’autres régions de la RDC pour réaliser certains projets d’infrastructure. L’ancien régime et son administration, sous le règne de Joseph Kabila ont donné une opportunité à tous les notables politiques congolais d’être des vrais acteurs de changement et développement de leurs milieux d’origine.
Force est de constater le fiasco de ce programme. Des fonds d’investissement, en créances, étaient même dédiés aux notables et acteurs politiques pour implanter des activités économiques génératrices du travail. Qu’en est-il devenu ? Le projet de Monsieur Matata Ponyo qui a sû renaître la ville de Kindu de ses cendres est une réussite qui fait la fierté et l’admiration de tous les congolais. Il suscite des controverses mitigées et en même temps crée un malaise. Certains se sentent coupables d’avoir manqué à leur devoir et d’avoir manqué l’opportunité d’implanter des projets structurants pour répondre aux besoins de leurs commettants. Nous devons admettre que le projet de Matata s’est fait sans tambour ni trompette. Tout a été fait dans une relative discrétion et ce site s’est révélé progressivement à tous les congolais. La population de Kindu avait adopté ce projet pour renforcer sa capacité de visibilité touristique en RDC. Les retombées économiques, étant la ville centre attractive vont stimuler un climat d’affaires qui va propulser Kindu comme un carrefour incontournable dans les jours à venir.
On est tous congolais mais pas pareils
Les écarts d’urbanisme et de développement en RDC s’expliquent par le fait de différence culturelle et de l’impact de l’éducation familiale comme valeur inculquée depuis l’enfance. Chez les Bashis, les Bahavus, les bahundes, les nandes, les rwandophones, les batembos, etc, il est inconcevable de construire sur une terre étrangère avant de construire chez-soi, sur la terre ancestrale. Cette tradition donne un certain prestige et rang social à celui qui le réalise. Tousles parents du Kivu éduquent leurs enfants en ce sens. C’est une garantie de protection cadastrale du terrain patrimonial lorsque la terre est souvent objet de dispute. Le Sud-Kivu et le Nord-Kivu sont les provinces les plus denses en terme populationnel. Ça explique le coût élevé de la valeur des terrains.
Au demeurant, personne qui interdit aux congolais de bâtir et de transformer le milieu ancestral. Il est ici question de savoir où les notables congolais placent leurs priorités. Voulons-nous changer notre image en faisant un saut dans la modernité ou voulons-nous conserver la tradition avec ses artefacts du passé. Cette démarche ne peut se faire individuellement mais collectivement dans un processus de conscientisation qui oblige les notables ressortissants à s’investir dans le changement positif de l’image de leur terroir. Lodja n’est pas loin de Kindu. C’est l’autre rive du fleuve Congo. Ils sont frères et gardent des liens culturels très forts. Les notables tetela n’ont pas planifié de redorer l’image de leur milieu d’origine. Ils préfèrent le garder dans son état du passé colonial et s’investir ailleurs. Si un notable n’est pas acteur de développement chez-lui, comment peut-il l’être ailleurs ?
Les tetelas se sont révoltés, les belges sont partis, Lumumba a été assassiné, le temps s’est arrêté dans le Sankuru. Il leur appartient de nous donner une réponse convaincante car ça fait honte de visionner les images de leurs villages dans un état de misérabilisme. Comment comprendre la rhétorique libertaire, autonomiste et nationaliste de Lumumba, si nos frères tetelas ne le témoignent pas dans leur terroir ?
Bâtir le Sankuru, c’est honorer notre héros national. Son combat pour notre liberté ne devrait pas être vain. Où était sa sincérité, sa transparence et sa probité dans sa vision d’un Congo uni et libre si le Sankuru est abandonné dans la misère indescriptible ?
Le même défi s’adresse aux leaders du Grand Kasaïe. Avec autant de ressources très prisées, la région devrait bénéficier d’un investissement spécial pour reconstruire des nouvelles infrastructures qui répondent aux nouvelles normes. Certains peuples ont réussi à conserver leur tradition en y intégrant les éléments de la modernité.
Chez les bazibazibas, les Bahavus et les batembos, il y a cinq décennies on comptait à peine quelques écoles primaires et secondaires. Ces peuples n’ont connu les avantages de la présence des missionnaires que tardivement. Ils n’ont pas demandé à Mobutu, ni à qui que ce soit de les aider à changer l’image de leur terroir. La tradition leur oblige de bâtir chez-eux d’abord. C’est là qu’on est redevable pour son milieu ancêstral. C’est là le point de départ. Ils disent : “c’est là où se trouve le nombril”.
Les journalistes congolais sont au zénith d’un sursaut patriotique pour montrer aux congolais les bases et les origines des acteurs politiques qui se pavanent à Kinshasa. Cet exercice pédagogique renseigne sur les avantages comparatifs et compétitifs entre les régions ethniques en RDC et l’importance d’avoir un leader qui a une vision et un plan de développement. Mais aussi, il est regrettable de constater que nos institutions occultent des nombreux notables fainéants. En communication, on ne cite pas de noms. Je vous laisse le soin de faire cet exercice dans votre conscience.
Israël Mutombo