Après que l’auditorat général des FARDC (parquet militaire) à Kinshasa ait conclu par un non-lieu et décidé de libérer sans condition la semaine dernière dix jeunes paysans capturés à Lodja et Lomela (Sankuru) et transférés ‘‘manu militari’’ à Kinshasa sur décision du gouverneur de province Joseph-Stéphane Mukumadi, en vue d’y être présentés comme membres d’une «milice armée» active dans cette partie du territoire national, les habitants de la province natale du père de l’indépendance Patrice-Emery Lumumba sont en droit d’attendre des explications de la part du principal instigateur de cet acte qui a failli non seulement faire condamner des innocents mais aussi jeter l’opprobre sur toute une communauté. «Le gouverneur du Sankuru dont les frasques faites d’intrigues, de machinations et d’errements amateuristes dus à un déficit avéré de vision politique plombent depuis 2019 l’émergence de notre province qui vit dans un état comateux depuis son avènement a dépassé les bornes avec cette pantalonnade», tonne à ce sujet un député provincial contacté par nos rédactions au lendemain de la libération des dix jeunes faux miliciens sankurois par la justice militaire.
Arrestations et incarcérations politiquement motivées
Un torrent de protestations indignées avait suivi en septembre 2020 l’arrestation et le transfert sans aucune procédure légale vers Kinshasa de ces jeunes gens raflés dans différentes barrières érigées par des hommes de mains du gouverneur sur quelques routes de desserte agricole des zones rurales de Lodja et de Lomela empruntées par des pauvres hères en quête de maigres ressources générées dans divers marchés par l’échange de leurs produits agro-pastoraux.
Parmi ces victimes du déchaînement d’un esprit manifestement irrationnel figure un mineur. Leur «crime» : être ressortissants d’entités locales d’origine de deux «ennemis» de Mukumadi, le député national Lambert Mende de Lodja (son rival à une élection gouvernorale de 2019 qu’il avait pourtant gagnée sans que ce dernier n’ait soulevé la moindre contestation) et le sénateur Moïse Ekanga de Lomela.
L’inénarrable chef de l’administration provinciale du Sankuru tenait absolument à faire porter la casquette de « chefs de milices armés » (sic !) à ces deux élus. Dans sa fébrilité à écorner leur réputation, il ne s’est point embarrassé de vraisemblance, comme l’indiquent d’autres actions déstabilisatrices systématiques qui accaparent tout son temps au détriment du développement de la province du Sankuru, entraînant dans sa dérive des membres des FARDC dont un officier supérieur zélé et naïf croupit actuellement dans une geôle dans l’attente de son jugement pour faits de meurtre, de tortures et d’arrestations arbitraires et de violation de consigne.
Le point culminant de cette machination politique éhontée aura été cette arrestation des «miliciens du Sankuru» à laquelle Mukumadi avait donné une très large publicité en perdant de vue qu’il démotivait ce faisant les quelques rares investisseurs pouvant s’intérresser à l’entité dont il avait la charge. Ses rapports alarmistes relayés jusqu’au niveau du gouvernement central ont délibérément fait abstraction de la vérité. Une véritable forfaiture. Pourtant, les victimes de ce complot autant que la société civile du Sankuru dirigée par l’avocat Benoît Dandja s’étaient évertués à alerter les autorités sur cette mascarade. En vain.
Pour Me Dandja, tout était parti d’une bagarre entre membres d’une famille du secteur des Olemba, voisin de celui de Kondo-Tshumbe dont Lambert Mende est ressortissant autour d’espaces champêtres constitutifs d’un héritage. «Les échauffourées s’étant soldées par la mort d’un certain Lotahe, membre de la famille en conflit, le dénommé Shomba Omafo, homme de main du gouverneur Mukumadi qui venait de le désigner chef de secteur intérimaire des Olemba envoya un groupe de jeunes incendier des cases et piller des biens dans la localité de Lokenge, en secteur de Kondo-Tshumbe, soi-disant pour venger la mort de Lotahe. Cela a poussé les victimes de ces actes à aller incendier des cases à Tongombele à Olemba. Shomba érigera alors une barrière sur la Route Nationale N°7 à Olemba pour rafler avec des policiers mis à sa disposition sur ordre du gouverneur des passants en provenance ou en partance vers Kondo-Tshumbe. Ce sont ces infortunés qui ont été présentés comme ‘’des miliciens’’. Nguwa Ngando, un des ressortissants de Kondo-Tshumbe pris dans ces rafles est même mort des suites de tortures lui infligées par la bande à Shomba. Huit autres paysans entendus par la Justice Militaire à Lodja sous RMP 0940/BBL/2020 ont été brutalement soustraits à leur juge naturel sur une prétendue injonction de l’Agence nationale des renseignements (ANR) à Kinshasa et transportés vers la capitale par un vol d’Air Kasaï comme «miliciens». Parmi eux se trouvait notamment Osomba Omele, un adolescent de moins de 14 ans. Les huit ont été transférés ensemble avec deux personnes capturées simultanément à Lomela (à 220 Kilomètres de Lodja) une semaine avant ces incidents par le Lieutenant-colonel FARDC Kalala sur ordre de M. Mukumadi», rappelle t-il.
Comment en est t-on arrivé à transformer un banal fait divers (conflit familial) en une «affaire d’Etat» de milice armée discutée le plus sérieusement du monde au cours d’un conseil des ministres ?
Le montage grossier ne visait qu’un objectif : nuire à Lambert Mende et Moïse Ekanga. Tiraillés entre les exigences de l’objectivité élémentaire et le devoir de précaution face à une information aussi préoccupante, les membres du gouvernement ont délibéré sur une pure muflerie. Une commission rogatoire adressée par l’office de l’auditeur général des FARDC à ses démembrements sur place au Sankuru a établi, après des enquêtes approfondies que «les dix jeunes arrêtés en septembre 2020 au Sankuru présentés comme des miliciens ne le sont pas. La justice militaire ne leur reproche rien», à en croire Me Dandja qui a annoncé l’éventualité d’une action téméraire et vexatoire à l’encontre de celui qui les avait illégalement arrêtés et transférés à Kinshasa pour des raisons injustifiées.
Depuis son accession à la tête de la province du Sankuru en 2019, Joseph-Stéphane Mukumadi n’a jamais pris officiellement possession de ses fonctions faute d’avoir présenté son programme d’action devant l’Assemblée provinciale ainsi que l’exige la loi sur la libre administration des provinces en vigueur. Cela na l’a pas empêché de poser par défi des actes de gestion en profitant de la protection de quelques caciques de l’UPDS, le parti présidentiel, auquel il adhéré après son élection.
Depuis lors, la vie institutionnelle dans cette province est dominée par les accusations de détournement de deniers publics, d’outrage à l’Assemblée provinciale et les sommations de démission de la Cour constitutionnelle.
Sa croisade contre Lambert Mende et Moïse Ekanga révèle une fixation qui cache aussi un besoin quasi infantile de notoriété propre aux apprentis autocrates qui ont souvent besoin de se mettre en valeur en exacerbant les tensions avec des acteurs pouvant leur faire ombrage d’une façon ou d’une autre.
Alors qu’au Sankuru le gouvernement provincial ne dispose d’aucun édit budgétaire pour l’année 2021 dans un contexte de crise interinstitutionnelle avec l’Assemblée provinciale, plusieurs observateurs n’ont eu de cesse de dénoncer le harcèlement des membres réels ou supposés des partis politiques autres que celui auquel le gouverneur vient d’adhérer.
On rappelle à ce sujet les actes de torture et autres traitements inhumains et dégradants infligés par Mukumadi et ses affidés notamment à des journalistes de Lodja dénoncés par le ministère des Droits humains du gouvernement central ainsi que les Nations-Unies (BCNUDH) et l’organisation Journaliste en danger (JED) en Août 2020.
A.M.