Depuis la survenance du génocide rwandais en 1994, le pays de milles collines est monté en force au point de devenir une sorte de référence dans la sous-région des grands lacs, même s’il est en même temps la bête noire d’une certaine opinion en RDC notamment.
D’aucuns ne s’expliquent toujours pas comment ce petit pays au passé immédiat très perturbé a pu trouver des ressources pour non seulement renaître de ses cendres après une instabilité chronique ayant culminé dans un génocide, mais aussi mettre au pas l’immense RDC à qui la taille, la densité, les ressources naturelles et la position géostratégique conféraient jusque naguère un statut de leader dans la sous-région. En l’espèce, le Rwanda et la RDC sont un peu comme David et Goliath dont la bible relate le résultat du baroud relevant d’un miracle épique dont la légende fascine les esprits. Un pan du voile sur ce ‘‘miracle’’ du rayonnement dont jouit actuellement le Rwanda dans l’Afrique des grands lacs, voire dans le monde est levé dans un ouvrage de 635 pages publié en 2018 par la canadienne Judi Rever et dont la version française a été publiée en août dernier.
Élu livre de l’année par le Globe and mail au Canada, ce livre a également obtenu les prix Mavis-Gallant et Huguenots society of Canada avant d’être finaliste du prestigieux Hilary Weston prize.
Son auteure est une journaliste indépendante ayant fait carrière à RFI et à l’AFP. Elle est généralement considérée un témoin privilégié des grandes mutations qui ont secoué l’Afrique centrale ces trente dernières années. Après vingt ans d’un travail heuristique méticuleux, Judi Rever réexamine avec lucidité l’histoire du génocide rwandais, en donnant une lecture à contre-pied de celle officielle qu’elle accuse de mettre sous le boisseau la version des survivants hutu et des déserteurs tutsi.
Rever apporte ainsi un éclairage troublant sur le génocide rwandais, mettant par conséquent en lumière le rôle du président Paul Kagame et de ses parrains occidentaux dans la sculpture d’un récit officiel réduit, simpliste, creux et fondamentalement fallacieux à des fins géostratégiques.
De toute évidence, le chef de guerre préféré des occidentaux en Afrique des grands lacs avait besoin d’un mythe fondateur pour être élevé par ses maîtres à penser au rang de shérif de l’Afrique centrale après la disgrâce de Mobutu au début des années 90 après la chute du mur de Berlin qui mit fin à 30 années de guerre froide entre le bloc capitaliste piloté par les États-Unis et le bloc communiste emmené par l’ex-URSS.
L’assassin revient sur le lieu du crime
Cette analyse tombe à pic dans le contexte politique congolais dominé par des interférences débridées d’un diplomate américain en poste à Kinshasa dans les affaires intérieures du pays de Lumumba dont on sait qu’elles sont à la base d’une crise politique majeure dont personne ne peut encore prédire les conséquences.
Selon un proverbe bantou, un enfant qui ne s’intéresse pas à l’histoire de sa famille court le risque d’aller s’approvisionner en viande auprès de l’assassin de son père, risquant ainsi d’acheter un morceau de la chair du disparu.
Parmi les révélations faites par Judi Rever, il y a le fait que Paul Kagame doit son ascension dans la région des grands lacs à un certain Herman Cohen. «Herman Cohen fut secrétaire d’État adjoint pour les affaires africaines de 1989 à 1993, à l’époque où le FPR gagnait en puissance grâce à l’Ouganda et à ses principaux mécènes militaires au premier rang desquels les États-Unis. C’est sous la supervision de Cohen que Kagame, alors officier au sein de l’armée ougandaise, bénéficia d’un stage d’entraînement militaire très déterminant aux États-Unis», écrit-elle. Déjà à l’époque, poursuit-elle, «l’ambassadeur Cohen plaidait publiquement en faveur d’un accès officiel du Rwanda dans l’Est de la RDC». Se confiant à l’auteure, alors correspondante de RFI, Cohen avait anticipé toute la tragédie sécuritaire que vivent depuis un quart de siècle les populations de l’Est de la RDC en déclarant que «Kagame continuerait de jouer les prédateurs dans la région jusqu’à ce qu’il obtienne officiellement une partie des gisements des minerais des provinces du Kivu».
Un véritable affront à la souveraineté du Congo-Kinshasa et aux milliers de victimes de multiples guerres provoquées à l’intérieur des frontières congolaises par le Rwanda post-génocide. Aligné sur la politique étrangère des USA, l’ancien président français Nicolas Sarkozy était allé loin dans sa volonté de renouer le dialogue avec le Rwanda en évoquant en 2009 devant le corps diplomatique accrédité en France le spectre de la balkanisation du Congo au profit du Rwanda. Pince-sans-rire, il avait à ce sujet exhorté le Congo à envisager d’accorder une partie de ses richesses au Rwanda, alors qu’au pays de Lumumba, on se plaignait d’avoir été maintes fois envahi militairement par ce voisin qui y a perpétré moult crimes de guerre et crimes contre l’humanité non pris en charge par la justice internationale. Le malheur de la RDC selon Sarkozy résiderait dans sa «superficie immense et l’organisation étrange de ses richesses frontalières».
Et Rever de poursuivre: «En 2012, Peter Pham qui était directeur du centre Afrique du conseil de l’Atlantique, plaida en faveur de la scission du pays et légitima sans états d’âme les agissements meurtriers de la milice de Paul Kagame- la M23». Elle s’indigne qu’en 2018, le même Pham soit devenu «représentant spécial des États-Unis dans la région des grands lacs» et fait remarquer que «les États-Unis exercent constamment leur influence sur le conseil de sécurité afin de prémunir Kagame de toute poursuite au Tribunal Pénal International pour le Rwanda et dissuadent la Cour Pénale Internationale – financée par Washington – de l’inculper pour des crimes commis au Congo, pays où le Rwanda a pourtant déployé une succession de milices (RCD, CNDP, M23) qui ont commis meurtres, viols et pillages».
Sous Sarkozy, des responsables français de premier rang soutenaient une politique de «migration des rwandais vers le Congo afin de diminuer la pression démographique qui pèse sur le Rwanda».
L’on se souviendra qu’au cours d’une itinérance pastorale à l’Est de la RDC l’année dernière, le cardinal Fridolin Ambongo avait dénoncé des velléités d’épuration des populations locales par des forces négatives et la transplantation des populations rwandaises dans les zones frontalières ainsi dépeuplées.
Le nerf de la guerre
Selon la journaliste canadienne, à la suite des États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Belgique et le Canada «avaient des raisons de soutenir l’homme fort du Rwanda (…). Après tout, Kagame avait effectivement rempli sa part de contrat consistant à pratiquer une ouverture à travers laquelle l’Occident pouvait s’engouffrer pour réaliser du profit au Congo. Ce dont le groupe Bolloré a su profiter comme beaucoup d’autres entreprises occidentales. SDV, société de transport et de logistique et filiale du groupe Bolloré, fait partie du réseau de sociétés engagées dans l’exploitation du coltan et le maintien de la guerre au Congo. Des enquêteurs des Nations-Unies ont découvert que la société SDV était impliquée dans le transport de milliers de tonnes de coltan provenant du Congo, qui étaient acheminés de Kigali vers Mombasa et Dar-es-Salam, d’où ils étaient ensuite exportés par une autre société française, Safmarines, vers Anvers, Ostende ou la Sillicone Valley».
Alternance confisquée
En prenant en compte les révélations de Judi Rever faites in tempore non suspecto, il y a de quoi s’inquiéter de la tournure que prend l’alternance démocratique obtenue de haute lutte le 23 janvier 2019, surtout depuis qu’il est clairement établi que les affaires domestiques congolaises sont téléguidées par quelques néolibéraux occidentaux appartenant à la même veine idéologique que le nonagénaire Herman Cohen qui, même à la retraite, se montre invariablement solidaire de l’activisme débridé de Mike Hammer à Kinshasa.
Il est à craindre que le président de la RDC Félix Tshisekedi, pris en étau par cette pègre des lobbyiste américains mercantilistes, n’ait pas encore apprécié à l’aune congolaise la perfidie de cette engeance qui fonctionne comme un pilier décomplexé de la principauté militaire rwandaise qu’elle soutient dans tous ses projets de déstabilisation et de pourrissement de la situation sécuritaire à l’Est du pays pour mieux faire prospérer la razzia des ressources naturelles congolaises. Ces suprématistes occidentaux passionnés que certains compatriotes prennent pour des parangons de vertus sont en réalité les metteurs en scène du plan de la balkanisation du Congo pour des raisons susmentionnées.
Le ver est dans le fruit
En se trompant d’ennemi, le pouvoir actuel s’est aussi trompé d’amis. Ce n’est pas pour rien que Félix Tshisekedi a actuellement la cote au Rwanda où il est même affublé du surnom de «Gisekiramwanzi».
A en croire les révélations de Judi Rever, il y a à cet égard peu de clairvoyance politique et géostratégique dans la gouvernance de Fatshi et cela peut s’avérer fatal pour la nation congolaise toute entière.
JBD