Saisie depuis plus d’un mois par des requêtes en interprétation des articles 79 et 158 de la constitution par 22 sénateurs et 203 députés nationaux ainsi que des articles 64, 79, 81, 82, 90, 91, 152, 158 et 192 de la constitution par le 1er ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba, la haute Cour a foulé aux pieds l’article 55 de la loi organique portant son organisation et son fonctionnement qui lui fait obligation de se prononcer sous 30 jours. «Cette absence de réaction prouve que la Cour est empêchée de dire le droit », estime un chroniqueur judiciaire qui y voit l’évidence d’une justice aux ordres depuis l’avènement au pouvoir de Félix Tshisekedi.
Pour mémoire, ces sénateurs, députés nationaux et le 1er ministre avaient saisi la Cour constitutionnelle au sujet de quelques dispositions de la Loi fondamentale concernant des ordonnances présidentielles d’organisation judiciaire du 17 juillet 2020. Ils s’opposaient aussi au forcing ayant emmené à la présentation à la nation puis à la réception par le seul président de la République du serment des deux sur trois juges nommés selon eux en violation de la constitution. Un point de vue soutenu par des académiciens de renom comme les professeurs Raphaël Nyabirungu, Théodore Ngoy, Willy Makiashi de l’Université de Kinshasa et Ngoto Ngoie Ngalingi de l’Université de Kisangani.
La veille de cette prestation de serment chahutée des nouveaux juges constitutionnels, 22 sénateurs avait saisi la Cour constitutionnelle pour l’interprétation de l’article 158 de la Constitution. «Depuis quelques jours, deux ordonnances ont été signées par le chef de l’Etat notamment celle qui porte nomination de deux juges à la Cour constitutionnelle et celle qui porte affectation de deux juges constitutionnels à la Cour de Cassation. Devant cette situation, nous, sénateurs, avons pensé qu’il fallait saisir la Cour constitutionnelle, qui est l’organe habilité à interpréter la Constitution, pour nous donner la portée exacte de cet article de la Constitution», avait déclaré Jean Bakomito Gambu, président de la Commission PAJ du Sénat, avant de préciser: «Nous voulons savoir si les ordonnances n°20/108 et n°20/116 sont conformes à l’esprit et à la lettre de l’article 158 de la Constitution».
24 heures plus tard, 203 députés nationaux ont à leur tour attaqué ces ordonnances. Dans leur requête, ils sollicitaient eux aussi l’interprétation de l’article 158 de la constitution mais aussi la surséance de la cérémonie de prestation de serment de deux juges sur les trois programmés dès le lendemain au palais du peuple. «Pour nous, ces ordonnances ont notoirement violé la constitution en foi de quoi nous saisissons la Cour constitutionnelle afin qu’elle puisse élucider la question de leur conformité à l’article 158 de la constitution. En attendant la suite réservée à notre saisine, nous demandons que la Cour constitutionnelle veuille surseoir la cérémonie de prestation de serment de ces juges», avait alors déclaré le Dr. Didi Manara, président du groupe parlementaire PPRD, après le dépôt de la requête.
Par la suite, c’est le 1er ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba qui s’en était remis à la Cour constitutionnelle pour obtenir une interprétation éclairée des articles 64, 79, 81, 82, 90, 91, 152, 158 et 192 de la constitution. En cause, le contreseing du vice-1er ministre, ministre de l’Intérieur, l’UDPS Gilbert Kankonde, sur plus d’une centaine d’ordonnances présidentielles promulguées par le président de la République le 17 juillet 2020. En effet, le ministre Kankonde s’était permis de contresigner des ordonnances présidentielles en invoquant l’intérim qu’il assurait du 1er ministre qui effectuait une courte mission à Lubumbashi (Haut-Katanga). Revenu de Lubumbashi, le 1er ministre Ilunga a pris le temps de digérer cette centaine de nominations opérées à son insu avant de contrattaquer en précisant dans un communiqué les termes de l’intérim confié au vice 1er ministre, ministre de l’Intérieur. «Par sa lettre du 16 juillet 2020, le 1er ministre a conféré l’intérim au vice-1er ministre, ministre de l’Intérieur, Sécurité et Affaires coutumières, tout en circonscrivant sa portée, à savoir : veiller à ce que tout courrier destiné au 1er ministre soit réceptionné à son cabinet avant toute réorientation; le joindre en cas de nécessité. Au courant de la journée du vendredi 17 juillet 2020, alors que le Conseil des ministres se tenait, plusieurs ordonnances signées par le président de la République et contresignées, pour le compte du 1er Ministre, par le Vice-1er ministre, ministre de l’Intérieur, Sécurité et Affaires coutumières, ont été rendues publiques sur la Radiotélévision nationale, à la grande surprise du 1er ministre, sans que l’intérimaire ne l’en ait informé préalablement», pouvait-on lire dans ce texte diffusé par le porte-parole de la primature. Qui expliquait ensuite que «le contreseing est un acte de très haute portée politique qui relève de la compétence exclusive attachée à la qualité de 1er ministre et qui ne peut se concevoir dans le cadre de l’intérim tel que circonscrit dans la lettre qui l’a conféré au vice-1er ministre, ministre de l’Intérieur, Sécurité et Affaires coutumières. S’agissant d’un gouvernement de coalition, le contreseing du 1er ministre constitue, au-delà de sa nature juridique, le gage des équilibres des pouvoirs entre le président de la République et le 1er ministre qui est l’émanation de l’Assemblée nationale».
30 jours plus tard, l’exaspération accentuée par les tensions entre partenaires de la coalition FCC-CACH dans le contexte des consultations initiées unilatéralement le 2 novembre par le président Félix Tshisekedi, chef de file de CACH à l’insu du FCC, majoritaire au parlement, se sont accrues. Au point que d’aucuns s’indignent du silence prolongé de la Cour constitutionnelle qui frôle le déni de justice de la part de cette haute juridiction manifestement neutralisée par des interférences politiciennes.
Les requêtes des élus nationaux et du chef du gouvernement sont restées lettre morte alors que selon l’article 55 de la loi organique qui régit l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle stipule que «la Cour statue dans un délai de 30 jours à compter du dépôt du recours. En cas d’urgence, à la demande du gouvernement, ce délai est ramené à 8 jours». L’alinéa 3 du même article expose les juges constitutionnels à des sanctions en cas de dépassement de ce délai légal sans motif valable : «Sauf cas de force majeure dûment motivé, le dépassement de ces délais entraîne les sanctions prévues par le statut des membres de la Cour».
Le silence de la haute juridiction est une violation du serment prêté par ses membres devant Dieu et la Nation de « respecter la Constitution et les Lois de la République ».
Une justice aux ordres
En RDC, l’application des lois et l’exécution des décisions judiciaires posent un sérieux problème. On est encore loin, très loin, de cet État de droit tant vanté par le chef de l’Etat. Même les juges pourtant protégés par leur inamovibilité continuent à briller par un esprit de soumission aux injonctions politiciennes alors que la Constitution ne les soumet qu’à «la seule autorité de la loi». Seules les décisions judiciaires qui arrangent le régime sont appliquées à quelques exceptions près. « De plus en plus, la justice est rendue à la tête du justiciable», déplore un parlementaire écœuré par tant d’inconséquence.
Plusieurs scandales de corruption avérée impliquant des dirigeants congolais font rarement l’objet d’enquêtes et de procès. Des membres de la mouvance au pouvoir tiennent régulièrement et impunément des discours violents allant jusqu’à des appels au meurtre pendant que les prisons se remplissent de personnes n’appartenant pas à ladite mouvance qui sont embastillés sous l’inculpation d’outrage au chef de l’Etat simplement pour avoir osé réclamer le respect de la constitution. A l’évidence, les lois s’appliquent à la carte par une justice influencée et orientée, aux ordres comme sous la deuxième République de triste mémoire où cette institution se glorifiait d’accompagner le pouvoir en place dans ses pires dérives.
La timidité des juges dans le traitement des dossiers des milices de Kasumbalesa et de Kingabwa réputées proches de l’UDPS ou encore des injures et menaces distribuées à tous vents par le duo Kabund-Kabuya de ce parti comparée à leur extrême célérité dans les affaires Maggy et Milinganyo en est une belle illustration.
A.M