Aujourd’hui plus qu’hier, beaucoup considèrent la profession de foi du président Félix Tshisekedi contre la corruption et l’impunité comme du pipeau. Ces antivaleurs étaient les éléments centraux de sa stratégie annoncée le 29 juin 2020, dans son discours à l’occasion des 60 ans d’indépendance de la RDC. «En soixante années, nous avons laissé notre classe politique se transformer en une sorte de maffia, et nous en avons fait le principal modèle de réussite pour cette jeunesse talentueuse, pleine d’énergie et avide de savoir (…). Il est temps de changer de paradigme», avait-il martelé.
Leurre ou bluff ?
Le 18 mars 2019 déjà, le président avait agréablement surpris l’opinion en ordonnant la suspension de l’installation des sénateurs nouvellement élus et la tenue de l’élection des gouverneurs de provinces suite à des rumeurs de corruption. Avant de faire marche arrière non sans avoir demandé au procureur général près la Cour de cassation de diligenter des enquêtes contre les corrupteurs et les corrompus lors des élections des sénateurs mais aucun cas n’a été établi à charge de qui que ce soit.
Quatre mois après cette saillie vertueuse, un lanceur d’alertes de la Société civile du Sankuru dénonçait une interférence de la présidence de la République dans l’élection des gouverneur et vice-gouverneur de cette province : « le 19 juillet 2019, l’élection à Lusambo a été retardée de plus de trois heures pour attendre l’atterrissage d’un avion spécial affrété par la présidence de la République pour amener des fonds destinés à corrompre les députés provinciaux très majoritairement FCC pour les pousser à élire le candidat de l’UDPS Joseph-Stéphane Mukumadi», avait-il déclaré.
Des sources à Matadi estiment que les mêmes méthodes de corruption ont été récemment à la base de la crise interinstitutionnelle dans le Kongo-Central où le parti présidentiel aurait ‘‘acheté’’ les consciences d’élus provinciaux avec la complicité du gouverneur déchu Atou Matubuana, maintenu en place par le ministre national de l’Intérieur, l’UDPS Gilbert Kankonde, en dépit d’une décision judiciaire confirmant sa déchéance. Le Dr. Anatole Matusila, président de l’Assemblée provinciale centrale kongolaise qui tenait à faire exécuter la décision de la plénière sera limogé par une majorité de ses collègues en faveur du député apparenté UDPS Jean Claude Mvuemba.
Il y a quelques jours, le président de la République a pratiquement annoncé la fin de la coalition parlementaire majoritaire qu’il avait créée avec son prédécesseur Joseph Kabila et initié des «consultations» du genre de celles entreprises par le défunt Maréchal Mobutu en 1990. Son but était de changer la majorité à l’Assemblée nationale et faire élire son lieutenant Jean Marc Kabund au perchoir d’où il avait été évincé par une motion de déchéance. Des consultations chaleureusement saluées par de nombreux non-élus ainsi que de partis politiques et associations sans aucun député à la chambre basse du parlement. «A moins de se livrer à un véritable coup d’Etat aux conséquences imprévisibles, on ne voit pas bien comment le président s’y prendra à travers ces consultations improvisées sur un coup de colère pour qu’aboutisse le projet de pouvoir absolu que lui font miroiter un quarteron de bonimenteurs qui lui font lâcher la proie pour l’ombre», s’interroge un analyste s’exprimant sous le sceau de l’anonymat.
La plupart des observateurs notent que ce plan repose en fait sur l’érection pure et simple de la corruption au niveau d’une prestation sociale et politique ordinaire dans le pays. «Tout en déclarant faire la guerre à la corruption, Fatshi favorise paradoxalement la promotion d’une classe de politicailleurs affairistes. C’est très grave pour l’avenir de notre peuple parce que la corruption est une menace très sérieuse pour la stabilité et l’émergence de la RDC. Elle affaiblit la démocratie et constitue un handicap au développement politique, diminue la confiance du peuple aux institutions et aux dirigeants et détruit irrémédiablement la légitimité d la gouvernance», écrit Paulo Utima, un chercheur indépendant de Kinshasa qui cite parmi les autres conséquences du fléau de la corruption la difficulté de mettre en œuvre des politiques publiques de développement efficaces, la mauvaise réputation du pays dans des baromètres comme le ‘’doing business’’ ainsi qu’un encanaillement de la sphère politico-institutionnelle pouvant conduire jusqu’à la disparition d’un pays dont on sait qu’il est toujours menacé de balkanisation.
La tentative débridée du camp présidentiel de «se payer» à tout prix une nouvelle majorité parlementaire en pleine mandature rappelle à maints égards la dernière partie des années Mobutu pendant laquelle le ‘‘léopard’’ se mit en tête de redistribuer les cartes à sa guise en se délestant de temps en temps de certains postes au niveau du gouvernement (ministères) et de l’administration publique (territoriale, diplomatie et portefeuille). Problème: Félix Tshisekedi ne dispose pas de grand chose à offrir. Sauf quelques véhicules 4×4 de luxe et des billets de banques puisés dans un Trésor public déjà fort mal en point que des caciques de l’UDPS brandissent sans gêne à des députés nationaux dont ils attendent le ralliement. Une corruption à ciel ouvert qui fait mentir les intentions louables attribuées naguère au chef de l’État rd congolais et qui érode son capital confiance. La RDC atteint de la sorte un niveau de corruption, au sens de corrosion, des pouvoirs publics qui risque de déstructurer pour longtemps la charpente institutionnelle du pays.
Le règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui verrouille les députés nationaux dans leurs groupes parlementaires respectifs jusqu’à la fin de la législature réduit la marge de manœuvre de cette offensive. Jusqu’à leur révélation par la presse, les violations de la constitution à travers les ordonnances présidentielles du 17 juillet 2020 portant nominations dans la magistrature n’avaient pas ému outre mesure une classe politique silencieuse jusqu’à la prestation de serment des 3 juges le mois dernier au palais du peuple aux allures d’un meeting politique.
Le président lui-même ne peut ignorer la précarité de cette manœuvre. Mais comme aiment à le dire les bonimenteurs irresponsables, le chef ne s’occupe pas de détails. Comme si les incompatibilités prévues expressément dans la constitution en étaient. Pourtant, comme l’écrivait Chesterton, «une idée fausse ne cesse pas d’être fausse parce qu’elle est à la mode ».
Vendre du vent !
«Même s’il préside régulièrement le conseil des ministres, le chef de l’Etat n’a à proprement parler ni postes au gouvernement, ni dans la territoriale encore moins la diplomatie ou les entreprises et services publics avec lesquels appâter des chercheurs d’emplois. Son cabinet est déjà pléthorique. C’est un roi nu qui risque de le demeurer même après les consultations qu’il vient d’initier», estime le politologue Kikaya bin Karubi dans son blog.
Malgré cela, des Congolais sans mandat populaire s’érigent soudain en «leaders politiques et sociaux les plus représentatifs» desquels le chef de l’Etat veut obtenir les opinions «à l’effet de créer une union sacrée de la Nation». Ils attendent fébrilement des maroquins et des prébendes pour eux-mêmes ou leurs proches. C’est la déconvenue qui les attend. Divers groupes de la société civile dont la puissante CENCO ont déjà dit leur opposition à des concertations qui auraient pour finalité le partage du pouvoir. Que va-t-il dès lors se passer? La réponse est dans la promesse de «décisions qui n’exclueront aucun cas de figure » brandie par le président dans son discours.
En s’en tenant à la constitution, Fatshi a le choix entre une dissolution à la hussarde de l’Assemblée nationale et une requalification sur fond de corruption de la Majorité parlementaire en sa faveur. Or, la dissolution de la chambre basse est strictement conditionnée par «une crise persistante entre le gouvernement et l’Assemblée nationale». Le chef de l’Etat, bien que présidant le Conseil des ministres (réunion des institutions président de la République et gouvernement), n’est pas pour autant membre du gouvernement et ne peut donc pas s’y substituer pour se saisir lui-même en excipant d’une prétendue crise inexistante entre cette institution et l’Assemblée nationale dont elle est issue.
Il lui reste la requalification de la majorité parlementaire par le débauchage au moyen de la corruption d’élus FCC. L’exercice est périlleux, car au regard de l’article 54 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale approuvé par la Cour constitutionnelle, «un député ne peut faire partie que d’un seul groupe parlementaire. Il exerce ce droit une fois au cours de la législature. Un député qui quitte son groupe parlementaire perd le droit de s’affilier à un autre groupe (…). Les groupes parlementaires sont constitués pour la durée de la législature…». Garant de l’application de la constitution et des lois, le président ne peut que s’y conformer.
Unité et loyauté comme parade à la corruption
Alors que la crise bat son plein dans la coalition FCC-CACH, 338 députés nationaux sur 500 et quelques 80 sénateurs sur 109 se sont réunis jeudi 29 octobre 2020 à Kingakati, autour de l’ancien président Joseph Kabila pour réitérer leur appartennance à la majorité (FCC). «Nous députés nationaux et sénateurs membres du FCC saisissons cette opportunité pour vous réitérer notre soutien, fidélité et attachement indéfectible en ce moment crucial de l’histoire de notre pays», a déclaré une députée au nom de ses collègues sous un tonnerre d’applaudissements.
Engagés à respecter scrupuleusement, les idéaux prônés par leur famille politique pour le bien-être du peuple congolais et la sauvegarde de la paix, de l’unité nationale, les députés nationaux que les radicaux de l’UDPS tenaient à lyncher il y a encore quelques jours («Boma député tika policier», traduction : tuez le député et laissez vivre le policier) sont soudain devenus des stars courtisées par les recruteurs du parti de la 10ème rue, Limete qui promettent monts et merveilles à ceux qui traverseraient la rue.
Selon Kabila, la crise est due au «non-respect» par Tshisekedi de l’accord qui les lie et surtout de la constitution. «On ne partage pas les mêmes valeurs avec nos amis du CACH. Le respect de la parole, par exemple. Quand le FCC ou moi la donnons, c’est une parole d’honneur. Ou encore le respect des textes. Quand on signe un accord, on va jusqu’au bout. Or, ce n’est pas le cas avec le CACH. Le jour de la signature de l’accord, j’avais dit au président Félix Tshisekedi que nous avions presque la même configuration qu’en 1960 et qu’il nous fallait beaucoup de sagesse. Il faut éviter cette tentation de vouloir décapiter la majorité. Il m’a répondu : ‘‘Monsieur le président, ne vous en faites pas, nous allons bien travailler pour le pays, et tout va bien se passer’’», a témoigné JKK.
Alfred Mote