Le 25 juin 2007, à peine élu pour un premier mandat en tant que président de la République, Joseph Kabila Kabange, alors âgé seulement de 36 ans, déclarait ce qui suit dans une interview à l’hebdomadaire parisien Jeune Afrique : «J’ai donné ma parole d’honneur en promulguant cette Constitution. Je n’y toucherai donc pas. Le pouvoir use, il faut savoir s’arrêter. Je vous donne ma parole d’officier». Arrivé au pouvoir six ans plus tôt dans des conditions particulièrement dramatiques (il avait été appelé par l’Assemblée constituante et le gouvernement de l’époque à succéder à son père Mzee Laurent-Désiré Kabila, assassiné dans son bureau de travail au palais de marbre de Kinshasa-Ngaliema alors que lui supervisait le front Sud-Est de riposte à la guerre d’agression contre la RDC) Joseph Kabila avait pris ses responsabilités devant l’histoire à 29 ans. Il était parvenu entretemps à réunifier le pays, à faire élaborer un projet de constitution par l’Assemblée nationale et le Sénat de la transition après une très vaste consultation des Congolaises et des Congolais de l’intérieur du pays et de la diaspora et à organiser un référendum populaire qui a permis au pays de se doter d’une constitution dûment adoptée à 87% par le corps électoral de la RDC. La promulgation le 16 février 2006 de la constitution en vigueur aujourd’hui dans le pays a ouvert ainsi la voie à une nouvelle ère de l’Etat de droit démocratique dont rêvaient les Congolais depuis toujours.
Toutefois les textes juridiques même constitutionnels, ne valent que par la dévotion que leur vouent les membres de la collectivité nationale, en commençant par les animateurs des institutions nationales, au sommet desquelles figure le président de la République. Avant l’échéance de 2006, les différents textes constitutionnels de la RDC n’ont jamais gagné leurs lettres de noblesse tellement leur application était sujet à caution. La consistance dont peut se prévaloir actuellement la pyramide des lois en RDC où l’expression «Etat de droit» a désormais un sens tient principalement au fait que le quatrième président de la République, principal initiateur du processus démocratique, s’est soigneusement gardé de saborder ledit processus en violant la constitution. À chaque fois qu’il consentait à sortir du silence qu’il affectionne comme mode de vie, Kabila répétait qu’il ne toucherait jamais aux dispositions intangibles de la constitution de son pays, particulièrement à celle se rapportant au nombre des mandats présidentiels.
Turbulences préélectorales
Ils n’étaient pas nombreux à croire Joseph Kabila sur parole surtout lorsqu’il devint évident que pour diverses raisons objectives, l’élection présidentielle prévue pour se tenir en 2016 ne pouvait pas matériellement être organisée.
Après avoir subi des secousses de la crise financière internationale qui avait dévissé toutes les places boursières de la planète en 2010 à la suite de l’effondrement du marché immobilier aux États-Unis, la RDC avait tout de même organisé très laborieusement des élections en 2011 malgré les réserves de la communauté internationale (occidentale) qui avait fait pression pour imposer un report du scrutin.
Après la publication des résultats, des rébellions (M23, CNDP) par procuration font leur apparition à l’Est du pays, obligeant le gouvernement à consentir un effort de guerre éreintant qui impacte négativement des pans entiers des crédits budgétaires dans le difficile contexte postérieur à la crise financière mondiale qui a laminé une économique nationale extravertie. Pire, les ennuis de santé du nouveau président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), l’abbé Apollinaire Malumalu, un prêtre catholique du diocèse de Beni-Butembo qui venait de succéder au pasteur protestant méthodiste Daniel Ngoy Mulunda et la difficulté d’arriver à un consensus avec l’opposition pour parvenir à une réforme de la centrale électorale pourtant sollicitée par la même opposition créait une situation proche du chaos. Fut alors adopté, après d’âpres négociations, le principe d’un bureau et d’une plénière afin de garantir la neutralité de la commission.
Entre temps, la loi relative au recensement de la population proposée par la majorité présidentielle en prévision des élections à venir était véhémentement rejetée par l’opposition qui avait rameuté la rue du 17 au 21 janvier 2015. L’Office national d’identification de la population (ONIP), créée pour cette identification, ne connut qu’une existence bien éphémère alors que le pays accumulait des millions de nouveaux majeurs n’ayant pas pu obtenir leurs cartes d’électeurs lors du dernier enrôlement des électeurs qui remontait à 2011. Il fallait une nouvelle logistique pour remettre à jour le fichier électoral avant d’organiser un nouveau processus électoral crédible.
Dialogues sur fond de radicalisation de l’opposition
Conscient de toutes ces difficultés dont l’incidence était préjudiciable au respect des délais constitutionnels, Joseph Kabila avait réquisitionné les forces vives du pays pour réfléchir à la possibilité de trouver des solutions consensuelles sans pour autant faire dérailler une démocratie balbutiante qui avait besoin de se raffermir. Malgré la radicalisation de l’opposition et d’une certaine société civile qui avait succombé aux charmes des néolibéraux occidentaux qui leur faisaient miroiter les ‘’délices’’ (sic !) d’une révolution orange (changement brusque de régime grâce à une insurrection populaire), Joseph Kabila a préservé son pays d’une chienlit dont on a vu les conséquences notamment en Lybie en manœuvrant à la fois avec tact, doigté et fermeté. D’abord en prenant l’initiative de concertations nationales présidées sous l’égide de l’Union Africaine par l’ancien 1er ministre togolais Edem Kodjo, puis d’un dialogue dont il confia la médiation à l’épiscopat congolais dont beaucoup de membres ne le portaient pas en haute estime et qui eut lieu au centre interdiocésain de Kinshasa où un accord dit de la Saint Sylvestre fut obtenu. Cet accord a ouvert le pays à une transition préélectorale.
Aucun prétexte n’avait eu raison de la détermination de Kabila à respecter la Constitution dont il avait été le principal architecte. Il surprendra l’Afrique et le monde entier en renonçant à se représenter au scrutin de 2018 pour un troisième mandat et, cerise sur le gâteau, en concédant la défaite d’Emmanuel Ramazani Shadary, son dauphin, face au leader de l’opposition radicale, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo avec lequel, de bonne grâce il procédera à la remise-reprise le 24 janvier 2019, inaugurant une première alternance « civilisée et pacifique » au sommet de l’Etat entre un chef de l’État sortant et son successeur.
Ouatara et Condé dans la sauce
Pour réaliser la portée de l’acte posé par Joseph Kabila qui a préféré respecter au pied de la lettre la constitution de son pays dans un contexte des plus hostiles à seulement 47 ans, il faut analyser les tergiversations de certains de ses aînés que l’on croyait autrement plus assagis et mieux disposés par conséquent à honorer leurs engagements. Très proches des moralisateurs occidentaux, Paul Kagamé, homme fort du Rwanda depuis le génocide de 1994, a tripatouillé sans états d’âme la constitution de son pays pour se maintenir au pouvoir jusqu’en 2036 au moins. Son voisin, le presque octogénaire président ougandais Yoweri Kaguta Museveni n’a plus d’obstacles pour rester à vie au pouvoir, tout comme le Congolais Denis Sassou Ngouesso et le Tchadien Idriss Déby Itno.
En Côté d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara, formaté par les institutions policées de Bretton Woods dans le droit fil de la bien-pensance occidentale a souvent été vendu au continent noir comme le modèle par excellence de la gouvernance. Les maîtres autoproclamés du monde s’étaient même laissés aller à déployer l’armée française pour l’imposer au pouvoir à l’issue d’un contentieux électoral qui l’avait renvoyé dos à dos avec son rival Laurent Gbagbo…
Les grands médias ‘‘globaux’’ d’habitude dithyrambiques à l’endroit de celui qu’ils encensaient comme l’étoile de la lagune ébrié restent muets après qu’il eut annoncé jeudi 06 août 2020 son ambition de fouler aux pieds les prescrits constitutionnels et de briguer un troisième mandat «par devoir patriotique suite au décès de mon ‘’fils’’ Amadou Gon Coulibaly».
Dans la Guinée voisine, le président Alpha Condé, professeur d’universités et socialiste bon teint, qui, lorsqu’il présidait aux destinées de l’Union Africaine avait hurlé avec les loups en faisant carrément de Joseph Kabila son souffre-douleur, le pressant sans mettre des gants de s’engager hors-délai à ne plus candidater une troisième fois comme si l’article 220 de la constitution de la RDC ne suffisait pas à le convaincre, s’est dit quant à lui ‘‘satisfait’’ du fait que son parti l’ait encouragé à briguer un troisième mandat malgré ses 82 ans d’âge.
Les lauriers mérités de Joseph Kabila et de la RDC
Comme on peut s’en apercevoir, il n’est pas facile de quitter le pouvoir sous les tropiques africaines. Les intrusions intempestives des anciennes métropoles dans les affaires intérieures des États africains après les indépendances poussent nombre de détenteurs du pouvoir d’État généralement à la solde des intérêts étrangers à craindre le retour à une vie normale. Pendant longtemps, les démocraties de l’hémisphère Nord ont fait prospérer des dictatures au Sud afin de garantir l’approvisionnement à vil prix de leurs industries en matières premières. Il fallait donc être en harmonie avec les aspirations profondes de son peuple pour risquer la cession de l’impérium de son vivant à quelqu’un d’autre. Julius Nyerere de la Tanzanie, Kenneth Kaunda de la Zambie, Léopold Sédar Senghor du Sénégal, Jerry Rawlings du Ghana, Nelson Mandela d’Afrique du Sud, Nicéphore Soglo du Bénin sont entrés dans l’histoire par la grande porte pour avoir institutionnalisé l’alternance démocratique dans leurs pays respectifs.
En République Démocratique du Congo où cet exemple d’alternance démocratique et du respect des délais constitutionnels existe grâce à l’impulsion personnelle de Joseph Kabila, on ne peut que se désoler d’entendre des responsables attitrés ou des alliés du parti du président Tshisekedi, bénéficiaire d’une alternance démocratique qui fait l’admiration de tous envisager le renvoi aux calendes grecques des élections pour une prolongation inconstitutionnelle de leur idole au pouvoir 18 mois seulement après son avènement sans se faire rappeler à l’ordre par l’intéressé. Des nuées de flagorneurs en quête de positionnement dans le landerneau politique congolais s’adonnent à cœur joie, s’appuyant tantôt sur la pandémie de la Covid-19, tantôt sur le rétrécissement des moyens budgétaires de l’Etat ou encore l’insécurité à l’Est comme cas de force majeur devant justifier la violation de la constitution. Toute honte bue, Basile Olongo, un ex-transfuge de l’UDPS au FCC qu’il a quitté après l’alternance de janvier 2019 pour lorgner à nouveau du côté de l’UDPS a même proposé un nouveau délai du premier mandat de l’actuel chef de l’État congolais. «Les élections valables et crédibles ne peuvent être organisées qu’en 2030. Pendant ce temps le président de la République doit rester en fonction jusqu’à la prestation de serment d’un nouveau président de la République élu », a-t-il claironné pince sans rires. On attend de savoir ce que pense le président lui-même de toute cette smala.
En attendant, ceux qui, à l’instar de Joseph Kabila ont su raison garder malgré l’ivresse du pouvoir, méritent les hommages dans la mesure où ils ont su s’élever au-dessus des contingences égocentriques et montrer aux générations futures le vrai exemple à suivre.
JBD avec Le Maximum