De retour à Kinshasa après un séjour de 4 jours à Lubumbashi, le premier ministre de la République Démocratique du Congo, Sylvestre Ilunga Ilunkamba vient de débouter le contreseing de son Adjoint, Gilbert Kankonde Malamba posé sur les ordonnances présidentielles portant notamment nominations des officiers généraux de l’armée, la magistrature et autres structures de l’État.
En effet, dans une déclaration signée par son directeur de la communication, Sylvestre Ilunga Ilunkamba a rappelé au Vice-premier ministre de l’intérieur que l’intérim lui laissé par lui ne pouvait permettre à ce dernier d’apposer sa signature, à son nom, sur des documents aussi stratégiques que les ordonnances sans son aval.
« Le contreseing est un acte de très haute portée politique et juridique qui relève de la compétence exclusive attachée à la personne du premier ministre et qui ne peut se concevoir dans le cadre de l’intérim… », tonne le chef du Gouvernement central qui se propose de rencontrer le chef de l’État, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo « pour tirer au clair cette situation préoccupante ».
Le FCC au chevet de Ilukamba
Après la déclaration du premier ministre, Sylvestre Ilunkamba au sujet des ordonnances contresignées par le vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur, Sécurité et Affaires coutumières, Gilbert Kankonde, c’est le tour du Front commun pour le Congo (FCC), famille politique de Joseph Kabila relève l’inconstitutionnalité des ordonnances sur la nouvelle mise en place au sein de la magistrature et de l’armée.
Il note aussi que ces ordonnances tendent vers une « dérive dictatoriale » passible des « peines graves. » Par ailleurs, « Le FCC qui reconnaît le droit à une promotion légitime des nominés, note cependant le non-respect des procédures et la violation de l’équilibre des pouvoirs constitutionnels au sein de l’Exécutif qui est bicéphale. Cet équilibre est renforcé par l’esprit et la lettre de l’Accord qui régit la coalition au pouvoir (…) ces violations intentionnelles et récurrentes de la constitution et des lois de la République ne sont pas de nature à favoriser le fonctionnement harmonieux des institutions, gage de la stabilité du pays. Elles tendent plutôt à replonger le pays dans une dérive dictatoriale de triste mémoire et dans une crise aux conséquences incalculables. Elles sont proscrites sous peine des sanctions graves », dit le communiqué de la conférence des présidents du FCC tenue sous l’égide de Néhémie Mwilanya.
« Le FCC réitère son soutien au Premier ministre, chef du Gouvernement et l’encourage à rencontrer très rapidement le Président de la République en vue de tirer au clair la grave situation ainsi déplorée» ajoute le communiqué.
«Le contreseing est de très haute portée politique et juridique qui relève de la compétence exclusive attachée à la qualité de Premier ministre et qui ne peut se concevoir dans le cadre de l’intérim tel que circonscrit dans la lettre qui l’a conféré au vice-premier ministre, ministre de l’intérieur, sécurité et affaires coutumières », a indiqué Albert Lieke, le porte parole du premier ministre Sylvestre Ilunga dans un communiqué.
C’est une nouvelle saga au sein de la coalition au pouvoir après celle ayant conduit à l’interpellation il y a peu, de Tunda Ya Kasende (PPRD), alors Vice-premier ministre, ministre de la justice qui a fini par démissionner du gouvernement.
De l’intérim du premier ministre en droit positif congolais
A la suite des ordonnances signées et contresignées respectivement par le président de la République et pour le premier Ministre, le Vice-premier Ministre, ministre de l’intérieur, sécurité et affaires coutumières du vendredi 17 juillet 2020, le Premier Ministre a, dans une déclaration lue par son porte-parole, renié le contreseing ainsi apposé pour lui sur ces ordonnances en arguant que l’intérim a été limité aux seules fonctions autres que celle de contreseing.
En effet, il sied pour nous ici de répondre aux questions de savoir ce qu’on peut juridiquement entendre par intérim du Premier Ministre (1) ; qui est censé exercer cet intérim (2) ; quels sont enfin les effets juridiques de cet intérim (3) selon le Chercheur et écrivain en droit, MUKADI KABEYA André.
1. De l’intérim du premier ministre
L’article 90 alinéa 2 de la constitution du 18 février 2006 telle que révisée et modifiée à ces jours dispose : « _Il(le gouvernement) est dirigé par le premier ministre, chef du gouvernement. En cas d’empêchement son intérim est assuré par le membre du gouvernement qui a la préséance »_.L’intérim est donc le temps pendant lequel les fonctions (de premier ministre) sont assurées par une autre autorité que le titulaire (S. GUINCHARD, Lexique des termes juridiques 2017-2018, Paris, Dalloz, 2017, p.1662). Le constituant n’a pas prévu ni les motifs pouvant donner lieu à l’empêchement du premier ministre, l’élément déclencheur de son intérim. Il en est de même de l’absence de la procédure à suivre pour le constater. De ce fait, à chaque fois que le premier ministre n’est pas en mesure d’exercer une fonction de sa compétence, son intérim peut être intempestivement de droit. Il sied de rappeler qu’en droit constitutionnel congolais comme en droit généralement, l’intérim n’est pas un mandat ou une délégation de pouvoir, car chacun ayant ses effets juridiques à produire. Le mandat ou la délégation des pouvoirs du premier ministre est prévu à l’article 92 alinéa 5 de la constitution qui lui dispose : « Le premier ministre peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres ». Si pour l’intérim il faut l’empêchement du premier ministre, la délégation des pouvoirs, elle, est une volonté délibérée de celui-ci de mandater un membre du gouvernement pouvant exercer ses fonctions dans les limites du mandat ainsi donné avec pour conséquence que tous les actes pris en dehors du mandat ou en dehors des pouvoirs ainsi délégués sont nuls. L’intérim quant à lui est un processus d’élargissement des pouvoirs d’une autorité au profit d’une autre dans l’entre temps de son absence ou de son empêchement.
2. L’intérimaire de droit du premier ministre
Il ressort des dispositions de l’article 90 alinéa 2 de la constitution précité qu’il est de droit qu’en cas d’empêchement c’est le membre du gouvernement ayant préséance sur les autres qui doit le remplacer dans l’entre temps. Mais en quoi consiste la préséance au sein d’un gouvernement ? L’âge ? Le niveau d’étude ? Aucunement ! A ce sujet, l’article 25 alinéa 2 de l’ordonnance n20/016 du 27 mars 2020 portant organisation et fonctionnement du gouvernement, modalités de collaboration entre le président de la République et le gouvernement ainsi qu’entre les membres du gouvernement dispose : « La préséance entre les autres membres du gouvernement résulte de l’ordre établi par l’acte de nomination ». Il ressort de l’acte de nomination, ici entendu l’ordonnance n19/077 du 26 août 2019 portant nomination des Vice-premiers Ministres, des ministres d’État, des ministres, des ministres délégués et des vice-ministres en son article premier point 1, que le vice-premier Ministre de l’intérieur, sécurité et affaires coutumières a préséance sur tous les autres membres du gouvernement autres que le premier ministre et de droit intérimaire aux fonctions de premier ministre en cas d’empêchement de ce dernier.
Ainsi, l’article 16 de l’ordonnance de 2020 précitée renforce la compétence d’exception d’un vice-premier ministre en ces termes : « A moins qu’il n’assume l’intérim du premier ministre en cas d’empêchement ou qu’il ne soit spécialement mandaté par lui, le vice-premier Ministre exerce en temps normal les seules attributions qui sont de son ressort ». Il ressort donc de cette disposition que l’intérim aux fonctions de premier ministre n’est pas synonyme d’un mandat spécial ou délégation des pouvoirs.
Ainsi on ne peut pas juridiquement reconnaître que le premier Vice-premier Ministre est intérimaire du premier Ministre et limiter son intérim à certaines fonctions comme dans un simple mandat. La limitation des pouvoirs d’un intérimaire ne peut procéder que de la constitution qui le prévoit ou de l’ordonnance qui le renforce. On va le voir dans le point suivant de cette réflexion.
3. Les effets juridiques de l’intérim du premier Ministre
En matière d’intérim il est de principe que l’intérimaire doit exercer pleinement les fonctions du titulaire. En ce qui est de l’intérim d’un premier Ministre, la jurisprudence française a dû affirmer ce principe en ce que l’intérimaire du premier Ministre est investi de la plénitude des compétences attachées à la fonction de premier Ministre (CC, 29 décembre 1989). Par ailleurs les exceptions à ce principe de l’investiture de la plénitude des fonctions au bénéfice de l’intérimaire ne peut procéder que du texte juridique qui le prévoit. Par exemple, l’intérim aux fonctions de président de la République est expressément limité aux fonctions autres que celles prévues aux articles 78(nomination d’un premier Ministre), 81(nomination des autorités politico-administratives et militaires) et 82(nomination des magistrats) de la constitution du 18 février 2006 et ce en vertu de l’article 75 de la même constitution qui prévoit l’intérim du Président de la République ici assuré par le président du sénat.
En ce qui est du Premier Ministre, la constitution ne pose aucune exception dans l’exercice de l’intérim du premier Ministre. C’est plutôt l’article 24 alinéa 5 de l’ordonnance de 2020 précitée qui dispose que : « Le membre du gouvernement assumant un intérim ne peut procéder au réaménagement du cabinet ou à l’affectation des agents du ministère, sauf autorisation préalable du Premier Ministre ». CetteCette disposition concerne également l’intérim aux fonctions de Premier Ministre car concernant tous les membres du gouvernement assumant l’intérim sans faire distinction. La seule exception posée au principe de l’intérim est l’interdiction, comme pour ce qui est du Président de la République, de procéder aux nouvelles nominations dans le cabinet du Premier Ministre.
En reconnaissant que le Vice-premier Ministre assume l’intérim du Premier Ministre, il est juridiquement inconcevable de réduire son pouvoir d’intérim à un simple mandat. Soit il est intérimaire, soit il est mandataire du premier ministre. Dans le premier cas, nos textes juridiques n’ayant pas proscrit le pouvoir de contresigner les ordonnances du Président de la République on ne peut refuser à l’intérimaire de le faire. Ça aurait été une irrégularité si et seulement si le premier ministre n’était pas empêché et avait mandaté simplement le VPM aux seules fonctions de réception des courriers, or reconnaître le statut d’un intérimaire c’est dire qu’on a été empêché implicitement.
Alfred Mote