Faisant fi du cadre légal régissant les manifestations publiques, en l’espèce une ordonnance portant proclamation de l’état d’urgence sanitaire signée par un président de la République issu de ses rangs, l’UDPS, sous la houlette du duo Kabund – Kabuya , a décidé de «se prendre en charge». Le 24 juin dernier déjà, dans une posture similaire, le parti présidentiel avait suscité des inquiétudes parmi plusieurs analystes qui y voyaient l’inauguration d’une nouvelle ère d’anarchie. Même la présidence de la République, quelque peu embarrassée, avait émis un communiqué on ne peut plus circonspect à ce sujet. «Le président de la République, murmurait-il, demande aux forces de l’ordre de prendre toutes les dispositions pour prévenir et contenir en cette période d’État d’urgence ce genre de manifestations», avait fait savoir Désiré-Cashmir Kolongele Eberande, le directeur de cabinet du chef de l’Etat. Une façon comme une autre de ne pas trop jeter en pâture les combattants maladroits de l’UDPS.
Le 25 juin, en guise d’amende honorable, le vice-premier ministre UDPS de l’intérieur, Gilbert Kankonde, avait visité les domiciles et propriétés des proches du FCC vandalisés par des talibans (milice de l’UDPS, Ndlr), peu avant une rencontre au sommet âprement négociée entre le président de la République et son prédécesseur Joseph Kabila, autorité morale du FCC et chef de la majorité parlementaire. Hélas, ceux qui espéraient voir les deux partenaires de la coalition au pouvoir rétablir des relations plus sereines doivent déchanter après une série d’autres couacs à l’instar de la demande formelle de démission du gouvernement du vice-premier ministre FCC Tunda ya Kasende par le président de la République après une rocambolesque interpellation au parquet général près la Cour de cassation.
Ronsard Malonda, le bouc émissaire
Alors que Félix Tshisekedi rencontrait Joseph Kabila à la N’sele dans la soirée du 24 juin 2020, l’Assemblée nationale entérinait selon un ordre du jour prévu de longue date l’élection par les confessions religieuses de Ronsard Malonda au poste de président de la CENI, sur fond d’un rétropédalage de deux sur huit de ces grands électeurs mauvais perdants qui avaient du mal à digérer le choix d’un candidat autre que le leur. Comme c’est de coutume lorsque la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) a des revendications à faire valoir, quelques chancelleries occidentales et groupes d’influences leur servant de relais locaux (CLC, Lucha, Filimbi, Congolais debout, etc.) avaient annoncé leur intention de se rallier à l’opposition Lamuka du candidat malheureux à la présidentielle de décembre 2018 Martin Fayulu pour tailler en pièces l’expression démocratique des confessions religieuses, seules habilitées à proposer le n° 1 de la centrale électorale en RDC. Alors que des élus CACH avaient participé à l’entérinement de Malonda, et que plusieurs cadres de l’UDPS notamment ne cachaient pas sur les réseaux sociaux leur satisfaction de voir cet avocat ne-Kongo, expert en matière électorale, succéder à Corneille Nangaa, un communiqué du revanchard 1er vice-president déchu de l’Assemblée nationale et président a.i. de l’UDPS va rapidement doucher leurs ardeurs dès le 26 juin 2020. Vomi par ses homologues de la chambre basse à cause son comportement viscéralement conflictogène, Kabund qui avait un os à peler avec ses ‘‘bourreaux’’ y voyait une occasion en or de leur rendre la monnaie de leur pièce. Surfant sur des appréhensions anti-Malonda de la CENCO, de l’ECC et de Lamuka, il a saisi la balle au bond pour reconstituer contre toute attente le ‘‘front de Genève’’ que Félix Tshisekedi avait envoyé paître dans l’espoir d’isoler le FCC.
«Le choix de Kabund de politiser la désignation d’un président de la CENI par qui de droit semble avoir été plus motivé par sa soif de vengeance que par l’intérêt bien compris de l’UDPS», regrette un intellectuel sympathisant du parti de la 10ème rue qui ajoute que «contrairement à ce qu’il pense, il n’est plus possible pour le président de se passer du FCC en pleine législature, hors d’une perspective d’élections anticipées dans les délais prévus par la Constitution. Maintenant l’heure est à l’exercice du pouvoir conformément au mandat que le peuple nous a confié».
Ce politologue ne fait pas mystère de sa conviction quant à la régularité du processus de désignation et d’entérinement de Ronsard Malonda comme président de la CENI. Il rappelle à cet égard que c’est grâce notamment aux avis techniques brillamment déclinés par l’alors avocat de la CENI Ronsard Malonda que la Cour constitutionnelle avait forgé son intime conviction pour proclamer définitivement Félix Tshisekedi président de la République contre l’avis de Lamuka, de la Cenco et de leurs parrains occidentaux qui tenaient absolument à voir Martin Fayulu occuper le top job. «Rejeter Malonda comme un pestiféré en l’accusant de tous les péchés d’Israël ne reviendrait-il pas à apporter de l’eau au moulin de ceux qui n’ont de cesse de prétendre que le président Tshisekedi a volé la victoire de Fayulu? Si tant est que Malonda, qui n’était qu’un administratif n’ayant pas siégé à l’assemblée plénière de la centrale électorale est un corrompu comme le confirment Kabund et Kabuya au nom de l’UDPS qui revendique pourtant la victoire de Fatshi, alors nous en pleine schizophrénie». Lamuka et la Cenco ne s’y sont pas trompés et ont profité de l’aubaine dans l’espoir d’obtenir gain de cause même contre toute évidence comme ce fut le cas concernant certains résultats des législatives devant la Cour constitutionnelle qui, sous pression, revint sur ses propres décisions, arguant d’erreurs matérielles.
Lamuka et la Cenco la semaine prochaine
Dès lors que le parti présidentiel a lui-même désacralisé l’autorité de l’Etat, le temps semble venu pour les mousquetaires de Lamuka et de la Cenco et leurs sbires de rouler à leur tour les mécaniques après que leurs manifestations pour ‘‘la vérité des urnes’’ eurent le plus souvent fait flop.
En effet, le 30 juin 2019, la marche de Lamuka avait été étouffée par un déploiement en bon ordre des forces de sécurité. Un militant de Lamuka avait même trouvé la mort à Goma pendant que dans la capitale les pneus de la voiture de Martin Fayulu avaient été dégonflés par la police qui n’avait pas hésité à disperser brutalement manifestants et journalistes.
Les démonstrations de force répétitives de l’UDPS en violation des interdictions des autorités municipales, gouvermentales et du chef de l’État, installent dorénavant le pays dans une spirale anarchique. Lamuka peut maintenant se targuer des saillies de l’UDPS contre la CENI pour prouver à la face du monde que Martin Fayulu avait effectivement été plébiscité lors de la dernière présidentielle comme ses partisans le clament aux quatre vents.
C’est en tout cas ce qu’on peut lire en filigrane d’un communiqué très suggestif du porte-parole de Lamuka Steve Kivwata publié le 9 juillet 2020, dès la fin des manifestations violentes de l’UDPS : «Conformément au communiqué du 7 juillet 2020, signé par les leaders de Lamuka, nous confirmons la tenue effective de la marche de notre plateforme sur toute l’étendue du territoire national, ce lundi 13 juillet 2020». Outre Lamuka, la Cenco du cardinal Fridolin Ambongo dont le candidat Cyrille Ebotoko a été retoqué par les confessions religieuses se trémousse déjà. Le 19 juillet prochain, le CLC, son mouvement et d’autres qui lui sont proches comme Lucha, Filimbi et Congolais debout s’apprêtent à mettre le feu aux poudres faute d’une remise à plat du choix du président de la centrale électorale.
La semaine prochaine s’annonce donc riche en tragédies d’autant plus que les manifestants qui méconnaissent délibérément l’état d’urgence sanitaire dû à la Covid-19, espèrent eux aussi par ‘‘équité’’ bénéficier des complaisances dans les rangs des forces de l’ordre. En effet, l’on a bel et bien vu à Lubumbashi certains militaires chargés de faire respecter l’interdiction de la marche ouvrir le corridor à une poignée de manifestants. Il en a été de même à Kinshasa lorsque des militants du PPRD ont été brutalement dispersés par tirs de bombes lacrymogènes sur ordre d’un officier général qui laissé libre champ aux combattants de l’UDPS. Témoin de l’événement, le député national Alphonse Ngoy Kasanji n’en a pas cru ses yeux et a exprimé son amertume face à ce double jeu dans un tweet: «La police laisse passer les talibans et disperse les militants PPRD. Illustration sur Sendwe en présence de hautes personnalités de la police. Ce que la nuit cache, le jour le révèle. Le VPM Kankonde ne dit pas la vérité au peuple».
Face à de tels comportements, on a l’impression que le compte rendu lu par le ministre UDPS de l’Intérieur Gilbert Kankonde de la réunion du gouvernement tenue la veille autour du premier ministre n’avait été que de la poudre aux yeux. Sur un ton martial, Kankonde avait déclaré pourtant qu’«en application de l’état d’urgence sanitaire décrété par son excellence monsieur le président de la République, chef de l’État ainsi que des mesures de riposte s’y rapportant, il est formellement interdit d’organiser des marches publiques sur toute l’étendue du territoire national. La police nationale congolaise est chargée d’assurer la sécurité des personnes et de leurs biens et de veiller scrupuleusement au respect de l’interdiction des marches publiques pendant toute cette période d’urgence sanitaire». Les partis politiques membres du FCC ont bien été naïfs de croire Gilbert Kankonde sur parole en se contentant de camper à minima autour des édifices de leurs partis politiques respectifs. Quelle n’a pas été leur surprise de constater en mi-journée, alors que la loi est la même pour tous, que des colonnes des militants de l’UDPS avec leurs leaders en tête étaient autorisées à franchir différentes barrières pour les prendre en étau. Le siège provincial du PPRD Mont-Amba sur la sixième rue à Limete et celui du Parti travailliste de Steve Mbikayi sur Sendwe ont fait les frais de la folie destructrice des ‘‘combattants’’ de l’UDPS sous le regard d’une police débonnaire.
Malgré cette tendance au sein des forces de l’ordre à laisser opérer les hors-la-loi estampillés UDPS, quelques policiers s’en sont tenus au mot d’ordre officiel du même ministre Kankonde leur enjoignant de «veiller scrupuleusement au respect de l’interdiction des marches publiques pendant toute cette période d’urgence sanitaire». Cette cacophonie dans le commandement est à la base des morts et des blessés que l’on déplore dans les rangs des manifestants et des policiers.
Balayant sa propre responsabilité dans ces drames, Augustin Kabuya a, quant à lui, fait semblant de s’émouvoir du bilan macabre de sa ‘‘manifestation pacifique’’ sans convaincre. Il est allé jusqu’à exiger la démission du ministre de l’Intérieur Gilbert Kankonde. Ceux qui connaissent la guerre des clans au sein de l’UDPS savent bien qu’après son éviction du bureau de l’Assemblée nationale, son mentor Kabund lorgne le strapontin de Kankonde. Fallait-il pour cela causer des morts pour susciter la désapprobation au sein du parti présidentiel et forcer la main au président de la République en faveur d’une prompte nomination de Kabund à la tête du ministère de l’Intérieur ?
Décidémment à l’UDPS de Kabund et Kabuya, seule la fin justifie les moyens…
JBD