« Arrêtez d’insulter l’histoire ! ». Cet appel pathétique de Doudou Diegne, l’ancien rapporteur spécial des Nations-Unies sur les nouvelles formes de racisme aux suprématistes blancs et aux dirigeants africains qui ignorent l’incontournable nécessité des réformes dans la gestion des rapports des peuples africains avec le reste du monde après le scandale de l’assassinat il y a un mois de l’Afro-américain George Floyd par des policiers blancs à Minneapolis (Minnesota, USA) peut s’appliquer à ceux qui, en RDC surfent sur les haines et les boursouflures d’amour-propre blessé pour mener la coalition CACH-FCC au fond du gouffre.
Quelques cadres de l’UDPS, le parti présidentiel, ont pris l’habitude de faire assiéger le parlement par une bande de leurs affidés pour imposer leurs desiderata aux élus de la nation, ce qui provoque des tensions qui ont culminé avec le limogeage du 1er vice-président du bureau de l’Assemblée nationale, Jean-Marc Kabund, par ailleurs président a.i de cette formation politique.
Retour à la case départ
Depuis lors, l’agitation de ce dernier et de ses amis semble poursuivre une réécriture de l’histoire politique de la RDC avec les pétarades des deux roues des gros bras qui lui servent de «base» et ramène à la surface un épisode douloureux des premières années de l’indépendance du Congo-Kinshasa lorsque les blocs des nationalistes et fédéralistes s’étripèrent sous le regard amusé de l’ex-métropole coloniale. Cela avait compromis le décollage économique de ce ‘‘scandale géologique’’, selon l’expression du géologue Jules Cornet.
Néhémie Mwilanya, le coordonnateur du FCC, majoritaire dans la majorité, ne s’y est pas trompé en mettant en garde ses partenaires de l’UDPS/ CACH: «chaque fois que l’on a tenté d’étouffer ou de mettre à l’écart la majorité parlementaire dans ce pays, cela a amené des problèmes », a-t-il rapelé, faisant allusion à la neutralisation politique de la majorité suivie de l’élimination physique de son leader le 1er ministre Lumumba début 1961, ce péché originel que les Congolais n’ont pas encore fini d’expier 60 ans après.
L’ancien dircab de Joseph Kabila est sorti de sa réserve pour fustiger la tentative de bâillonnement des libertés individuelles par la démarche de son vis-à-vis. Sa réaction inhabituellement musclée est consécutive à la dérive observée dans les relations entre le FCC et le CACH depuis que le président Tshisekedi dont la haute charge à la tête du pays était incompatible avec la direction exécutive de cette formation politique en avait confié la responsabilité à Kabund dont la priorité semble être la chasse aux sorcières par ‘’wewas’’ interposés.
Lois Minaku-Sakata : un prétexte parmi tant d’autres
Mardi 23 juin, des manifestations violentes attribuées tantôt au « peuple congolais » tantôt aux «combattants» de l’UDPS/T. avaient commencé autour du siège du parlement congolais, après que trois propositions de lois organiques aient été introduites à l’Assemblée nationale par les députés FCC Aubin Minaku et Gary Sakata. Jean-Marc Kabund que l’on n’avait plus vu dans l’hémicycle depuis sa déchéance du deuxième strapontin du perchoir quelques jours plus tôt a aussitôt embouché les trompettes de la vengeance dans les réseaux sociaux et les médias en invoquant une atteinte grave à la séparation des pouvoirs. Un chef-d’œuvre de sophisme de la part de celui qui venait quelques jours plus tôt de faire intervenir le procureur d’un tribunal administratif pour empêcher l’institution parlementaire de fonctionner au motif que ce qu’il considérait comme son droit subjectif d’occuper le poste électif de membre du bureau de l’Assemblée nationale avait été violé ! Il s’était associé pour ce faire à des magistrats du parquet soucieux pour leur part d’échapper au contrôle qu’impliquait l’organisation du pouvoir d’injonction du ministre de la Justice introduit par les trois textes, se sont engouffrés dans cette faille ouverte dans la coalition au pouvoir.
Confusion délibérée entre juges et parquets
A la suite de ses deux collègues auteurs des trois textes, Mwilanya, un professeur à la faculté de droit de l’Université de Kinshasa, explique que ces propositions de lois ne visent pourtant que la mise en application de lois déjà existantes, en l’occurrence la loi sur l’organisation de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire (articles 71, 72 et 73) ainsi que celle portant statut des magistrats (article 15) qui reconnaissent déjà au ministre de la Justice, le pouvoir d’injonction sur le parquet. Avocat de son état, il souligne que «ce pouvoir d’injonction du ministre de la Justice est positif et non négatif selon l’esprit de cette loi ». D’où son étonnement face à ceux qui veulent empêcher les parlementaires de vaquer à leurs occupations, et plus grave, prennent pour cible, des personnalités et cadres du FCC pour obtenir le retrait de ces propositions.
L’élu de Fizi exige à ce sujet « l’arrêt immédiat des violences faites aux députés et aux personnalités du FCC ». Il met en outre en garde l’UDPS, sans la citer, contre « la tentative d’imposer la pensée unique par l’instrumentalisation de ses militants pour museler les partisans de ces propositions de lois qui ont été adoptées à la quasi-unanimité car seulement un député avait voté contre lors des discussions à la commission PAJ de l’Assemblée nationale». Réitérant son soutien à l’élan du gouvernement et de l’appareil judiciaire pour lutter contre la corruption, le coordonateur du FCC fait savoir que « jamais la RDC n’acceptera un tel recul de la démocratie par le recours à des méthodes dictatoriales, qui plus est, ont été décriées par tous dans le passé ». Il a mis l’UDPS/T. devant ses responsabilités « hier dans l’opposition, aujourd’hui au pouvoir, elle doit apporter de vraies réponses aux multiples problèmes de la population, notamment la grave crise sanitaire qui aggrave la précarité de la population, l’invasion du territoire national par-ci par-là, sans compter la situation socio-économique et la dépréciation de la monnaie nationale». Avant d’engager le chef de l’Etat Félix Tshisekedi et son ministre de l’Intérieur, tous deux membres de l’UDPS, à sécuriser les Congolais et leurs biens.
Plus en détail, Emmanuel Ramazani Shadary, le secrétaire permanent du PPRD, premier parti politique au parlement, a fermement condamné les attaques ciblées de ‘‘la milice de l’UDPS’’ contre des membres du FCC avec lequel ce parti a pourtant constitué une coalition et martelé que son parti était «prêt à gouverner le pays en cohabitation au lieu d’une coalition qui implique plus de respect mutuel». Il a révélé qu’au sein de la commission des lois du gouvernement, c’est à l’unanimité que tous les ministres avaient voté pour l’adoption des trois propositions de lois des honorables Minaku et Sakata. Ce qui amène à questionner l’attitude de Kabund.
Gourous en quête de positionnement
Mercredi 24 juin, les alentours du palais du peuple, siège du parlement étaient à nouveau sens dessus-dessous. Enivrée par la jactance débridée de leurs «gourous politiques » manifestement désireux de mettre le grappin sur la RDC dans le pur style de la défunte 2ème République, une centaine de ‘’wewas’’ (taxis-motards) proches du parti présidentiel, s’étaient rassemblés pour empêcher par la terreur les parlementaires d’examiner les projets de lois de Minaku et Sakata.
L’objectif poursuivi par les auteurs intellectuels de cette énième atteinte au principe légal de l’inviolabilité du siège du parlement n’était manifestement pas de défendre un point de vue quelconque dans un débat démocratique. «Nous savons que même avec le renfort de l’opposition Lamuka, nos députés ne sont pas en mesure de s’imposer dans cet hémicycle largement dominé par le Front commun pour le Congo (FCC) de Kabila. Il suffit de voir avec quelle aisance ce groupe a chassé notre président national Jean-Marc Kabund de son poste de 1er vice-président du bureau de l’Assemblée nationale», a révélé aux rédactions du Maximum une tête couronnée de l’UDPS/T. s’exprimant sous le sceau de l’anonymat. Les raisons invoquées par les gros bras qui ont bloqué l’entrée du parlement et vandalisé des immeubles de personnalités proches ou réputées proches du FCC comme le DG de Télé-50 à Lingwala sont révélatrices de leur niveau très en dessous de la moyenne d’appréhension de la situation et des concepts politiques. Si deux participants à l’expédition contre les kabilistes ont justifié leur présence dans le commando par le fait que «les députés veulent vider les attributions du président de la République en lui retirant le pouvoir de nommer les magistrats pour les confier à un ministre FCC», pour ce grand escogriffe aux mains de déménageurs, le visage dissimulé derrière un foulard aux couleurs du parti de la 10ème rue Limete, «Kabila voulait nommer Minaku procureur général de la République alors qu’il avait été révoqué de la magistrature du temps de Mzee Kabila». Un autre de ses compères affirmait qu’il était venu parce qu’on lui avait dit que «c’était le seul moyen d’obtenir le déconfinement de la Gombe parce qu’on a trop souffert avec ce confinement ».
Motivations hystériques
Ces justifications tirées par les cheveux démontrent que les mobilisateurs de ces exaltés facilement impressionnables n’ont pas lésiné dans la propagande la plus hystérique pour arriver à leur fin : enfoncer un coin dans les rapports entre les partenaires de la coalition FCC-CACH au pouvoir.
En fait, les trois propositions de lois de Minaku et Sakata sur le système judiciaire congolais sont, non seulement conformes à la constitution et ne visent nullement la limitation des pouvoirs des magistrats même des parquets, seuls concernés, mais aussi devant modifier des lois organiques, leur adoption est strictement soumise à un contrôle préalable de constitutionnalité qui relève exclusivement de la Cour constitutionnelle. De plus, le président de la République peut, dans l’éventualité improbable que les textes soumis à la promulgation aient pu après toutes ces étapes, contenir des dispositions questionnables, les renvoyer pour une seconde lecture au parlement (Joseph Kabila disposant d’une majorité confortable y avait recouru à trois reprises en son temps).
« La démocratie parlementaire est une pratique constitutionnelle. Dans le processus d’élaboration d’une législation, quiconque à l’Assemblée nationale ou au Sénat a des amendements est libre de les apporter voire d’argumenter pour faire rejeter un texte en examen ou en voie d’être voté à la commission PAJ ou en plénière. Ceux qui s’agitent et manipulent des non parlementaires dans des partis politiques ou des syndicats de magistrats avouent une satanique intention d’instaurer la dictature dans notre pays en se cachant derrière ce paravent», s’indigne un responsable de la société civile congolaise spécialiste des questions constitutionnelles. Qui insiste sur le fait qu’après avoir pris le temps d’analyser les trois textes, il n’y a décelé «aucune intention de subordonner l’action des magistrats des parquets à la volonté du ministre de la Justice. Il s’agit simplement d’instaurer dans l’esprit de l’article 149 de la constitution une collaboration préalable pour réduire les abus qui ont conduit à la révision constitutionnelle de 2011. En voulant bloquer ces lois d’application d’une disposition constitutionnelle, les auteurs de cette agitation sont en train de violer la constitution en érigeant des groupes informels en pouvoir constituant alors que dans un Etat démocratique, les Cours et tribunaux ont le rôle de dire le droit selon les compétences qui leur sont attribuées par la loi et non de légiférer».
Inquiétude de la communauté internationale
Le Bureau Conjoint des Nations Unies pour les Droits de l’Homme (BCNUDH), peu suspect de symphatie pour l’ancien président Kabila qui expulsa un de ses représentants à Kinshasa, est aussi de cet avis car il a condamné « l’attaque dont ont été victimes les résidences privées des députés au cours des manifestations organisées par les militants de l’UDPS/T. contre les trois propositions de loi intiées par Aubin Minaku et Gary Sakata», avant d’ajouter que « la prise d’assaut des bâtiments publics et domiciles privés des élus est inacceptable» et d’appeler les autorités à assurer leur sécurité. «Nous appelons à la retenue et invitons les autorités à garantir la sécurité des élus et des citoyens dans le strict respect des droits de l’homme», a ajouté le BCNUDH tout en rappelant que « si la liberté de manifester pacifiquement est consacrée par la Constitution, celle-ci doit s’exercer sans violence et dans le respect de la liberté et des biens d’autrui».
Etat de droit ou stratégie totalitaire
Les Nations unies ne sont pas les seules à élever la voix contre la barbarie des mardi et mercredi à Lingwala. «Il faut voir clair dans le jeu des dirigeants de l’UDPS. Leur prétendue défense de l’indépendance de la Justice n’est qu’un leurre. Dès le lendemain de son éjection du poste de 1er vice-président du bureau de l’Assemblée nationale, Jean Marc Kabund avait averti sous forme de menaces à peine voilées que le vent de la ‘‘justice’’ allait souffler du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest et promis à la présidente de l’Assemblée nationale, qu’il la ferait arrêter», se souvient un député de la majorité.
Qui observe que depuis le retrait de la confiance de ses pairs, Kabund nourrit une haine viscérale contre les cadres du FCC et un désir de vengeance quasi maladif contre eux. « Depuis lors, il s’est donné comme mission d’entraîner l’UDPS dans une stratégie de lynchage des cadres du FCC à la fois par sa milice des motards et la Justice. L’attaque des résidences de Minaku et de Kassamba, la destruction méchante de la salle polyvalente de Mme Kimbuta et d’un proche de Ngoy Kasanji ainsi que le caillassage de véhicules des députés… en sont des exemples.Il est regrettable que certains magistrats se prêtent à ce jeu dangereux » estime-t-il.
Des magistrats peu scrupuleux
L’ancien 1er vice-président de l’Assemblée nationale a résolu d’utiliser la justice comme un bras séculier de règlements de ses comptes politiques. On sait de quelle manière il avait amené le Conseil d’Etat à commettre un véritable déni de justice contre la chambre basse du parlement puis entraîné le procureur général près cette haute juridiction administrative à paralyser le parlement dans son ensemble avant que la Cour constitutionnelle n’y mette bon ordre.
Le débat ouvert avec les propositions de lois Minaku – Sakata vaut son pesant d’or. Au delà des accusations d’une prétendue « caporalisation des magistrats », il importe de réfléchir à la fois sur les voies et moyens de garantir l’état de droit tout en évitant que la justice ne devienne l’instrument d’un individu ou un camp pour régler ses comptes avec ses rivaux ou adversaires.
Il ne suffit pas qu’un magistrat lance une enquête, qu’un tribunal prononce une sentence pour qu’on en déduise l’existence d’un état de droit avec des institutions judiciaires indépendantes. En l’espèce, la réflexion de la CENCO au sujet de la dernière condamnation de Vital Kamerhe n’est pas dénuée d’intérêt. Pour mémoire, la hiérarchie catholique avait émis des réserves sérieuses quant à savoir s’il s’agissait d’un règlement de comptes politiques ou non. Il en est de même des révélations contradictoires sur les causes réelles du décès du juge Raphaël Yanyi du TGI/Gombe, en charge du procès VK et consorts.
Tout se passe comme si sous le couvert du slogan fourre-tout de l’état de droit, certains caciques de l’UDPS faisaient passer leurs propres stratégies d’accaparer illégalement des pans de pouvoir que la constitution et les lois ne leur reconnaissent pas pour avoir la suprématie sur l’espace politique congolais grâce à l’élimination des contradicteurs ou adversaires politiques et l’instauration de la pensée unique. L’objectif est de tout contrôler sans partage de responsabilités parce qu’ils n’ont jamais été ni assez populaires pour gagner à eux seuls toutes les élections, ni suffisamment habiles pour composer avec d’autres forces politiques que leur a imposé la volonté du peuple souverain. Laisser faire de tels monstres d’intolérance, d’incompétence, et d’arrogance ne peut que ruiner l’espoir de voir un Etat stable en RDC.
Le Maximum