D’aucuns se souviennent encore à Kinshasa de l’activisme paternaliste frisant à la fois l’ingérence et les diktats des administrations américaines à travers leurs envoyés spéciaux comme le Dr Peter Pham qui mettaient la pression sur les autorités congolaises afin qu’elles engagent des poursuites judiciaires contre des officiels locaux au nom de la lutte contre l’impunité. On se souvient des propos de l’ambassadeur Mike Hammer, qui n’a pas boudé sa satisfaction au sujet des ennuis du défunt général FARDC Delphin Kahimbi, mort quelques jours plus tard dans des circonstances non encore élucidées à ce jour.
Curieusement, lorsqu’arrive le moment pour leurs propres galonnés de rendre des comptes à la justice internationale pour des faits ayant préjudicié des hommes et des femmes aux quatre coins de la planète, les Etats-Unis d’Amérique refusent de voir le principe de l’impunité zéro leur être appliqué. Devant l’insistance de la Cour Pénale Internationale (CPI), ils ont carrément sanctionné les magistrats qui composent cette juridiction relevant de l’Organisation des Nations-Unies. Une décision sans précédent qui s’explique par la volonté de Washington d’empêcher la CPI de mener ses enquêtes concernant certains agissements des militaires américains en Afghanistan. Nul n’ignore pourtant que même la guerre imposée à l’Irak en 2003 qui a fini par plonger ce pays dans une violence indicible n’avait été qu’un prétexte pour faire main basse sur son pétrole ; que la guerre en Syrie et l’implosion en Libye n’obéissaient qu’aux mêmes visées triviales.
Il faut beaucoup de naïveté pour ne pas les voir à la manœuvre pour l’implosion de la coalition FCC-CACH afin de ramener la RDC dans un schéma similaire. Comme quoi les chantres de l’Etat de droit, de la justice pour tous ne sont toujours pas des modèles.
C’est Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine qui a confirmé la semaine dernière que la CPI était désormais visée par une série de mesures de restriction de visas. Il ne s’agit ici ni de violation des droits humains, ni de corruption. Les personnes concernées par ces sanctions ciblées sont celles qui avaient demandé que des enquêtes soient diligentées au sujet des agissements de certains militaires américains en Afghanistan. Les premières personnes visées et leurs proches ont d’ores et déjà été notifiées de la décision américaine.
Une annonce inédite dans l’histoire
La procureure de la cour, Mme Fatou Bensouda, fait partie du lot. En effet, dès le mois de novembre 2017, elle avait annoncé l’ouverture d’une enquête pour des présumés crimes contre l’humanité commis par l’armée américaine dans ce pays. Une déclaration que Washington n’a pas digérée, alors que les États-Unis ne sont pas membre de cette institution. Ainsi, le département d’Etat avait assuré que si les intérêts US et ceux d’Israël étaient mis en danger, juges et procureurs de la CPI pourraient être visés par une série d’autres sanctions.
Des sanctions complémentaires envisagées
La demande d’enquête formulée par la juriste gambienne étant toujours ouverte, la CPI veut prouver son indépendance et sa détermination malgré ces sanctions américaines. Un communiqué publié vendredi par l’institution l’a confirmé. Bensouda y a indiqué que rien ne l’empêcherait de continuer son travail. De son côté, la diplomatie américaine a assuré que ses sanctions, concernant les visas, n’étaient qu’un premier pas, des mesures complémentaires pourraient être envisagées si jamais la CPI ne «changeait pas d’attitude » alors que la CPI assure être dans son bon droit. Créée en 2002 après que 123 pays aient ratifié le Traité de Rome, la CPI autorise son procureur à déclencher une enquête sans avoir recours à une quelconque permission des juges, à la seule condition qu’un pays au moins ayant ratifié le Traité de Rome, soit directement impliqué. Si les États-Unis ne sont pas membres de la CPI, l’Afghanistan lui, en fait bien partie. Les Américains eux, ne devraient toutefois pas collaborer à cette enquête, le conseiller présidentiel à la sécurité nationale, John Bolton a été très clair à ce sujet au mois de septembre dernier. « Nous n’allons pas coopérer avec la CPI, nous n’allons pas lui fournir d’assistance, nous n’allons pas adhérer à la CPI. Nous allons laisser la CPI mourir de sa belle mort », a-t-il fait savoir.
Les relations entre Washington et la CPI ont toujours été tumultueuses. Elles se sont considérablement détériorées après l’annonce des restrictions de visas pour tenter d’empêcher toute enquête de la juridiction contre des militaires américains. « J’annonce aujourd’hui une politique de restrictions de visas américains contre les personnes directement responsables pour toute enquête de la CPI contre des militaires américains», a déclaré Mike Pompeo.
Totale impunité pour meurtriers et tortionnaires
L’administration Trump, élue sur le slogan «America First» (l’Amérique d’abord), a poussé à l’extrême la défiance à l’égard de plusieurs institutions multilatérales dont l’OMS et la CPI, à laquelle les USA n’appartiennent pas et ce par une sorte de mépris pour le multilatéralisme qu’elles incarnent. Partis unilatéralement de l’organisation mondiale de la santé (OMS), les Etats-Unis sont restés constants dans cette logique. Kinshasa devra tirer les conséquences de l’attitude de ce partenaire face à la justice internationale afin de privilégier envers et contre tout les Intérêts Nationaux qui riment avec la cohésion nationale à travers le renforcement et la consolidation de la coalition FCC-CACH. Toutes les pressions américaines sur les autorités en place en RDC ne sont pas dues à l’altruisme ou à la charité, loin s’en faut. Elles ne ne serviront ‘in fine’ qu’à promouvoir les intérêts américains d’abord.
Prenant pour une fois le contrepied d’une position des USA, l’ONG Human Rights Watch a dénoncé « une tentative brutale de punir les enquêteurs de la CPI pour la simple raison qu’ils font leur travail, à savoir enquêter sur des crimes de guerre ». Cela « envoie un message clair aux bourreaux et meurtriers : leurs crimes peuvent continuer dans l’impunité » selon Andrea Prasow, de son bureau de Washington. Pour Stephen Pomper, de l’organisation de prévention des conflits International Crisis Group, « les Etats-Unis devraient travailler à traquer les criminels de guerre, pas à intimider les procureurs. Cela sape vraiment la légitimité des sanctions américaines à l’encontre de la cour pénale internationale», a estimé cet ancien conseiller du démocrate Barack Obama à la Maison Blanche.
La CPI a rejeté jeudi la décision du président américain Donald Trump d’autoriser des sanctions économiques contre des responsables de la Cour pour dissuader la juridiction de poursuivre des militaires américains. Le Président de l’assemblée des Etats parties au Traité de Rome, le juge O-Gon Kwon, a dans un communiqué, rejeté les mesures, qui selon lui «entravent les efforts communs pour combattre l’impunité et garantir la mise en œuvre de l’obligation de rendre compte d’atrocités de masse».
Déjà engagé dans une offensive sans précédent contre la CPI, Donald Trump a encore haussé le ton jeudi en annonçant des sanctions économiques pour dissuader la juridiction de poursuivre des militaires américains pour leur implication dans le conflit en Afghanistan.
Il s’agit d’une riposte directe à la décision en appel prise en mars par la juridiction qui siège à La Haye, aux Pays-Bas, d’autoriser l’ouverture d’une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Afghanistan malgré l’opposition de l’administration Trump. L’enquête souhaitée par la procureure de la Cour vise entre autres des exactions qui auraient été commises par des soldats américains dans le pays où les Etats-Unis mènent depuis 2001 la plus longue guerre de leur histoire. Des allégations de tortures ont également été formulées à l’encontre de la CIA. «Il s’agit des dernières d’une série d’attaques sans précédent contre la CPI, une institution judiciaire internationale indépendante», a déclaré la Cour dans un communiqué distinct. «Ces attaques constituent une escalade et une tentative inacceptable de porter atteinte à l’Etat de droit et aux procédures judiciaires de la Cour», a-t-elle ajouté. «Elles sont annoncées dans le but déclaré d’influencer les actions des responsables de la CPI dans le cadre des enquêtes indépendantes et objectives et des procédures judiciaires impartiales de la Cour», a-t-elle poursuivi.
AM