Le24 janvier 2019, la RDC a vécu une première depuis l’indépendance. Jamais auparavant, cet immense pays au cœur de l’Afrique n’avait connu une passation pacifique de pouvoir entre deux présidents. Joseph Kasavubu, le premier à occuper le ‘’top job’’ avait été évincé le 24 novembre 1965 par un coup d’Etat du général Mobutu, le même qui, avec Kasavubu, avait neutralisé cinq ans plus tôt le leader indépendantiste et chef de la majorité parlementaire Patrice Lumumba. Kasavubu mourut 4 ans plus tard rélegué dans son village et interdit de se déplacer même pour se faire soigner. Mobutu sera à son tour chassé du pouvoir – et du pays – 32 ans après par la guerre de libération de l’AFDL du maquisard lumumbiste Laurent Désiré Kabila qui se proclama président le 17 mai 1997. Le 16 janvier 2001, 40 ans après l’élimination physique de Lumumba, Laurent Désiré Kabila fut assassiné dans son cabinet de travail, victime d’une conspiration attribuée à ses alliés occidentaux à qui il refusait de rendre des comptes. Son fils et compagnon de lutte, Joseph Kabila, sera alors installé au pouvoir par le Gouverment de salut public et menera une politique d’ouverture qui déboucha sur une transition de 3 ans à l’issue de laquelle il remporta l’élection présidentielle. Après deux mandats constitutionnels de Kabila junior, l’opposant Félix Tshisekedi, proclamé vainqueur de la présidentielle du 30 décembre 2018, a accédé à son tour à la magistrature suprême. 15 mois après, que peut-on retenir de la situation de la RDC ?
Au plan idéologique ou culturel
Aucune société ne peut exister sans une certaine représentation mentale d’elle-même. L’idéologie donne tout son sens à la vie en société et féconde la vision commune ainsi que les valeurs partagées par tous ses membres. Elle se transmet par divers moyens (communication sociale, institutions sociales, associations etc.). Sur ce plan, l’histoire de la RDC peut être subdivisée en deux grandes périodes : la première serait celle de l’Afrique précoloniale et traditionnelle pendant laquelle la vie politique et économique se résumait en deux concepts-clés : la solidarité et le partage. En effet, nos aïeux vivaient dans des espaces communautaires solidaires. Ils partageaient ce qu’ils avaient. C’était une économie de communion et de partage sans accumulation égoïste des biens. Le concept de pauvreté ne pouvait donc pas exister, chacun apportant quelque chose à la communauté. Sur le plan politique, le chef du village était le point de convergence de tous pour trouver une solution aux problèmes. Il était le garant du bien-être collectif dont il assumait la responsabilité avec l’appui d’un collège de conseillers et de notables. La deuxième période, celle de la colonisation a amené l’idéologie capitaliste et le règne de la finance. C’est la période actuelle en dépit des indépendances fictives.
Le capitalisme libéral : primat de l’avoir sur l’être
Ce pays comme bien d’autres en Afrique est en effet régi par la monétarisation de la vie économique qui a bouleversé le mode de vie traditionnel. Ce système repose sur le primat de l’avoir sur l’être. Tout y est fait pour tirer le maximum de profit financier des activités économiques. L’homme devient un outil de production. C’est ce système déshumanisant qui est à la base des guerres de prédation que la RDC vit encore aujourd’hui. Il est à l’origine des inégalités sociales criantes avec une minorité de riches de plus en plus riches et une majorité de pauvres croupissant dans la misère. Avant l’indépendance, les évolués jouaient un rôle de relai entre les deux mondes. De nos jours de nouveaux relais parmi les Congolais servent le système en échange de prébendes. Un an après l’arrivée au pouvoir de la coalition FCC-CACH, on peut se demander si la RDC est sortie de ce capitalisme libéral. Aujourd’hui, avec le retour en force des institutions financières internationales (IFI) qui sont dans la logique des puissances de la Conférence de Berlin de 1885, le capitalisme caractérise la gestion de la res publica en RDC. C’est le lieu de rappeler que les IFI n’ont jamais développé un pays. Il n’y a qu’à rappeler les programmes d’ajustement structurel (PAS) d’une certaine époque qui ont déstructuré l’éducation, la santé, la fonction publique au Zaïre de Mobutu. Dépourvus d’une idéologie qui leur soit propre, les Congolais seraient bien inspirés de s’en inventer une conforme à leurs traditions et aspirations.
Le Convivialisme humaniste
Les Congolais n’ont aucun intérêt à se vautrer dans un mimétisme béat. Il leur revient de créer leur propre référentiel idéologique qui ne soit pas une pâle copie des valeurs étrangères. On pourrait l’appeler le «convivialisme humaniste» compris comme une volonté de vivre ensemble mettant en avant-plan leur humanité, le fait qu’ils sont tous des êtres humains, qu’ils appartiennent au même genre humain. C’est un besoin vital. Il s’agit d’une révolution des consciences, une révolte contre le capitalisme qui a éclos ici. Les valeurs de solidarité et de partage, de vérité et d’honnêteté, de liberté et d’amour, de justice et de paix, de respect de l’homme dans l’absolu, de pardon et de réconciliation qu’incarne le «convivialisme humaniste», devraient s’apprendre dès le berceau. Elles s’acquerront davantage à travers un apprentissage par imitation des modèles et non uniquement par des discours et des leçons morales désincarnées. Les technostructures scolaires et universitaires sont également des véhicules par excellence de ces valeurs. La belle initiative de gratuité de l’enseignement du président Tshisekedi pourrait servir à cela. En introduisant des cours et des séminaires sur le «convivialisme humaniste» à tous les niveaux pour faire émerger des citoyens pétris de ces valeurs qu’ils incarneront dans leur vie sociale. Les moyens de communication sociale (médias) viendront en appui pour les dispenser.
La politique
Le vrai pouvoir est à l’heure actuelle dévolu aux détenteurs des moyens de production, hommes d’affaires nationaux et/ou étrangers contrôlant des PME/PMI ou des industries plus importantes. Au plan culturel, le pouvoir revient à ceux qui possèdent le savoir attesté par un diplôme : l’élite intellectuelle.
La gestion des institutions au plus haut niveau en RDC est exercée par un homme au nom du peuple qui le lui délègue par les élections, pour une période déterminée. Depuis le 30 décembre 2018 Félix Antoine Tshisekedi a été élu président. Il ne dirige pas seul. Il le fait avec la collaboration d’autres institutions : le parlement, le gouvernement et la justice qui sont en place. Chose très appréciable : une décrispation politique a permis la libération de beaucoup de prisonniers politiques ou considérés comme tels et le retour d’exilés politiques sur fond d’une certaine libéralisation de l’espace politique. L’ouverture aux autres nations en Afrique et dans le monde à travers les voyages du chef de l’Etat et les visites de personnalités étrangères est encourageante. Il importe néanmoins de veiller à ce que cette ouverture n’aboutisse pas à replacer le pays dans la posture de l’éternelle main tendue. Les relations avec les autres nations doivent être adultes et responsables, « gagnant-gagnant ». Patrice-Emery Lumumba a écrit dans son testament: « Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce. Je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. L’histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations Unies, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. (…). Je sais que mon pays, qui souffre tant, saura défendre son indépendance et sa liberté ». A côté de ces points positifs, on peut déplorer le caractère pléthorique du cabinet du chef de l’Etat. Tous ces conseillers spéciaux, principaux ou sans particules qui s’y côtoient et doublent un gouvernement déjà pléthorique sont-ils vraiment indispensables ?
Quelques soucis
Cela donne l’impression que c’est moins l’intérêt du pays que la satisfaction des ambitions individuelles qui est pris en compte.Il faut aussi déplorer la propension des Congolais au culte du chef. Avant-hier, on chantait pour Mobutu (Sauveur, Pacificateur, Moïse, Timonier…). Avant de réclamer avec véhémence son départ. Hier, certains qui, comme ‘‘l’évêque’’ Mukuna, chantaient pour Kabila en faisant de lui un démiurge vont aujourd’hui jusqu’à allumer le bûcher pour celui qu’ils idolâtraient…
Les mêmes attitudes s’observent autour de Tshisekedi à travers des associations de «soutien» qui naissent chaque jour. On chante le chef, on l’exalte, on exulte d’appartenir à son parti ou à son ethnie. Flagoneries que tout cela! L’actuel chef de l’Etat congolais qui porte des grands espoirs pour le Congo doit décourager ces pratiques et impliquer tous ses compatriotes dans des actions constructives.
Quel Congo pour l’avenir ?
Un autre mal qui ronge le Congo c’est le tribalisme, le régionalisme et le népotisme. Tout se passe comme si la plupart des Congolais s’estimaient plus de leur ethnie que Congolais. Mobutu au pouvoir, ce fut l’affaire des Bangala. Avec les Kabila, les ‘’Swahili’’ ont pavoisé. Lorsqu’arrive Tshisekedi, c’est le règne des Baluba-Kasaï… Il y a un grand travail à faire, pas pour rejeter l’appartenance tribale qui est légitime mais pour faire naître et développer la conscience d’appartenance à une Nation, le Congo. A voir le spectacle qu’ils offrent encore aujourd’hui, les hommes politiques congolais d’une manière générale, sont plus des prédateurs que des serviteurs du pays.
Patrimonialisation du politique
La tendance à considérer le pouvoir politique comme un gagne-pain doit être éradiquée. On devrait se montrer plus rigoureux vis-à-vis des politiciens en matière d’acquisition des biens personnels et établir des règles claires pour limiter cette prédation. Par ailleurs, en politique extérieure, un pays souverain doit se faire respecter par les autres nations partenaires et les amener à des rapports basés sur l’égalité et la justice. 60 ans après une décolonisation piégée, il faut se méfier des mauvais partenariats derrière lesquels se cachent des projets de recolonisation ou d’exploitation sans contrepartie des richesses de la RDC et en finir avec la prédation qui caractérise les politiciens toute tendance confondue, en appliquant des sanctions exemplaires.
Le pôle économique
Ce pôle fonctionne soit selon le mode de la primauté du travail qui profite au travailleur et répond à ses besoins, soit selon celui du profit. Jusqu’ici, la RDC a toujours vécu sur cette dernière modalité. On idéalise l’économie sociale du marché qui n’est qu’un euphémisme car les programmes extravertis qui en découlent n’ont de social que le nom. La RDC est en retard car la plupart des biens qui y sont consommés sont produits ailleurs. Hier, en Europe et aux USA, aujourd’hui, en Asie (Chine). Même le commerce intérieur est contrôlé par des étrangers (Libanais, Indiens, Chinois…), car les pouvoirs publics n’encouragent pas l’entreprenariat local. L’économie dollarisée a réduit le Franc Congolais à la portion congrue dans les échanges. Le secteur des transports souffre de moult dysfonctionnements (mauvaises routes, barrières illégales et tracasseries policières), rendant plus laborieux l’acheminement vers les grandes agglomérations des biens de première nécessité. Le déversement incontrôlé des jeunes en quête d’emplois dans les villes a démultiplié le nombre de chômeurs et, subséquemment, le phénomène du banditisme urbain (kuluna). La politique salariale bancale dans le public et le privé pousse enseignants, médecins, magistrats … tout le temps à la grève.Hier, les Congolais ont connu des slogans ronflants tels que ‘‘retroussons les manches’’, ‘‘service national’’, ‘‘cinq chantiers’’ et ‘‘révolution de la modernité’’, etc. Avec une impression d’inachevé. Le fait que les ouvrages du ‘‘programme de 100 jours’’ n’aient pas été livrés en juin 2019 comme prévu offre un air de déjà vu.Le nouveau pouvoir doit quitter les sentiers battus, donner du travail à la population, l’aider à créer du travail et à aimer travailler pour vivre.
Politique sanitaire
Les hôpitaux en RDC ne doivent plus être des centres commerciaux ou des mouroirs mais plutôt des services publics facilitant l’accès aux soins de santé pour tous.
Budget de l’Etat
Le budget actuel de la RDC ne correspond ni à la capacité contributive des Congolais, ni à celle de ceux qui y ont élu domicile. Seule une partie négligeable du PIB est canalisée vers le Trésor. On parle de corruption et de coulage de recettes publiques. L’Etat doit être intraitable envers ceux qui siphonnent les recettes publiques.
Conclusion
Quinze mois après l’avènement de Fatshi, bien de choses ont été réalisées mais beaucoup reste à faire. A l’instar du leader vénézuelien Hugo Chavez, le chef de l’Etat doit effectuer garantir ses compatriotes les résultats ci-après: 1)apprendre à lire et à écrire à tous (déjà en cours), 2) permettre à tous l’accès aux soins de santé et à une nourriture saine, 3) distribuer équitablement le revenu national, 4) démocratiser la vie publique au-delà de la symbolique parfois superficielle du bulletin de vote, 5) placer le Congo au centre de la gouvernance et 6) tenir tête à toute velleité expansionniste au détriment des Intérêts Nationaux.Construire un autre Congo où l’homme est respecté dans l’absolu est la seule façon de donner un sens à l’alternance démocratique au sommet de l’Etat.Tant que ce Congo alternatif ne sera pas en chantier, cette alternance acquise au prix fort n’aura servi qu’à plonger le peuple dans une illusion de changement. Au-delà de la personne du président Tshisekedi, cette évaluation concerne aussi la coalition CACH-FCC qui l’accompagne au pouvoir et gouverne le pays ensemble avec lui. Tous les membres de cette coalition sont appelés à tuer en eux le vieil homme afin de mettre en valeur ce don béni de Dieu qu’est la RDC.
Jacques Ntshula
Analyste politique