L’Arrêt de la Cour Constitutionnelle rendu lundi 13 avril sous R.Const 1.200, a déclaré conforme à la Constitution l’Ordonnance N° 20/014 du 24 mars 2020 portant proclamation de l’état d’urgence sanitaire prise par le chef de l’État, Félix Tshisekedi pour faire face à l’épidémie de Covid-19.
La haute juridiction s’est trouvée dans l’obligation de dire le droit à travers une lecture croisée et laborieuse des articles 61, 85, 119, 122 al 1er, 129, 144, 145, 148, 156 et 219 de la constitution du 18 février 2006 qui n’a pas fini de susciter des discussions passionnées.
Dans une analyse scientifique consacrée à la question, le jurisconsulte Nsolotshi Malangu note que l’état d’urgence est une situation dérogatoire aux principes généraux dans laquelle l’exécutif (président de la République) règlemente unilatéralement généralement par restriction les libertés et droits fondamentaux de citoyens, parce qu’une circonstance exceptionnelle et grave (pandémie, catastrophe naturelle etc.) menace l’ordre public. « La spécificité juridique de l’état d’urgence est que les libertés et droits fondamentaux de l’homme (libertés de commerce, de circulation, respect de procédures, droits à l’intégrité physique) au lieu d’être règlementés par le parlement comme le veut le principe de la constitution (art 122 al 1er), sont désormais fixés par l’exécutif. Il faut rappeler qu’en règle générale, lorsqu’en cas d’urgence, le gouvernement voudrait par exemple, prendre des mesures relevant de la loi (comme la règlementation des libertés et droits fondamentaux de l’homme) il est tenu de se faire autoriser par l’Assemblée nationale ou le Sénat pour un temps bien déterminé. Par ailleurs, ces mesures sont prises sous forme d’Ordonnances-lois signées par le président de la République, après délibération en conseil des ministres. En outre, le parlement garde son pouvoir de contrôle, en ce sens que les Ordonnances-lois tombent caduques si elles ne lui sont pas déposées dans les délais prescrits pour leur ratification ou modification éventuelle. (Article 129 de la Constitution). Le constituant congolais a distingué d’une part, la proclamation de l’état d’urgence et d’autre part, la réglementation des libertés et droits fondamentaux pendant la période dudit état d’urgence (art 85 et art 145 al 1er). La proclamation consiste à instituer une période déterminée pendant laquelle l’exécutif est d’office autorisé à règlementer les libertés et droits fondamentaux selon les réalités de la situation en présence mais sous contrôle de la constitutionnalité effectué par la cour constitutionnelle (art 145 al 2) », a-t-il écrit.
Si avec l’arrêt de la Cour constitutionnelle, le débat est juridiquement clos, comme le laissait entendre Tharcisse Kasongo Mwema, porte-parole du président de la République, sans s’empêcher de le prolonger lui-même en exigeant des excuses du speaker du Sénat pour avoir manqué d’égards envers le chef de l’Etat, les commentaires n’ont pas cessé pour autant, loin s’en faut. «Jamais le droit constitutionnel n’aura été autant sollicité qu’au cours de ces vingt dernières années en RDC tant par le citoyen lambda, par les intellectuels spécialistes que par les acteurs politiques dont la propension à s’abriter derrière l’esprit ou la lettre de la loi fondamentale vise à baliser un cadre de légitimation de leurs tactiques et de leurs discours en les inscrivant dans l›ordre du droit positif en vigueur dans le pays », note à ce sujet le chercheur constitutionnaliste Lokandja Tokenge.
Sur son compte Twitter, le politologue Kikaya Bin Karubi, député national de Kasongo (Maniema), a estimé que la classe politique a fait trop de bruits pour rien à ce sujet. « L’ordonnance du président étant conforme à la constitution, la tenue du congrès telle que prévue à l’alinéa 2 de l’article 119 pour adopter les modalités pratiques d’application devient un impératif constitutionnel et ce, malgré l’interdiction d’accès au palais du peuple décrétée par le vice premier ministre et ministre de l’Intérieur, Gilbert Kankonde. Alexis Tambwe Mwamba joue et gagne », a-t-il indiqué. Mais pour Lokandja, cette question de savoir si le Congrès est doté ès qualité des compétences législatives n’a pas été résolue par l’arrêt de la Cour constitutionnelle de lundi 13/ 04/2020. «Prise sur pied de l’article 85 de la Constitution, l’Ordonnance d’état d’urgence a été dispensée par la Cour de l’autorisation parlementaire préalable. Le motif en est que l’article 85 consiste à faire face notamment à une circonstance qui bloque immédiatement le fonctionnement régulier des institutions. Il s’avère que depuis plusieurs semaines, ni le Parlement, ni le Gouvernement ne se réunissaient plus pour des raisons évidentes. L’article 85 ayant été conçu par le constituant pour pallier à l’impossibilité pour les institutions de siéger en raison d’une circonstance exceptionnelle, l’on ne voit pas comment en même temps il pouvait être possible de tenir un Congrès dans le contexte juridique et la base factuelle visés par l’article 85 de la Constitution, et à fortiori sur des matières dont il n’est pas déjà compétent matériellement, l’article 119 restreignant strictement ses compétences. L’autorisation dont il est question au point 2 de cet article vise la déclaration de guerre portée par l’article 86 de la Constitution qui fait expressément allusion à l’exigence d’autorisation. Le renvoi fait par l’article 119.2 aux articles 85 et 86 doit tenir compte dans son interprétation de la portée autonome de chacune de ces dispositions qui visent des situations factuelles particulières. Il s’agit donc d’une contradiction des dispositions constitutionnelles, le constituant étant infaillible et toujours cohérent », fait observer ce chercheur. Qui surenchérit en notant que « le Congrès n’est pas un organe législatif sauf en ce qu’il s’exprime en tant que législateur-constituant en lieu et place du peuple en procédure d’adoption d’une révision constitutionnelle sur base de l’article 218 dernier paragraphe.
Hormis cette disposition, le Congrès ne peut en aucune manière légiférer. La loi d’application et celle de prolongation de l’état d’urgence ne peuvent être discutées et adoptées qu’en procédure ordinaire, par les deux chambres séparément ».
L’arène politique s’est enflammée après une émission sur Top Congo FM au cours de laquelle le président du Sénat, Alexis Thambwe Mwamba, par ailleurs l’un des juristes les plus éminents du pays, avait posé la question de la régularité d’une Ordonnance d’état d’urgence «sanitaire», décrétée par le chef de l’Etat. «Il s’agissait à mon sens d’un souci légitime de conformité au texte de la constitution qui ne prévoit nulle part cette catégorie et qui pouvait être réglé par une mise au point entre les hautes autorités des trois institutions concernées qui est intervenue malheureusement après coup », a déclaré à nos rédactions un professeur de droit constitutionnel de l’Université de Kinshasa. Qui se demande pourquoi le 1er vice-président de l’Assemblée nationale a vu dans cette quête d’orthodoxie légistique par Maître Thambwe Mwamba un défi, voire une offense au président de la République. Il a déploré que «l’honorable Jean-Marc Kabund se soit plus comporté en militant fanatique désireux de donner des gages à son parti, un fait privé, plutôt qu’en homme d’Etat placé au saint des saints de l’institution parlementaire en qualité de 1er vice-président du Bureau de l’Assemblée nationale», avant de suggérer que l’Assemblée nationale et le Sénat revoient les dispositions de leurs règlements autorisant le cumul des fonctions des membres de leurs bureaux et des responsabilités au sein d’appareils partisans. «Rien ne justifie que les membres du gouvernement se voient interdits d’exercer des responsabilités à la tête de partis politiques et que les membres des membres des bureaux des institutions parlementaires puissent être autorisés à exercer de telles responsabilités, ce qui expose l’Assemblée nationale et le Sénat à un risque d’immobilisme et d’inefficacité à cause de ces ’’gesticulations politiciennes injustifiées’’ observées récemment dans les états-majors de certains partis politiques dont Me Georges Kapiamba, président de l’Association pour l’accès à la justice (ACAJ)». Kapiamba avait en efffet dénoncé dans un communiqué ces passes d’armes suscitées par l’Ordonnance présidentielle portant proclamation d’un état d’urgence sanitaire.
Alors qu’on approche de la forclusion du délai de 30 jours de l’instauration de l’état d’urgence, il importe de savoir si le président de la République doit ou non requérir l’autorisation du parlement pour le proroger.
Pour Lokandja, «un renouvellement immédiat de l’état d’urgence, le constituant nécessite impérativement une autorisation législative de prolongation (article 144 de la constitution) sauf à procéder par déclarations présidentielles successives non immédiates, avec des périodes d’intervalle entre elles, ce qui serait regardé à coup sûr comme un cas flagrant de détournement des règles constitutionnelles étant donné que le constituant a tenu à encadrer (surveiller) cette période de ‘’dictature constitutionnelle organisée’’ mettant en veilleuse l’exercice des pouvoirs institutionnels et des libertés citoyennes ». Selon lui, les deux chambres se réuniront séparément pour adopter conformément à leurs règlements respectifs les textes d’accompagnement de l’état d’urgence mis en place par l’Ordonnance n° 20/014 du 24 mars 2020 et, le cas échéant, de prorogation de l’état d’urgence. Quitte à se retrouver ensemble seulement dans le cadre de la commission mixte paritaire «qui n’est pas une modalité du Congrès, mais plutôt une étape ordinaire d’harmonisation finale des vues entre les deux chambres ».
La collaboration entre le président de la République et les deux chambres parlementaires reste donc incontournable. C’est dans ce cadre que le chef de l’Etat Félix-Antoine Tshisekedi a reçu à sa demande mardi à la cité de la Nsele les présidents Mabunda et Thambwe. Cette rencontre au lendemain des soubresauts politiques polémiques sur la tenue du congrès avait pour objet de faire le point sur la situation qui prévaut depuis la mise en place de l’état d’urgence. Se confiant à la presse au sortir de cette réunion, Mme Mabunda s’est voulue conciliante. Elle a indiqué que la question de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, en rapport avec la controverse née à la suite de la proclamation de l’état d’urgence par le chef de l’Etat pour faire barrage au Covid-19 en RDC, avait effectivement été abordée. « Il est important de rappeler qu’au moment où nous sommes venus rencontrer le chef de l’État, le pays est en train de lutter contre le Covid-19 et que toutes les institutions doivent s›unir pour accompagner, de manière efficace, les mesures prises par le président de la République, en guise de barrage à la pandémie du Coronavirus. C’est dans ce cadre qu’a été évoqué la possibilité que les institutions président de la République, Sénat et Assemblée nationale puissent se rencontrer régulièrement pour accompagner ces mesures salvatrices pour notre peuple. Il ne s’agit donc pas ici de revenir sur ce qui s’est dit ou ce qui a été fait. Il faut plutôt regarder de l’avant, parce que pour le moment la population s’est mise autour du chef de l’État, du gouvernement, des institutions et des élus du peuple afin de chercher les meilleures mesures pour sortir notre pays de cette pandémie. Les batailles politiques inutiles ne doivent pas venir nous distraire en ce moment si crucial. Le plus important c’est de regarder dans la même direction et de voir ensemble comment avancer. Le dialogue entre les trois institutions va se poursuivre dans le cadre des responsabilités qui sont propres à chaque institution», a-t-elle précisé.
Quoiqu’il en soit, ainsi que le note Nsolotshi, la constitution congolaise ne permet pas au président de la République de proroger d’autorité l’état d’urgence. Il explique que « la prorogation de l’état d’urgence est forcément l’œuvre du parlement par le vote d’une loi. La demande de prorogation doit émaner du président de la République conformément à l’alinéa 4 de l’article 144 précité qui précise que l’ordonnance proclamant l’état d’urgence ou l’état de siège cesse de plein droit de produire ses effets après l’expiration du délai prévu à l’alinéa trois du présent article, à moins que l’Assemblée nationale et le Sénat, saisis par le Président de la République sur décision du Conseil des ministres, n’en aient autorisé la prorogation pour des périodes successives de 15 jours ». Avant de conclure à bon escient que « la dispute actuelle entre partisans des institutions Président de la République et Parlement est insensée parce que les deux institutions ont besoin de collaborer pour une gestion heureuse de la crise actuelle du Covid-19 car chacune d’elles, ne peut rien sans le concours de l’autre et le grand perdant serait la population ». A bon entendeur, salut !
Le Maximum